Les lésions du ligament croisé antérieur (LCA) sont extrêmement fréquentes chez le jeune sportif et ont pour conséquence une instabilité du genou empêchant la reprise de certaines activités. Des études scientifiques récentes ont permis de mieux appréhender ces lésions et d’améliorer la qualité de leur prise en charge. Cependant, il s’agit toujours d’une pathologie difficile à traiter, qui nécessite une longue rééducation et qui divise encore la communauté orthopédique sur certains points.1
Rappels anatomiques
Le genou est une articulation complexe située entre le fémur, le tibia et la rotule, stabilisée par quatre ligaments majeurs : deux ligaments collatéraux (un médial et un latéral) et deux ligaments croisés qui constituent le pivot central (un antérieur et un postérieur) [fig. 1]. Le ligament croisé antérieur est une bande de tissu conjonctif fibreux, blanchâtre, très résistant, situé à l’intérieur du genou, tendu du fémur jusqu’au tibia.2 Il a pour rôle principal de contrôler la translation antérieure du tibia par rapport au fémur et d’assurer la stabilité rotatoire du genou. Le LCA est classiquement décrit comme un ruban torsadé composé de deux faisceaux : un faisceau principal antéromédial et un faisceau moins épais postérolatéral. C’est la raison pour laquelle une rupture partielle du LCA avec préservation des fibres du faisceau postérolatéral est parfois évoquée.
Sur le tibia, le ligament s’insère en avant du massif des épines, très proche de la racine antérieure du ménisque latéral. Il possède un trajet oblique vers le haut, l’arrière et vers le dehors, pour finir sur la face axiale du condyle latéral. Il passe en avant du ligament croisé postérieur, qui possède un trajet oblique dans l’autre sens, d’où son appellation de « ligament croisé » du genou. Le défaut du LCA est sa vascularisation précaire. En cas de lésion, son potentiel de cicatrisation est donc très faible. Ainsi, en dépit d’une bonne rééducation, le genou est susceptible de rester instable dans certains mouvements.
Examiner le genou
L’interrogatoire recherche le mécanisme lésionnel : le plus souvent, il s’agit de traumatismes en torsion ou en hyperextension du genou. Typiquement, on retrouve une sensation de « déboitement » avec craquement, une impotence fonctionnelle immédiate et un épanchement du genou dans les jours qui suivent.
Sauf à être un médecin entraîné comme ceux de montagne, il est souvent difficile d’examiner l’articulation à chaud. Après avoir éliminé une lésion osseuse traumatique, le patient est généralement immobilisé par attelle de Zimmer quelques jours et se voit prescrire quelques séances de rééducation, avec un rendez-vous de contrôle chez un orthopédiste à distance.
Dès qu’il est possible, l’examen clinique permet d’évaluer l’état global du genou en recherchant un épanchement intra-articulaire et en estimant les mobilités en flexion et en extension. La contraction du quadriceps doit également être évaluée car elle peut influencer le délai avant chirurgie.
Le LCA est directement évalué par la manœuvre de Lachman (fig. 2), qui est considérée comme le test le plus fiable. Le patient est installé sur le dos, genou fléchi à 30 ° ; l’examinateur stabilise le fémur d’une main et réalise une translation antérieure du tibia avec l’autre. Si l’arrêt est précoce et dur, le LCA est considéré comme compétent. Si l’arrêt est retardé et mou, cela évoque une rupture du LCA.
Le « ressaut rotatoire », ou « jerk test », est également un bon moyen de poser le diagnostic. Le clinicien recherche un ressaut en imprimant des mouvements de flexion-extension tout en bloquant la jambe en valgus et rotation interne. Cela permet d’évaluer l’instabilité rotatoire du genou.
Enfin, il ne faut pas méconnaître d’éventuelles lésions associées telles qu’une lésion méniscale ou la lésion d’un autre ligament, chacun d’entre eux devant être testé.
Parfois, le patient est vu longtemps après le traumatisme. Il décrit classiquement une sensation d’instabilité du genou, notamment lors des changements de direction, associée ou non à des douleurs, voire à des blocages en cas de lésion méniscale associée.
Place de l’imagerie
Après une entorse du genou, le seul examen indiqué en urgence est la radiographie de face et de profil, qui permet d’éliminer une lésion osseuse traumatique. À ce stade, seuls un épanchement intra-articulaire et une avulsion osseuse du ligament antérolatéral (fracture de Segond) peuvent faire suspecter une rupture du LCA. Les radiographies standard permettent également de dépister une éventuelle arthrose afin d’orienter la prise en charge.
L’examen de choix permettant de confirmer la rupture du LCA est l’imagerie par résonance magnétique (IRM).3 Cependant, il n’y a pas lieu de réaliser une IRM pour toutes les entorses du genou. Cet examen ne doit normalement être réalisé qu’en cas de suspicion clinique de rupture du LCA après testing du genou par un examinateur spécialisé. L’IRM peut ainsi confirmer la suspicion diagnostique et identifier les éventuelles lésions associées4 telles que les lésions méniscales, du cartilage, et les contusions osseuses. Elle permet également de rechercher une atteinte des autres ligaments du genou (fig. 3).
Ces deux examens sont, dans la majorité des cas, largement suffisants pour poser le diagnostic et décider du traitement. Le bilan peut être toutefois approfondi avec des examens laximétriques (GNRB ou Telos) en cas de doute, afin d’étayer le diagnostic.
Indications chirurgicales
Il est tout à fait possible de vivre sans un LCA compétent et même de pratiquer un sport dans l’axe comme la course à pied, le vélo ou la natation. Cependant, les mouvements en rotation sont généralement plus compliqués à réaliser, avec une sensation de dérobement du genou. Une intervention chirurgicale est donc souvent nécessaire. En France, on recensait en 2023 un peu moins de 60 000 chirurgies pour reconstruction du LCA. L’indication chirurgicale après rupture du LCA dépend de différents facteurs.
Le symptôme principal posant l’indication chirurgicale est l’instabilité fonctionnelle5,6 du genou malgré un programme de rééducation bien conduit, et ce quel que soit l’âge du patient. La présence de lésions méniscales associées nécessitant une réparation est un argument supplémentaire en faveur de la chirurgie.
En revanche, la préexistence de lésions cartilagineuses dans le genou est plutôt en défaveur d’une intervention. En effet, un genou arthrosique a tendance à se stabiliser en dépit d’un LCA incompétent. Le symptôme au premier plan est plus souvent la douleur que l’instabilité. Le traitement devient alors celui de l’arthrose et non celui de la rupture ligamentaire.
Le profil du patient peut modifier l’attitude thérapeutique
Chez le jeune sportif (entre 20 et 40 ans), amateur d’un sport pivot, il est généralement recommandé de réaliser une reconstruction ligamentaire, surtout en cas de lésion méniscale associée. Cela permet de prévenir l’instabilité chronique et l’apparition de lésions méniscales. En effet, les micro-instabilités répétées du genou ne permettent pas aux ménisques de cicatriser dans de bonnes conditions, voire sont susceptibles d’aggraver les lésions.
Chez les patients plus âgés (entre 40 et 60 ans), moins actifs, avec une demande fonctionnelle moindre, un traitement conservateur avec de la rééducation simple peut être envisagé dans un premier temps. Si le patient retrouve une vie normale, il n’y a pas lieu de poursuivre le traitement ; en revanche, s’il garde une instabilité chronique invalidante, le traitement chirurgical doit être discuté.
Quelle technique chirurgicale privilégier ?
Il existe énormément de controverses au sein de la communauté orthopédique concernant la technique chirurgicale à employer.7 Les deux techniques les plus répandues sont les reconstructions par autogreffe sous arthroscopie, soit au tendon rotulien, soit aux tendons ischio-jambiers (fig. 4). Un renfort latéral est également très souvent effectué pour accroître la stabilité rotatoire du genou, notamment chez le sportif en compétition, en cas de ressaut rotatoire explosif à l’examen clinique ou en cas de rupture itérative. À noter que pour pouvoir envisager une intervention chirurgicale, il est important que le genou soit sec, bien mobile, avec une bonne contractilité du quadriceps. En l’absence de ces conditions, l’intervention expose à un risque de raideur postopératoire, raison pour laquelle des séances de rééducation sont fréquemment prescrites pour préparer le genou à la chirurgie.
Essentielle rééducation
Après une lésion du LCA, opérée ou non, la rééducation occupe une place très importante et fait partie intégrante du traitement.8 Elle se déroule en plusieurs phases.
La première consiste à réduire l’œdème et la douleur et à tenter de retrouver les mobilités articulaires du genou. Un gonflement du genou peut rapidement être responsable de douleur et de raideur. Les premières semaines sont donc généralement consacrées au drainage, à la mobilisation douce et aux contractions en isométrie du quadriceps et des muscles ischiojambiers.
La deuxième phase a pour but de renforcer les muscles autour du genou et d’améliorer la stabilité. Certains exercices de renforcement musculaire sont introduits avec de la proprioception et un travail de l’équilibre sur une jambe afin d’améliorer la stabilité neuromusculaire.
La dernière phase vise à permettre une réathlétisation pour retrouver la fonction antérieure du genou et le même niveau sportif qu’avant lésion. La réintroduction d’activités sportives doit se faire très progressivement après une chirurgie de reconstruction du LCA.9
En outre, les tests isocinétiques sont un bon moyen d’évaluer la récupération musculaire par rapport au côté contro-latéral. Ils sont généralement réalisés à partir du quatrième mois postopératoire et permettent de chiffrer le pourcentage de déficit des extenseurs et des fléchisseurs de jambe par rapport au côté sain, guidant ainsi la suite de la prise en charge en rééducation et la reprise du sport.
Évolution : récupération et séquelles
L’évolution après reconstruction du LCA dépend de différents paramètres, dont la qualité de la rééducation, la motivation du patient et la technique chirurgicale utilisée. La plupart des chirurgies sont réalisées en ambulatoire, autorisant une reprise de l’appui immédiat après l’opération, sauf dans certains cas spécifiques. Au départ, la marche doit se faire à l’aide de cannes anglaises, parfois avec une attelle. En moyenne, six semaines sont nécessaires pour remarcher correctement sans béquilles. L’évolution dépend évidemment de la présence ou non de lésions associées. En effet, la récupération après une rupture de LCA isolée est différente de celle associée à une lésion méniscale suturée. Il est habituel de limiter la flexion après une suture méniscale, ce qui ralentit potentiellement la récupération fonctionnelle du genou.
En ce qui concerne la reprise du sport, chaque chirurgien a son protocole. Classiquement, néanmoins, les activités sportives dans l’axe (vélo, natation) peuvent être réintroduites après six semaines, puis la course à pied à partir de trois mois et les activités pivots à partir de six mois. On peut ainsi espérer un retour à la normale entre six et douze mois postopératoires avec, dans la majorité des cas, un retour aux activités sportives et professionnelles au même niveau.
Le genou peut garder quelques séquelles telles que des craquements, un gonflement à l’effort ou des douleurs résiduelles, qui s’améliorent avec le temps. Le risque de récidive de la rupture existe même après chirurgie.
Enfin, les études ont mis en évidence une augmentation du risque d’arthrose après une rupture du LCA, quelle que soit l’option thérapeutique choisie.10
Que dire à vos patients ?
Toute suspicion d’entorse grave du genou nécessite une bonne rééducation ainsi que l’avis d’un chirurgien orthopédiste.
Toutes les lésions du ligament croisé antérieur (LCA) ne sont pas chirurgicales.
La chirurgie ne doit pas se faire en urgence : une mauvaise contraction du quadriceps ou une raideur préopératoire expose à un risque de raideur postopératoire.
La rééducation et la reprise du sport après reconstruction du LCA se font de manière très progressive, sur plusieurs mois.
Les lésions du LCA augmentent le risque de gonarthrose, avec ou sans traitement chirurgical.
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7. Chambat P, Guier C, Sonnery-Cottet B, et al. The evolution of ACL reconstruction over the last fifty years. Int Orthop 2013;37(2):181-6.
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