Affichant une séroprévalence de plus de 90  % chez les adultes, le virus d’Epstein-Barr (EBV) reste latent et asymptomatique toute la vie pour la majorité de la population, après une primo-infection le plus souvent infantile et asymptomatique – mais qui peut aussi se manifester par une mononucléose. Toutefois, le virus peut se réactiver chez certaines personnes et devenir un facteur de cancérogenèse, notamment dans des cellules lymphocytaires ou épithéliales  ; il est classé parmi les cancérogènes certains par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). L’EBV joue en effet un rôle établi dans l’induction de quelques cancers – certains lymphomes (de Burkitt, de Hodgkin), carcinome du nasopharynx (95  % des cas attribuables à l’EBV), carcinome lympho-épithélial, certains cancers de l’estomac. Au total, la petite dizaine de cancers associés à l’EBV est responsable d’environ 1,8  % de la mortalité mondiale par cancer. Cependant, une forte activité de l’EBV – indiquée par le marqueur des anticorps IgA anti-VCA (une protéine de la capside virale de l’EBV) – est suspectée jouer un rôle dans l’apparition d’un spectre beaucoup plus large de cancers.

Afin d’étudier cette hypothèse, des chercheurs ont mené une étude prospective de cohorte sur deux sites de la Chine du Sud impliqués dans le dépistage du carcinome du nasopharynx. Leur analyse a évalué l’association entre risque de cancer (par type et tous types confondus) et statut sérologique en IgA anti-VCA indiquant une réactivation ou une infection persistante par l’EBV. Le critère de jugement principal était le diagnostic de tout type de cancer.

Les deux cohortes prospectives étudiées comprenaient 73 939 adultes  : 29 026 participants de la ville de Zhongshan (âge médian = 46 ans  ; 49,1  % de femmes  ; 6,6  % de séropositifs aux IgA anti-VCA) et 44 913 participants de la ville de Wuzhou (âge moyen = 47 ans  ; 59,7  % de femmes  ; 5,6  % de séropositifs aux IgA anti-VCA). Pendant un suivi de près de dix ans, 1 990 participants ont développé un cancer. Les individus séropositifs aux IgA anti-VCA avaient un risque environ cinq fois plus élevé de développer un cancer quel qu’il soit que les patients séronégatifs (hazard ratio [HR] = 4,88). Le risque total de cancer était d’autant plus important que le taux d’IgA anti-VCA était élevé. Toutefois, ce risque et sa significativité sont fortement revus à la baisse en excluant des analyses le risque de carcinome du nasopharynx (HR = 1,34). Le risque pour ce dernier cancer est, en effet, beaucoup plus élevé parmi les séropositifs (HR = 26) – ce cancer étant lié à l’EBV. Les chercheurs observent aussi que les séropositifs ont un risque significativement plus élevé d’avoir un lymphome (HR = 3,20), un cancer du poumon (HR = 1,76) ou encore un cancer du foie (HR = 1,70).

Selon les auteurs, 58,5  % des cas de cancers chez les séropositifs aux IgA anti-VCA de leur cohorte étaient attribuables à l’EBV. Au total, 7,8  % des cancers pourraient être attribués à cette séropositivité. Bien que ces résultats ne soient pas généralisables (l’incidence du carcinome du nasopharynx lié à l’EBV étant particulièrement élevé en Chine du sud), ils élargissent le spectre des cancers associés à l’EBV, jusqu’alors sous-estimé. Ces données nécessitent davantage de recherches pour élucider le rôle de l’EBV dans la carcinogénèse, ainsi que pour mieux comprendre la contribution d’une réactivation virale dans le risque accru de différents cancers.

Références
Nature Com 2025;16(1):5940. Ji MF, He YQ, Tang MZ, et al. Epstein Barr virus antibody and cancer risk in two prospective cohorts in Southern China.PMID: 40592923