Les artistes, et en particulier les musiciens, ont un risque accru vis-à-vis de certaines maladies, physiques comme psychiques. Ces pathologies nécessitent d’abord de s’intéresser à leur pratique. Le Dr André-François Arcier nous confie toutes les particularités de la « médecine des arts » pratiquée à la Clinique du musicien. 

Pourquoi les artistes et musiciens ont-ils besoin d’une spécialité médicale à part entière ?

La pratique artistique engendre des problèmes de santé spécifiques, physiques (pathologies fonctionnelles liées à la pratique d’un instrument de musique, par exemple) et psychiques (vulnérabilité accrue à l’anxiété, burn out, etc.). Il s’agit de métiers extrêmement exigeants et qui constituent souvent la « raison de vivre » de ces patients ; or un problème de santé physique et/ou mentale peut facilement entraîner des conséquences sur l’évolution de leur carrière, voire y mettre fin.

C’est pourquoi il est important de prévenir, diagnostiquer précocement et prendre en charge de manière spécifique ces pathologies. C’est ce que nous faisons à la Clinique du musicien : cette structure dédiée à la santé des musiciens propose des consultations-conseils avec une approche pluridisciplinaire, où chacun des membres de l’équipe de professionnels de santé est formé à comprendre les besoins uniques de cette population, ainsi qu’à la prise en charge rééducative et éducative de la performance artistique.

Quelles sont les pathologies du musicien les plus fréquentes ? Les enfants sont-ils concernés ? 

La majorité des consultations-conseils concernent des troubles musculosquelettiques spécifiques liés à la posture lors de la pratique. Du fait de l’exigence des pratiques instrumentales, de la répé­titivité du mouvement, de l’intensité et du temps de jeu, de la situation anxio­gène liée à la performance en ­public et autres facteurs environnementaux, les musiciens sont à haut risque de patho­logies telles que : 

  • le syndrome de surmenage ; il touche 60 % des musiciens et est souvent associé à des postures et des gestes non ­physiologiques ;
  • le syndrome de compression nerveuse concerne 20 % des musiciens. La compression, le plus souvent fonctionnelle, peut se situer à différents niveau du membre supérieur.

La dystonie de fonction est un trouble neurologique fonctionnel qui affecte 1 à 2 % des musiciens de haut niveau, avec trois caractéristiques typiques : trouble involontaire du mouvement, absence de douleur, survenue spécifi­quement à l’instrument. Il est donc essentiel d’examiner le musicien avec son instrument.

Nous rencontrons régulièrement des cas cliniques singuliers en relation avec la pratique : pharyngocèles chez les instrumentistes à vent, insuffisance vélaire, troubles liés à l’embouchure, etc.

Par ailleurs, de nombreuses pathologies sont susceptibles d’affecter plus ou moins sérieusement la pratique : la rhizarthrose, les suites d’un accident vasculaire cérébral, la reprise après un traumatisme, etc.

Chez les enfants, les syndromes de compression nerveuse sont rares, et la dystonie de fonction n’est jamais observée. Le plus souvent, il s’agit de syndrome de surmenage ou de mauvaise utilisation avant un concours, lors d’un stage, d’un changement de répertoire ou de professeur. Il est important d’être attentif au suivi et à l’hygiène dentaire des jeunes instrumentistes à vent. 

Outre leur santé physique, les artistes sont également confrontés à des risques psychopathologiques. En effet, les musiciens jouent souvent dans des contextes de haute performance ou/et dans des situations particulièrement stressantes où le jugement du public et des pairs a une importance majeure.

Qui dit pathologie spécifique dit prise en charge spécifique. En quoi consiste-t-elle ?

L’écoute et le temps que l’on accorde aux échanges avec le patient-musicien revêtent une importance majeure à la Clinique du musicien, pour instaurer un climat de confiance ; le musicien peut se confier librement.

La consultation-conseil pour le musicien se déroule en deux temps : classique, en dehors de l’instrument, puis, dans un deuxième temps, à l’instrument (piano, batterie, violoncelle, etc.).

Cette stratégie permet de recueillir de nombreuses informations, par exemple lorsqu’il s’agit d’une techno­pathie : la posture est-elle adéquate ? quelle est l’organisation du geste, existe-t-il des mouvements compensatoires pour éviter une douleur ou faciliter telle performance ? Habitudes alimentaires, sommeil, activité physique, activités domestiques sont autant d’éléments à recueillir qui permettent de conseiller au mieux le musicien.

La pluridisciplinarité permet une discussion partagée et de définir une prise en charge optimale dans laquelle le ­musicien n’est pas considéré comme un patient mais comme un partenaire. 

Au sein de la Clinique du musicien, nous proposons également des techniques psychocorporelles afin d’améliorer la proprioception et le bien-être des patients.

Enfin, dans le cadre plus global de l’association Médecine des arts (encadré), nous disposons d’un réseau de spécialistes ORL (problèmes auditifs), chirurgiens de la main, luthiers (ergonomie des interfaces instrumentales), etc. L’ensemble de ces moyens d’action fait que la consultation-conseil et ses différentes propositions de prise en charge s’inscrivent dans une démarche singulière, pluridisciplinaire et holistique centrée sur l’artiste et sa pratique. 

Le médecin généraliste est souvent le premier recours : quels conseils pratiques délivrer pour une prise en charge optimale ?

Demander le métier, la pratique instrumentale de chaque patient est essentiel pour orienter efficacement sa prise en charge. Analyser et comprendre la ­réalité de la pratique musicale permet de déceler les pathologies fonctionnelles les plus caractéristiques des musiciens et orienter efficacement et à bon escient : urgences mains pour ne pas retarder une prise en charge spécifique en cas de pathologie avérée de la main du musicien ; consultation-conseil à la Clinique du musicien ; ORL pour une urgence auditive, luthier formé pour une adaptation de l’instrument, etc. 

Il est important de conseiller de faire des pauses régulières, de s’échauffer avant le jeu, d’éviter les sports et les pratiques physiques à risque tout en maintenant une activité physique régulière, mais aussi de consulter lorsqu’un trouble inhabituel ou une douleur survient. 

En présence de signes de souffrance ­psychique, d’une anxiété de performance au-delà du trac physiologique, l’orientation vers un psychologue ou un psychiatre plus volontiers formé aux techniques cognitivo-compor­tementales peut s’avérer nécessaire. La prévention des maladies physiques et psychiques est essentielle chez les musiciens. Enfin, à l’instar du sportif, une hygiène de vie saine est essentielle : les conseils hygiéno-diététiques (alimentation variée et équilibrée, pratique d’une activité physique, sommeil réparateur) sont indispensables.  

Encadre

« Médecine des arts », pas seulement une surspécialité médicale…   

L’association Médecine des arts, créée en 1989 par André-François et Huguette Arcier, est dédiée à la santé des artistes, quelle que soit leur pratique. Cette surspécialité médicale se concentre sur la santé et le bien-être des artistes, qu’ils soient musiciens, danseurs, acteurs, peintres ou autres professionnels des arts. Elle a pour but premier de les soutenir, leur prodiguer des conseils dans le domaine de la santé et du bien-être et de prévenir les risques physiques et psychiques liés à leur pratique. 

La Clinique du musicien, fondée en 2001, constitue l’un des aboutissements de ce concept. C’est également un lieu de recherche clinique puisqu’elle voit passer un grand nombre de cas encore non décrits dans la littérature et certaines pathologies spécifiques aux musiciens. Cet établissement comprend également en son sein un institut de formation spécialisé dans la santé des artistes. Ainsi le cursus Médecine des arts-musique (181 heures d’enseignement) a permis de constituer un réseau national de praticiens et de thérapeutes sensibilisés et spécifiquement formés à la santé des musiciens dans ses différentes composantes. 

Le département Médecine des arts en scène accompagne quant à lui les artistes dans les festivals (Eurockéennes de Belfort, entre autres) et sur les tournées.

D’autres actions de sensibilisation sont organisées tout au long de l’année, comme la Semaine santé des artistes (SESART) [www.semainesantedesartistes.com], qui aura lieu du 19 au 25 mai 2025 partout en France et à l’étranger avec de nombreux événements à la Clinique du musicien, ou le congrès annuel Médecine des arts (11 avril 2025, Cannes). 

Médecine des arts est enfin une revue médico-scientifique des pratiques artistiques, spécialisée dans la santé des musiciens, instrumentistes, chanteurs, danseurs, circassiens, etc.

Pour en savoir plus 
www.cliniquedumusicien.com
www.medecine-des-arts.com
Joubrel I, Robineau S, Pétrilli S, et al. Pathologies de l’appareil locomoteur du musicien : étude épidémiologique. Annales de réadaptation et de médecine physique 2001;44(2);72-80. 
Arcier AF. Le trac. Stratégies pour le maîtriser.  Éd. AleXitère-Médecine des arts.
Prévention des pathologies des musiciens. Sous la direction du Pr Raoul Tubiana. Éd. AleXitère-Médecine des arts.