Les vaccins, piliers de la médecine préventive, ont sauvé et sauvent encore la vie de centaines de millions de personnes. Ils ont largement contribué à l’augmentation de l’espérance de vie qui, en 1900, ne dépassait pas 45 ans. Ils ont aussi constitué des facteurs de progrès scientifiques au cours des deux derniers siècles en étant à l’origine ou en accompagnant des innovations de rupture avec les développements progressifs des biotechnologies et des connaissances en immunologie.Il en a été ainsi des travaux de Jenner, qui a découvert, à la fin du XVIIIe siècle, qu’un germe responsable d’une infection (la vaccine, maladie bénigne des vachers) pouvait conférer une immunité « croisée » et protéger contre le germe d’une autre infection, si ces deux germes avaient une communauté antigénique. De son côté, Pasteur a démontré qu’il était possible de prévenir une maladie à germes virulents en « vaccinant » au préalable par ces mêmes germes inactivés ou atténués (le choléra chez les poules et la rage chez l’homme). Et Gaston Ramon a mis en évidence que le germe complet n’était pas nécessaire pour obtenir une réponse vaccinale et pouvait être remplacé par une protéine produite par ce même germe (l’anatoxine diphtérique ou l’anatoxine tétanique). De plus, Ramon a démontré, un siècle avant la description des récepteurs Toll auxquels est attaché le nom de Jules Hoffmann, des signaux « danger » postulés par Polly Matzinger, l’intérêt de générer une inflammation locale par un adjuvant pour amplifier la réponse immunitaire. Puis vinrent les cultures cellulaires permettant d’atténuer des virus vivants par de multiples passages in vitro (vaccins rubéole, oreillons, rougeole), les vaccins « conjugués », associant des motifs sucrés à un antigène protéique permettant ainsi d’induire une réponse vaccinale mémoire contre des bactéries dont la paroi est constituée de polysaccharides, des motifs sucrés (pneumocoque, Haemophilus influenzae, méningocoques). Alors que les motifs protéiques peuvent être reconnus par les lymphocytes B et T spécifiques, les motifs sucrés ne sont reconnus que par les lymphocytes B qui, seuls activés, ne peuvent générer de réponse mémoire, sauf s’ils sont présents au sein de complexes antigéniques contenant des motifs protéiques qui permettent l’intervention de lymphocytes T. Ces conjugués ont permis un changement spectaculaire des schémas de vaccination utilisés contre ces bactéries.Les progrès des biotechnologies ont par ailleurs permis de synthétiser in vitro des structures d’intérêt d’autres agents infectieux. Le premier succès a été un vaccin contre l’hépatite B fabriqué dans une levure recombinante, portant le gène de la protéine S. Ce vaccin a remplacé un vaccin fondé sur la purification des particules S du plasma d’individus infectés par ce virus. Enfin, sont apparus les « vaccins numériques », constitués uniquement d’ADN ou d’ARN et basés sur les séquences génomiques, notamment celles de virus ou d’antigènes tumoraux, avec les succès que l’on connaît pour contrôler la pandémie de Covid- 19.Ces immenses progrès scientifiques devraient encore être amplifiés dans les années à venir en s’attaquant à de nouvelles cibles comme les cancers, les maladies infectieuses émergentes, les maladies métaboliques et auto-immunes et les allergies.

Yvon Lebranchu, service de néphrologie et immunologie clinique, membre de l’Académie nationale de médecine

11 juin 2024