Vous avez d’autres projets ?<br/>
Nous nous sommes beaucoup réunis, quasiment une fois par semaine, non seulement pour nous mettre d’accord sur la structure à mettre en place, mais aussi pour nous connaître. Il est très important de se familiariser avec les autres, passer de bons moments et voir comment ils se comportent en cas de coup dur (ce qui ne manque pas quand vous montez une MSP !). Ça n’évite pas les tensions mais ça permet de les résoudre, parce que nous nous sommes choisis et que fondamentalement nous nous apprécions.
Le point de départ, c’est que chacun travaille en coordination avec d’autres professionnels tout en gardant son indépendance à l’égard de ses patients. À partir de là, chacun développe ses propres idées. Entre généralistes, nous travaillons beaucoup sur l’harmonisation de nos pratiques, par exemple, sur l’antibiothérapie ou les arrêts de travail. Une infirmière veut développer le dispositif Asalée, que je trouve formidable parce qu’il donne la possibilité aux patients chroniques d’avoir des consultations infirmières longues, complémentaires de celles du médecin, notamment pour l’éducation thérapeutique et le repérage des problèmes sociaux, et sans avance de frais. Avec les sages-femmes, les généralistes et la psychologue, elle voudrait mettre en place un dispositif pour les femmes victimes de violences, notamment conjugales. Une sage-femme travaille sur les problèmes des populations transsexuelles, j’aimerais participer avec elle à la prise en charge des patients sous trithérapie préventive (PrEP), qui se fait actuellement surtout à l’hôpital. Une autre souhaite intervenir dans les écoles sur le thème de la prévention sexuelle et organiser une journée portes ouvertes pour les jeunes filles dans la future maison, juste pour qu’elles puissent discuter. J’aimerais constituer un réseau d’acteurs locaux pour remettre les patients chroniques à l’effort de façon sécurisée, en exploitant la possibilité offerte depuis 2016 de prescrire du sport aux personnes en ALD.
Nous allons également développer notre formation continue. Le local dispose d’une grande salle de réunion qui nous permet d’accueillir une trentaine de personnes. Avec les autres MSP et les centres de santé installés dans la ville, nous avons prévu d’organiser des séances communes, une fois chez l’un, une fois chez l’autre. Le but est aussi de permettre aux professionnels d’un même territoire de faire connaissance. Il faudrait refonder les anciennes amicales de médecins, qui ont disparu, sur un mode plus actuel.
Les projets ne manquent pas, mais il faut compter avec les institutions impliquées, ce qui prend du temps. Nous allons procéder progressivement, sans doute en commençant par le projet Asalée.
En région parisienne, oui. Nous avons besoin d’une surface importante, ce qui est rare et cher, d’autant que dans notre secteur, les prix explosent. Nous avons trouvé un local au deuxième étage d’un immeuble destiné aux professionnels, avec un service de médecine du travail au premier, ce qui est très bien ! La difficulté est d’emprunter. Les banques ne prennent aucun risque, notamment parce que beaucoup ont été échaudées par des impayés sur des projets semblables... Nous ne nous y attendions pas du tout : le projet est solide, nous avons monté une SCI avec sept investisseurs qui gagnent bien leur vie, la somme pour chacun est raisonnable, nous sommes soutenus par l’ARS, qui s’est engagée à hauteur de 250 000 euros pour l’acquisition du local et les travaux. Au passage, un conseil : ne dites jamais à un banquier que vous avez une aide financière. Pour lui, cela signifie qu’il peut vous avancer moins ! Obtenir un prêt a été très compliqué, long et stressant, chacun ayant des engagements par ailleurs.
Nous avons demandé à l’ARS une autre aide à l’installation, de 100 000 euros, que nous ne percevrons qu’à l’ouverture du local. Nous sommes en discussion avec la région pour un montant de 150 000 euros. La municipalité ne subventionne pas les libéraux : elle privilégie ses trois centres de santé.
Le problème majeur de ces financements, c’est leur articulation : les uns dépendent des autres... Nous ne sommes pas autorisés à démarrer les travaux tant que nous n’avons pas l’attestation de conformité du local avec la réception du public. Ça prend 3 à 4 mois, pendant lesquels il ne se passe rien !
D’abord constituer une équipe et un projet et seulement ensuite chercher un local. Bien s’entourer. Nous avons été remarquablement bien accompagnés par l’ARS et l’URPS de notre région : ils savent cadrer les choses tout en nous laissant une très forte autonomie. Ensuite, on peut procéder de deux façons. La première est de faire appel à un cabinet conseil mandaté par l’ARS. Nous y étions réticents parce que nous voulions vraiment garder la main. Aussi nous avons opté pour une autre solution : nous avons engagé un expert-comptable pour la partie financière, un avocat pour le juridique (notamment pour l’écriture des statuts de la SCI et de la MSP) et un architecte. Il est hors de question de bricoler : il faut confier à des personnes expérimentées ce que nous ne savons pas faire. Tout cela implique d’investir du temps, de l’énergie et de l’argent sur la durée, avec des gens qui ne sont pas encore formellement des collègues. C’est très délicat humainement et générateur de beaucoup d’angoisse. Le risque est modéré, mais il existe quand même.
Tout à fait. Mon doctorat obtenu, j’ai fait de nombreux remplacements pendant environ trois ans, dans des structures très différentes les unes des autres : cliniques privées, urgences hospitalières, SOS médecins, consultations de traumatologie, services de rééducation, cabinets classiques, centres de santé. J’ai choisi l’installation libérale en cabinet parce que c’est le statut qui respecte le mieux mon indépendance. Je gère mon planning comme je l’entends, d’autant plus qu’aujourd’hui les outils informatiques facilitent cette organisation. Ça ne m’empêche pas de passer parfois une heure avec un seul patient. Le libéral, ce n’est pas de l’abattage. Je travaille entre 35 et 45 heures par semaine, ce qui m’assure un revenu confortable sans être mirobolant. Quand je suis franchement fatigué ou que j’ai d’autres engagements que le cabinet, je fais des trous dans mon planning et parfois même diffère des consultations ! Ça ne regarde que ma conscience professionnelle. Quand vous êtes salarié, vous avez forcément des comptes à rendre et vous pouvez vous voir imposer des conditions de travail qui ne vous conviennent pas.
En revanche, dès mon installation, j’avais en tête la création d’une MSP. Mais j’ai d’abord choisi un cabinet individuel parce que je ne voulais pas rejoindre une maison déjà existante, je voulais participer à sa construction. En outre, ce type d’exercice me permettait de prendre mes marques, en quelque sorte. Cela étant, je suis dans une structure où d’autres médecins et professionnels de santé exercent, ce qui est à la fois sympathique et utile.
Je ne suis pas sûr que ce soit une préférence : on leur rebat les oreilles avec les difficultés de l’installation, le travail administratif (alors qu’il y a aussi de la paperasse quand on est salarié !), les charges financières monstrueuses qui empêchent de bien gagner sa vie, etc. Comment avoir envie d’être libéral dans ces conditions ?
Monter une MSP est difficile, mais pas s’installer seul en libéral, contrairement à ce qu’on nous laisse entendre pendant toutes nos études. Personnellement, ça ne m’a pris qu’un mois. Le risque n’est pas bien grand : il y a du travail à revendre !
On dit aussi que les jeunes privilégient les remplacements. Sans doute au début de leur vie professionnelle, pour multiplier les expériences, comme je l’ai fait. Mais j’ai arrêté parce que j’avais le sentiment de passer à côté de ce qui fait la beauté du métier de généraliste, de médecin de famille. Je ne suis pas installé depuis deux ans et je suis pourtant des enfants qui n’avaient que huit jours quand je les ai vus pour la première fois. Une maman a même découvert sa grossesse au cabinet, à l’occasion d’une échographie ! Depuis, elle est ici quasiment comme chez elle !
Je crois qu’il ne faut faire que ce qu’on aime. C’est mieux pour soi et pour les patients. Le jour où j’en ai assez, j’arrête, bien entendu en assurant la transition avec mon successeur. Mais je ne vois pas pourquoi je devrais me sentir bloqué pendant 35 ans, comme on nous le fait craindre à la fac. Le diplôme de médecin permet une liberté de choix extraordinaire.
Je suis aussi médecin du sport et travaille avec la Fédération française de boxe française. J’aimerais avoir une consultation spécialisée dans une clinique.
Je vais être généraliste enseignant à partir de cette rentrée, plus spécialement chargé du suivi de l’installation des jeunes médecins. Nous allons proposer aux internes des stages en MSP et en centres de santé, pour qu’ils acquièrent l’expérience de deux types d’exercice coordonné.
Avec d’autres professionnels, nous sommes en discussion pour monter une CPTS (communauté professionnelle de territoire de santé), qui est une idée superbe. Il est important que l’initiative vienne des professionnels. L’ARS pourrait cependant apporter un appui précieux en termes d’organisation et de management en mettant à disposition une équipe de terrain expérimentée, ne serait-ce que pour aider à répartir les rôles et les aides financières.
Enfin, je suis syndiqué depuis peu. J’y vois plusieurs intérêts : défendre ses droits, bien sûr ! Mais aussi échanger avec des collègues qui ont les mêmes problématiques et les mêmes aspirations, imaginer l’exercice de demain, remettre en cause ses propres modes de fonctionnement, être au courant des évolutions du système de santé. On n’en connaît pas grand-chose à la fin de nos études. Certains ne savent même pas ce qu’est une convention médicale !
Propos recueillis par Serge Cannasse
journaliste et animateur du site
carnetsdesante.fr
Asalée : un mode de prise en charge à cultiver…
Asalée (Action de santé libérale en équipe) est un dispositif de coopération locale entre un ou plusieurs généralistes et une ou plusieurs infirmières, salariées ou libérales, créé en 2004.
Objectifs : améliorer la prise en charge des patients en leur donnant du temps pour exposer leurs problèmes au cours d’une consultation infirmière et économiser du temps médical grâce à la délégation d’actes techniques. Aujourd’hui, les infirmières Asalée sont formées à l’éducation thérapeutique et reçoivent des malades adressés par des généralistes pour partager leur suivi au sein de 4 protocoles : dépistage et prise en charge du diabète, suivi des patients à risque cardiovasculaire, dépistage de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et des troubles cognitifs.
Le dispositif est porté par une association loi 1901 et se développe surtout dans les MSP. Au 31 décembre 2017, il concernait 533 infirmières, représentant 267 équivalents temps plein, exerçant dans 753 cabinets avec 1 959 médecins.
CPTS : une approche populationnelle
Les communautés professionnelles territoriales de santé rassemblent les professionnels d’un même territoire qui prennent l’initiative de se regrouper autour d’un projet de santé pour répondre à des problématiques communes : organisation des soins non programmés, coordination entre établissements de santé et professionnels, coopérations médecins-infirmiers, etc. Elles n’impliquent pas l’exercice des professionnels dans un même local. Elles incarnent une démarche « populationnelle » au sens où leur enjeu pour les professionnels est de s’impliquer dans la santé de la population d’un territoire et non d’une patientèle attitrée.