Responsable de plus de 5 millions de décès par an dans le monde, la mort subite d’origine cardiaque (MSOC) survient le plus souvent de façon brutale dans une population estimée saine (plus de 50 % des cas), ce qui limite sa prévention.
En effet, dans les populations à haut risque de MSOC, notamment chez les patients ayant une cardiopathie ischémique (qui en est la principale cause), la prévention est fondée sur plusieurs critères, dont la fonction ventriculaire gauche et les antécédents coronariens. La prédiction du risque est alors faite à moyen et long terme. Toutefois, la prévention en population générale sans antécédent cardiaque est plus difficile : il serait alors intéressant de pouvoir identifier les sujets dont le risque de MSOC est imminent – dans les jours, les heures, voire les minutes qui suivent, mais il n’existe pas d’outil validé pour ce type de prédiction actuellement.
Si des études récentes ont, par exemple, montré que la survenue des MSOC est souvent précédée de symptômes, ceux-ci sont peu spécifiques. D’autres pistes sont à l’étude, avec une meilleure valeur pronostique, impliquant notamment l’intelligence artificielle.
C’est ce qu’a accompli une équipe de chercheurs français et américains, en soumettant des électrocardiogrammes (ECG) à un algorithme d’apprentissage profond (deep learning). Leur étude est parue dans l’European Heart Journal .
Plusieurs millions d’heures d’enregistrement analysées
Près de 250 000 ECG réalisés en ambulatoire sur 14 jours ont été exploités par les chercheurs pour entraîner et tester un réseau de neurones artificiels capable de prédire la survenue d’une tachycardie ventriculaire persistante (> 30 secondes) – qui est l’un des mécanismes principaux de la MSOC.
Les ECG, provenant de 6 pays (États-Unis, France, Royaume-Uni, Afrique du Sud, Inde et République tchèque), ont été collectés entre 2019 et 2024 ; 183 177 d’entre eux ont été utilisés pour développer l’algorithme, en prenant les premières 24 heures des enregistrements pour déceler les caractéristiques des patients qui ont eu, dans les 13 jours suivants, une tachycardie ventriculaire soutenue.
L’algorithme détecte 70 % des sujets à risque
Au moins une tachycardie ventriculaire persistante a été observée dans 0,5 % des enregistrements (au-delà des premières 24 heures). Parmi ces patients, les raisons qui avaient conduit à réaliser l’ECG ambulatoire étaient principalement des palpitations, des extrasystoles ventriculaires et une fibrillation atriale.
Lorsque les performances de l’algorithme ont été évaluées sur les cohortes de validation interne (N = 43 580) et externe (N = 20 497), il était capable de détecter les patients à risque de tachycardie ventriculaire dans 71 % et 66 % des cas respectivement ; la valeur prédictive négative (détection correcte des patients sans risque) était supérieure à 99 % dans les deux cohortes.
Des études cliniques prospectives sont encore nécessaires pour valider les résultats de cette analyse rétrospective et tester l’efficacité de l’algorithme en conditions réelles. Selon les auteurs de l’étude, une fois que ses performances seront affinées, il pourrait servir à surveiller les patients à l’hôpital, voire à détecter les sujets à risque en ambulatoire en l’intégrant à des holters ou encore à des montres connectées.
Cela pourrait constituer « un changement de paradigme dans la prévention de la mort subite », selon le Pr Éloi Marijon (hôpital européen Georges-Pompidou, Université Paris Cité), dernier auteur de l’étude : être capable de prédire ce type d’événements cardiaques à très court terme permettrait « d’agir avant qu’il ne soit trop tard ».
Inserm. L’intelligence artificielle au service de la prévention de la mort subite. 30 mars 2025.
À lire aussi :
Nobile C. Entretien avec le Pr Christian Spaulding. Peut-on prédire la mort subite d’origine cardiaque aujourd’hui ? Rev Prat (en ligne) 7 novembre 2023.