Nous ne sommes pas tous égaux face aux altérations du microbiote induite par les additifs alimentaires : C’est la conclusion d’une nouvelle étude de l’Inserm qui a développé un modèle de microbiote humain capable de prédire la sensibilité de chacun à un agent émulsifiant. Une découverte qui pourrait ouvrir la voie à des approches de nutrition personnalisée.

Les arguments témoignant des effets négatifs des aliments ultra-transformés (AUT) sur la santé s’accumulent ces dernières années. Une expertise récente de l’Anses a conclu que, malgré l’absence de définition consensuelle de ce qu’est un AUT, de nombreuses études suggèrent qu’une consommation élevée de ce type de produits – snacks sucrés et salés, confiseries, pâtisseries et boissons sucrées, viandes transformées, etc. – est associée à un risque plus élevé de mortalité et de maladies chroniques comme le diabète de type 2, l’obésité, les maladies cardioneurovasculaires et certains cancers. Les mécanismes qui pourraient expliquer ces effets sont débattus.

Les différents additifs présents dans les AUT – qui servent à en modifier le goût, la couleur, la texture, ou à prolonger leur durée de conservation – ont été impliqués, par exemple, dans des mécanismes pro-inflammatoires. De précédentes études menées par des équipes de l’Inserm ont montré que des agents émulsifiants comme le carboxyméthylcellulose (CMC, ou E466) altèrent la composition du microbiote intestinal, entraînant une dysbiose qui peut fragiliser l’épithélium en favorisant le rapprochement des bactéries de cette paroi (alors que cette première ligne de défense de l’appareil digestif est normalement stérile). Cela peut conduire à une inflammation intestinale chronique et à des dérégulations métaboliques, aggravant potentiellement de nombreuses pathologies inflammatoires comme la maladie de Crohn.

Dans une nouvelle étude, publiée dans Gut , cette même équipe a cherché à comprendre les fortes variations interindividuelles observées en ce qui concerne ces perturbations induites par les émulsifiants. En effet, des essais cliniques ont montré que certaines personnes « sensibles » posséderaient un microbiote très réactif à ces composés, tandis que le microbiote d’autres personnes semblent résistants aux effets négatifs de ces composés.

Les chercheurs ont créé des modèles in vitro de microbiotes humains issus des volontaires de leur précédente étude – des personnes « sensibles » et d’autres « résistantes ». Dans ces modèles in vitro, la sensibilité ou résistance du donneur en question au CMC pouvait être reproduite. Ces réactions ont été ensuite validées grâce au transfert de microbiote dans des souris, à qui du CMC a ensuite été administré : les chercheurs ont observé que seules les souris ayant reçu un microbiote ayant montré une sensibilité in vitro au CMC développaient une colite sévère.

Ensuite, ils ont identifié des signatures spécifiques de la sensibilité de chaque microbiote au CMC, grâce à l’analyse de l’ADN bactérien du microbiote. La sensibilité ou au contraire la résistance de chaque microbiote était en effet associée à des signatures métagénomiques particulières, ce qui ouvre la voie à la possibilité d’utiliser ces analyses moléculaires pour prédire la sensibilité d’une personne aux émulsifiants alimentaires.

Cela pourrait servir, dans le futur, à « proposer à chacun un programme nutritionnel adapté  », explique Benoit Chassaing, dernier auteur de l’étude. Chez les personnes saines, cette approche permettait « d’éviter la survenue de certains troubles intestinaux », tandis que chez les patients souffrant déjà de tels troubles, elle permettrait « d’empêcher la progression de la maladie ou d’en atténuer les symptômes. »

Dans de prochains travaux, cette équipe étudiera une plus grande cohorte de patients atteints de la maladie de Crohn afin de valider ces approches prédictives.

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