La physiopathologie de cette maladie est complexe. Elle fait intervenir des facteurs vasculaires (hyperplasie vasculaire responsable d’une distension des plexus) et mécaniques (destruction du tissu conjonctif et musculaire responsable d’une hyperlaxité du tissu conjonctif de soutien et d’un déséquilibre des flux vasculaires).
Plusieurs facteurs favorisants sont souvent évoqués : troubles du transit (position assise prolongée aux toilettes, efforts de poussée répétés en cas de constipation, rôle inflammatoire des diarrhées…), contexte hormonal, consommation d’alcool, surcharge pondérale. Parmi eux, l’ingestion de nourriture épicée est le facteur déclenchant le plus communément admis par les patients, mais est-ce que cela est prouvé ?
Une revue de la littérature conduite par une équipe de proctologues en France permet d’y voir plus clair.
Données de la littérature : contradictoires
La littérature sur le sujet est fragmentaire et le niveau de preuves souvent bas. En raison du manque d’études épidémiologiques de vaste échelle, la prévalence même de la maladie hémorroïdaire est mal établie, et ses facteurs déclenchants sont encore moins bien compris.
Certaines études cas-témoins décrivent une consommation d’épices plus importante chez les personnes ayant une pathologie hémorroïdaire par rapport à des sujets contrôles, tandis que d’autres trouvent une consommation moins fréquente. Ces études, conduites dans divers pays (France, Turquie, Inde, Tunisie…), ont cependant de nombreuses limites : caractère rétrospectif et/ou petits échantillons, biais de confusion.
Il existe des essais randomisés mais là encore avec des résultats contradictoires. Deux essais menés en Inde concernant l’effet de la consommation de piment rouge sur la sévérité des symptômes post-opératoires de la chirurgie hémorroïdaire sont arrivés à des conclusions opposées. Un autre essai italien n’a trouvé aucune différence entre les groupes « piment rouge » et « placebo » sur les symptômes de la maladie, mais l’effectif et la durée d’exposition étaient faibles.
Enfin, la définition imprécise de la « nourriture épicée » dans la littérature (composition, quantité, fréquence de consommation…) ajoute à la difficulté et limite les comparaisons entre les études et la portée des conclusions.
Des mécanismes physiopathologiques mal élucidés
Si certaines molécules contenues dans les épices, comme la curcumine ou la pipérine, pourraient avoir des propriétés bénéfiques (anti-inflammatoires, antioxydantes et antimicrobiennes), elles pourraient aussi affecter négativement la sensibilité viscérale et jouer un rôle dans l’hyperalgésie rectale (notamment la capsaïcine contenue dans les piments rouges, qui peut avoir un effet inflammatoire sur la muqueuse).
Leur rôle sur la motricité intestinale (induction de troubles du transit à type de diarrhée) et leur influence sur des facteurs mécaniques (spasmes sphinctériens) et vasculaires, mais aussi sur le microbiote, complexifie le lien que les aliments épicés pourraient avoir avec la pathologie hémorroïdaire.
Que dit la clinique ?
« L’expérience clinique montre un lien clair entre la consommation de certaines épices et la survenue de symptômes hémorroïdaires, mais ce lien est inconstant d’un patient à l’autre », explique le Pr Vincent de Parades, dernier auteur de l’étude
Les épices ne sont probablement pas un facteur de risque majeur de la maladie hémorroïdaire. Si elles l’étaient, une prévalence nettement plus élevée de cette dernière serait observée dans les pays où la consommation de plats épicés est plus élevée, ce qui n’est rapporté ni en pratique courante ni dans la littérature.
Qu’en retenir pour la pratique ?
« En pratique, cela signifie que cela n’a plus de sens de recommander à tous les patients de supprimer les épices de leur alimentation (comme on l’entend encore souvent) », d’après le Pr De Parades.
Pour les patients ayant constaté le rôle néfaste de certaines épices sur leur symptomatologie hémorroïdaire, il leur est bien sûr conseillé de les éviter autant que possible. « Mais ces derniers n’ont en général pas besoin de conseil médical pour les éviter, car ils le font déjà spontanément ! »