La peau a son propre système immunitaire
La première étude , sur des modèles murins, menée par des immunologistes du laboratoire « Host Immunity and Microbiome » (NIAID, États-Unis), sous la direction de la Pr Yasmine Belkaid de l’Institut Pasteur, a révélé que la peau saine – en l’absence d’inflammation – est capable de produire une réponse humorale grâce à l’activation de cellules T et B situées dans le derme.
Cette réaction a été mise en évidence lorsque les chercheurs ont exposé la peau des souris, pour la première fois, à une bactérie commensale, Staphylococcus epidermis. La colonisation de la peau par cette dernière entraînait des réponses immunitaires sous le contrôle des cellules « sentinelles » de Langerhans. En effet, après l’application non invasive de cette bactérie sur la peau, ces cellules déclenchaient l’activation des cellules T et B, résultant en la production d’anticorps dirigés contre S. epidermis qui persistaient jusqu’à 200 jours.
« L’observation de cellules B dans la couche dermique de la peau (en l’absence de maladie) est un concept novateur car, jusqu’à présent, on pensait que la peau était dépourvue de cellules B », explique Inta Gribonika, co-auteure de l’étude.
Autre nouveauté : cette production d’anticorps s’est faite sans la contribution des ganglions lymphatiques, en l’absence totale d’un processus inflammatoire, ce qui remet en question le modèle classique de l’initiation de la réponse immunitaire.
Plus précisément, la présence de cette bactérie a induit la formation dans la peau de structures immunitaires spécialisées. Dans ces structures lymphoïdes dermiques locales, une réaction dite « de centre germinatif » peut se produire : elles soutiennent le mécanisme de formation et de différenciation des cellules B en cellules plasmatiques sécrétrices d’anticorps, stimulant ainsi la réponse humorale.
La peau aurait donc la capacité d’agir comme un organe lymphoïde autonome – une trouvaille qui a donné l’idée aux chercheurs de tester la possibilité de créer un vaccin qui pourrait s’appuyer sur ces réactions cutanées.
Bientôt des vaccins appliqués sur la peau ?
Ainsi, dans une autre étude publiée simultanément, des chercheurs de l’Université de Standford aux États-Unis, en collaboration avec les auteurs de l’étude précédente, ont puisé dans cette découverte pour développer une forme de vaccination « topique ».
Pour cela, l’équipe a utilisé la réponse humorale déclenchée par la même bactérie commensale (inoffensive) S. epidermidis, mais en la redirigeant vers des agents pathogènes ciblés, en modifiant la bactérie pour qu’elle exprime un antigène de la toxine tétanique.
L’application de cette bactérie modifiée sur les souris – c’est-à-dire dans des conditions de colonisation physiologique de la peau – a engendré une réponse humorale systémique avec des titres élevés d’anticorps dans les muqueuses nasale et pulmonaire, ainsi que dans le sang des souris (y compris des IgA). Cette réponse est semblable à celle observée dans les vaccinations conventionnelles.
Ces anticorps ont ensuite été capables de protéger les souris lorsqu’elles ont été infectées avec une dose léthale de la toxine tétanique.
Si cette approche d’immunisation novatrice était validée chez l’humain dans le futur, cela pourrait conduire au développement de vaccins topiques, plus faciles à administrer que les injectables et capables d’induire – comme dans cette étude – une immunité au niveau des muqueuses, plus à même de lutter contre certaines infections respiratoires.
Guglielmi G. The skin’s ‘surprise’ power: it has its very own immune system. Nature 16 décembre 2024.
Gribonika I, Band VI, Chi L, et al. Skin autonomous antibody production regulates host-microbiota interactions. Nature 11 décembre 2024.
Bousbaine D, Bauman KD, Chen YE, et al. Discovery and engineering of the antibody response to a prominent skin commensal. Nature 11 décembre 2024.