La perte de masse et de fonction musculaires (sarcopénie), dont la prévalence augmente avec l’âge, est fortement associée à une morbidité accrue – risques de chute, de fracture, perte d’indépendance… – et à une mortalité précoce. Son diagnostic repose sur une évaluation de la force de préhension à l’aide d’un dynamomètre manuel – qui renseigne sur la force musculaire du membre supérieur – et/ou la force musculaire des membres inférieurs par le test du lever de chaise. Mais l’impossibilité de lever un poids pourrait-elle devenir une option fiable, plus simple que l’utilisation du dynamomètre, pour dépister cette affection ? C’est ce que suggère une nouvelle étude prospective parue dans Nature Scientific Reports .
La difficulté pour lever et transporter des objets pesant 5 kg est l’un des items du questionnaire SARC-F de dépistage de la sarcopénie, avec des renseignements sur les chutes et les troubles de la marche. Toutefois, l’association de cette difficulté, prise isolément, avec la survenue de différentes pathologies, non seulement musculosquelettiques mais aussi cardiovasculaires, métaboliques ou neurologiques, n’est pas bien connue. C’est ce que les auteurs de cette étude ont voulu explorer, afin d’établir si la difficulté de lever 5 kg peut prédire de façon fiable la survenue des pathologies liées à l’âge dans les années suivantes.
Pour ce faire, ils ont exploité les données de plus de 50 000 personnes âgées de plus de 50 ans vivant dans 15 pays européens et en Israël, issues de l’enquête SHARE (Survey of Health, Ageing, and Retirement in Europe). Les participants ont répondu à des enquêtes, à l’inclusion en 2013 puis lors des suivis réalisés en 2015, 2017 et 2019 - 2020, renseignant leur difficulté (ou non) à soulever un poids de 5 kg, ainsi que des données démographiques et sur leur état de santé, y compris les pathologies diagnostiquées par un médecin. Une évaluation de la force préhensile avec un dynamomètre a aussi été effectuée.
Environ 20 % des participants (N = 10 025) ont déclaré, à l’inclusion, éprouver des difficultés à soulever des objets pesant 5 kg. Les participants n’ayant pas ces difficultés ont servi de groupe comparateur pour estimer, sur la période de suivi (4 ans en moyenne), les risques relatifs de plusieurs maladies – dépression, infarctus du myocarde, HTA, hypercholestérolémie, diabète, fracture de la hanche, arthrite rhumatoïde, ostéoarthrite, Alzheimer, cancer… –, mais aussi de la qualité de vie.
Après avoir ajusté les résultats pour l’âge, le sexe et le pays de résidence, les chercheurs ont conclu que le fait de ne pas pouvoir soulever un poids de 5 kg était associé à un risque accru d’avoir une faible qualité de vie (+ 9,4 %), une dépression (+ 8,1 %), une faible force préhensile (7,4 %) et une arthrose (7 %). Pour les autres pathologies étudiées, un surrisque était aussi présent, mais moins important (entre 1 % et 5 % ; p < 0,05) et non significatif pour le cancer. Enfin, il était plus important chez les hommes que chez les femmes.
Lorsque l’analyse ne concernait que la tranche d’âge de 50 à 65 ans :
- pour les hommes, le fait de ne pas pouvoir soulever 5 kg était associé à un risque accru pour toutes les affections étudiées sauf le cancer ; en particulier, les risques de dépression, de dégradation de la qualité de vie et de diminution de la force préhensile étaient multipliés par 3 environ, par rapport au groupe comparateur ;
- pour les femmes, le surrisque était aussi observé pour toutes les pathologies, sauf la fracture de la hanche et le cancer ; le risque de dépression était multiplié par 2, tandis que celui de dégradation de la qualité de vie par 2,3 et celui d’avoir une diminution de la force préhensile par 2,8.
Malgré les limites de l’étude, notamment le fait qu’elle soit fondée sur des données autodéclarées, les auteurs en concluent que l’incapacité à soulever 5 kg peut être considérée comme un signe annonciateur de l’apparition de plusieurs troubles cardiovasculaires, neurologiques et musculosquelettiques, ainsi que d’une diminution de la qualité de vie après 50 ans.
À ce titre, cette mesure pourrait être utilisée comme un moyen simple et rapide d’évaluer l’état de santé à domicile, étant donné sa simplicité (5 kg étant le poids « d’un chat domestique moyen ou d’une cocotte en fonte », soulignent les auteurs…).