La leucémie lymphoïde chronique (LLC) est une des hémopathies malignes les plus fréquentes. Elle se caractérise par une prolifération monoclonale de lymphocytes B matures immunologiquement anormaux, qui se trouvent dans le sang, la moelle osseuse et les ganglions. Bien que certains cas puissent évoluer de manière plus rapide, la maladie est généralement d’évolution lente, sur plusieurs années. Si un traitement est indiqué, plusieurs lignes thérapeutiques se révèlent efficaces. La survie globale est proche de celle de la population générale dans la majorité des cas.

Épidémiologie et facteurs de risque

L’incidence annuelle de la LLC est estimée entre 4 et 6 cas pour 100 000 habitants, avec plus de 4 600 nouveaux cas par an en France. L’âge médian au moment du diagnostic est d’environ 72 ans. Rare avant 40 ans et exceptionnelle chez l’enfant, la LLC est un peu plus fréquente chez les hommes que chez les femmes.

Il n’existe pas de facteurs de risque clairement identifiés. Toutefois, plusieurs éléments ont été associés à un risque ­accru de développer cette hémopathie, notamment :

  • une prédisposition familiale, avec un risque multiplié par 2 à 7 chez les apparentés au premier degré d’un patient atteint de LLC. Il n’a cependant pas été mis en évidence de mutation génétique constitutionnelle associée à ce sur-risque familial ;
  • une exposition environnementale ; certaines études ont suggéré une possible association avec une exposition prolongée aux pesticides, aux herbicides ou à d’autres produits chimiques agricoles. Toutefois, les données restent ­limitées et non concluantes ; ainsi il n’existe pas, par exemple, de recon­naissance de la LLC en tant que maladie professionnelle ;
  • des infections virales et des stimulations antigéniques ; une stimulation antigénique chronique pourrait jouer un rôle dans la genèse de la maladie. ­Cependant, contrairement à d’autres ­hémopathies lymphoïdes, aucun virus oncogène n’a été directement incriminé dans la LLC.

Circonstances de découverte 

Dans plus de trois quarts des cas, la LLC est découverte de manière fortuite lors d’une prise de sang réalisée pour une autre raison ou à titre systématique. L’hémo­gramme montre typiquement une hyperlymphocytose persistante supérieure à 5 g/L, ce qui impose un bilan hématologique complémentaire.

Certains patients n’ont aucun symptôme, surtout à la phase initiale de la maladie. Les symptômes possibles de la LLC sont en effet souvent d’installation progressive. On peut observer :

  • une asthénie, pouvant être en lien avec une anémie ;
  • d’autres symptômes liés à l’anémie, comme une dyspnée ou une tachycardie ;
  • des adénopathies périphériques, typiquement symétriques, mobiles et non douloureuses ;
  • une splénomégalie, moins fréquente, généralement discrète et rarement isolée ;
  • des infections à répétition.

Les signes généraux (fièvre, sueurs nocturnes, amaigrissement) sont plus rares et sont souvent évocateurs d’une forme évolutive ou agressive de la maladie.

Dans de rares cas, la LLC peut être à l’origine d’une anémie hémolytique auto-­immune, avec apparition brutale de symptômes en lien avec une anémie profonde d’installation rapide.

Critères diagnostiques et classification 

Le diagnostic repose sur le bilan bio­logique sanguin. Les autres examens ne sont pas systématiques au diagnostic.

Examens complémentaires

L’hémogramme met en évidence une ­hyperlymphocytose (plus de 5 g/L de lymphocytes), persistante, souvent isolée dans les formes débutantes.

Le frottis sanguin révèle généralement la présence d’ombres de Gumprecht, ne signant pas avec certitude le diagnostic de LLC, même si elles sont fortement ­évocatrices. Elles correspondent à l’écla­tement des lymphocytes, fragiles, lors de la réalisation du frottis sanguin.

L’immunophénotypage des lymphocytes circulants est l’examen clé qui permet de confirmer la nature monoclonale des lymphocytes B et leur profil immuno­logique caractéristique :

  • CD5 + ;
  • CD19 + ;
  • CD23 + ;
  • faible expression de la chaîne légère de l’immunoglobuline (kappa ou lambda) ;
  • faible densité du CD20.

Le score de Matutes, systématiquement calculé, est coté à 4 ou 5 sur 5 (un point pour chacun des items précédemment cités), signant alors le diagnostic de LLC.

D’autres examens complémentaires peuvent être réalisés mais ne sont pas systématiques au diagnostic.

Parmi eux, la cytogénétique et la biologie moléculaire sont réalisées en milieu ­spécialisé à l’aide d’un caryotype, d’une étude FISH, voire, quand cela est possible, d’une analyse par séquençage haut débit (Next Generation

Sequencing [NGS]). Ils ont pour but de rechercher des anomalies chromosomiques utiles pour le pronostic et l’orientation thérapeutique.

Le statut mutationnel des immuno­globulines, réalisé en milieu spécialisé, permet également de donner des éléments de pronostic.

Le myélogramme est rarement nécessaire dans un contexte de LLC. Il est ­réalisé, par exemple, pour s’assurer de l’absence d’autres causes à une anémie.

Le scanner cervico-thoraco-abdomino-­pelvien n’est pas systématique, les adéno­pathies étant le plus souvent ­superficielles et symétriques.

Classification clinico-biologique

La classification la plus utilisée en France est la classification de Binet, qui repose sur l’examen clinique et la biologie ; elle est résumée dans le tableau.1

Les aires ganglionnaires dans cette classification sont au nombre de cinq : aire cervicale bilatérale, aire axillaire bilatérale, aire inguinale bilatérale, foie et rate.

Deux formes apparentées

Il existe deux pathologies apparentées à la LLC : la lymphocytose B monoclonale et le lymphome lymphocytique.

Lymphocytose B monoclonale

la lymphocytose B mono­clonale (monoclonal B-cell lymphocytosis [MBL]) correspond à la présence dans le sang périphérique d’un petit clone de lymphocytes B ayant un phénotype similaire à celui observé dans la LLC. 

Cependant, il n’existe ni signes cliniques ni signes biologiques de la maladie, c’est-à-dire absence d’adénopathies significatives palpables et taux de lymphocytes monoclonaux sanguins circulants inférieurs à 5 g/L. 

La MBL est souvent de découverte fortuite. Elle est fréquente chez les personnes âgées, avec une prévalence pouvant ­atteindre 10 % après 60 ans. Bien que la majorité des cas restent stables, environ 1 % par an évoluent vers une LLC, nécessitant un traitement. 

La MBL est considérée comme une étape préleucémique dans la physiopathologie de la LLC, même si la plupart des patients ne développeront pas de LLC. La surveillance est du ressort du médecin généraliste avec réadressage en hématologie en cas de symptômes cliniques ou biologiques.

Lymphome lymphocytique

Il correspond à la forme uniquement ganglionnaire de la LLC, avec absence d’hyperlymphocytose sanguine circulante. Son pronostic et sa prise en charge sont globalement les mêmes que ceux de la LLC.

Prise en charge thérapeutique 

La prise en charge de la LLC dépend de nombreux facteurs : stade de la maladie, symptômes, âge, comorbidités, anomalies génétiques et préférences du patient.

Surveillance simple

En l’absence de signes cliniques ou biologiques de progression, une surveillance active (« watch and wait ») est souvent recommandée. Cette stratégie repose sur le fait que quasiment un tiers des ­patients n’ont jamais besoin de traitement.

Indications du traitement

Le traitement est initié en présence de signes de progression, selon les critères de l’International Workshop on Chronic Lymphocytic Leukemia (iwCLL) :2

  • augmentation rapide du volume des adénopathies ou de la rate (corres­pondant souvent au stade B de la classi­fication de Binet) ;
  • anémie ou thrombopénie liée à l’infiltration médullaire (stade C de la classi­fication de Binet) ;
  • symptômes généraux (fièvre, asthénie, sans autre cause retrouvée) ;
  • lymphocytose rapide et massive ­(doublement en moins de six mois de la lymphocytose à partir d’un seuil de lymphocytes à 30 000/mm3).

Options thérapeutiques : 

la chimiothérapie classique n’est plus utilisée

Depuis l’arrivée des thérapies ciblées, fin 2014, l’immunochimiothérapie, autre­fois traitement de référence, a progres­sivement disparu des algorithmes de traitement. Ceux-ci reposent aujourd’hui presque exclusivement sur des monothérapies ou des bithérapies, combinant thérapies ciblées entre elles ou thérapie ciblée et immunothérapie.

Des recommandations régulièrement mises à jour

Le groupe d’experts de la LLC, réunis au sein du groupe FILO (French Innovative Leukemia Organization), réédite régulièrement ces recommandations en fonction des autorisations de mise sur le marché (AMM) des différentes molécules disponibles. La figure résume les recommandations de traitement de première ligne (où l’on constate que la place de la chimiothérapie classique a complètement disparu).

Thérapies ciblées

Parmi les thérapies ciblées, on distingue notamment :

  • les inhibiteurs covalents de la Bruton tyrosine kinase (iBTK), classe de médi­caments ciblant une enzyme clé dans la signalisation des lymphocytes B. Depuis la mise à disposition de l’ibrutinib fin 2014,3 de nouvelles molécules ont été développées (acalabrutinib,4 zanubrutinib5) avec un profil de tolérance plus favorable, en particulier sur le plan cardiovasculaire – les iBTK exposant à des effets indésirables cardiovasculaires, notamment l’hyper­tension artérielle et la fibrillation atriale. Ces médicaments sont pris per os au long cours lorsqu’ils sont administrés en mono­thérapie. Ils restent la référence pour les patients aux formes les plus sévères, notamment ceux porteurs d’une anomalie TP53 ;
  • le vénétoclax, un inhibiteur de BCL- 2, le plus souvent utilisé à durée fixe avec un anticorps anti-CD20.

Immunothérapies

Deux anticorps anti-CD20 sont disponibles : 

  • l’obinutuzumab, disposant d’une AMM en première ligne, le plus souvent utilisé en association avec le vénétoclax pour une durée fixe d’un an ;
  • le rituximab, le plus souvent utilisé en rechute, associé au vénétoclax pour une durée fixe de deux ans.

Ces immunothérapies anti-CD20 sont en général bien supportées, avec néanmoins un risque de réaction liée à la perfusion lors de la première administration, et un sur-risque infectieux secondaire à la déplétion lymphocytaire B.

Plus récemment, une AMM a été obtenue pour l’association ibrutinib-vénétoclax, en première ligne, permettant un traitement intégralement per os à durée fixe, avec une vigilance sur le plan cardiovasculaire, notamment pour les patients les plus fragiles.

Surveillance 

Même en l’absence de traitement, un suivi régulier est nécessaire, soit par le médecin traitant soit par un hématologue. Cette surveillance dépend du taux de lymphocytes et du suivi tumoral. Classiquement, les patients sont vus en consultation tous les trois mois en cas de forme progressive non encore traitée, jusqu’à une fois par an pour les patients parfai­tement asymptomatiques avec un taux de lymphocytes inférieur à 10 g/L.

Après traitement, les modalités de surveillance dépendent de la réponse obtenue et du type de thérapie.

Complications fréquentes 

Les infections sont les plus fréquentes des complications, elles imposent une prévention et une surveillance attentives.

Complications infectieuses

Les infections constituent une cause ­majeure de morbidité et de mortalité. Elles sont favorisées par trois facteurs :

  • l’hypogammaglobulinémie (déficit ­immunitaire humorale) ;
  • la neutropénie induite par certains traitements ;
  • les effets immunosuppresseurs de certaines thérapies ciblées.

Les patients avec un diagnostic de LLC doivent avoir un schéma vaccinal à jour. En outre, les vaccinations contre le ­Covid, la grippe, Haemophilus influenzae et le pneumocoque leur sont fortement recommandées. 

Par ailleurs, en cas d’hypogamma­globulinémie profonde (inférieure à 3 g/L) et d’infections à répétition nécessitant une antibiothérapie, une substi­tution en gammaglobulines peut être proposée.

Complications auto-immunes

La LLC est associée à un risque accru de cytopénies auto-immunes : le plus souvent anémie hémolytique auto-immune, et plus rarement thrombopénie immunologique. Il s’agit fréquemment d’un mode d’entrée dans la maladie. Le traitement peut être différent de celui des autres patients atteints de LLC, avec une place pour un schéma de type rituximab-cyclophosphamide-dexaméthasone en première ligne.

Transformation en syndrome de Richter

Il s’agit d’une complication rare mais grave. Le syndrome de Richter résulte de la transformation d’une LLC en un lymphome diffus à grandes cellules B. Il survient dans environ 2 à 10 % des cas et son pronostic est très défavorable.

Le traitement repose sur une immunochimiothérapie et, pour les patients éligibles, une allogreffe de moelle peut être indiquée en cas de rémission. 

Références 
1. Binet JL, Auquier A, Dighiero G, et al. A new prognostic classification of chronic lymphocytic leukemia derived from a multivariate survival analysis. Cancer 1981;48(1):198-206.
2. Hallek M, Cheson BD, Catovsky D, et al. iwCLL guidelines for diag­nosis, indications for treatment, response assessment, and supportive management of CLL. Blood 2018;131(25):2745-60.
3. Barr PM, Owen C, Robak T, et al. Up to 8-year follow-up from RESONATE-2: First-line ibrutinib treatment for patients with chronic lymphocytic leukemia. Blood Adv 2022;6(11):3440-50.
4. Sharman JP, Egyed M, Jurczak W, et al. Efficacy and safety in a 4-year follow-up of the ELEVATE-TN study comparing acalabrutinib with or without obinutuzumab versus obinutuzumab plus chlorambucil in treatment-naïve chronic lymphocytic leukemia. Leukemia 2022;36(4):1171-5.
5. Brown JR, Eichhorst B, Hillmen P, et al. Zanubrutinib or Ibrutinib in Relapsed or Refractory Chronic Lymphocytic Leukemia. N Engl J Med 2023;388(4):319-32.

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