Mis en place en 2017 en France, le Nutri-Score – logo qui informe le consommateur sur la qualité nutritionnelle globale des aliments – a vu son mode de calcul révisé en 2024 pour mieux s’adapter aux recommandations de santé européennes tout en tenant compte des avancées scientifiques. Quoi de nouveau dans cette version ? Quand sera-t-elle déployée en France ? Doit-on craindre la pression des industriels qui s’opposent à l’obligation de son apposition au détriment de la santé publique ? Le Pr Serge Hercberg, épidémiologiste et chercheur en nutrition, nous répond.
Qu’est-ce qui a changé dans la nouvelle version du Nutri-Score et quelles sont les conséquences ?
Lorsque le Nutri-Score a été proposé puis adopté en 2017, il avait été décidé de faire des mises à jour régulières de son algorithme. L’objectif de ces actualisations est, d’une part, d’intégrer les évolutions des connaissances scientifiques sur les relations entre les aliments et la santé et, d’autre part, de s’adapter au développement rapide du marché de l’alimentation (nouveaux produits ou reformulations de produits). Par ailleurs, depuis le déploiement de ce logo en 2017, nous avons acquis du recul, ce qui permet de l’amender pour accroître sa compréhension par le consommateur.
Ainsi, en 2022, la structure transnationale de « gouvernance » du Nutri-Score – regroupant les gouvernements des sept pays européens qui l’ont adopté (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Luxembourg, Pays-Bas et Suisse) – a mandaté un comité scientifique d’experts indépendants sans lien d’intérêts. Ces derniers ont conclu, dans deux rapports datant de 2022 et 2023, que le dispositif était utile et avait un fort intérêt mais qu’il y avait des marges d’amélioration. Le comité a alors proposé des modifications visant à pénaliser davantage les produits à haute teneur en sucre (céréales pour petit déjeuner, yaourts à boire…) et en sel (plats préparés), les édulcorants dans les boissons, les viandes rouges – dont la surconsommation est délétère –, à améliorer le score des aliments riches en fibres (aliments complets), celui de certaines matières grasses comme les huiles d’olive et de colza – dont il a été démontré qu’elles sont plus saines que d’autres huiles végétales – mais aussi celui de certains fromages dès lors qu’ils sont moins gras et moins salés. Ces ajustements de l’algorithme ont permis de réviser le score d’environ 30 % des aliments, très souvent dégradés dans leur notation, afin d’être plus en cohérence avec les recommandations nutritionnelles de santé publique. Dorénavant, 87 % des aliments ultratransformés sont classés C, D ou E.1
Pourquoi cette nouvelle version n’a-t-elle toujours pas été adoptée en France ?
À la suite du rapport de 2023,2 la gouvernance transnationale du Nutri-Score a entériné ces modifications de l’algorithme, menant à la rédaction d’un arrêté pour modifier sa formulation initiale (qui datait de 2017). La procédure législative nécessitant une notification à la Commission européenne étant longue, les formalités ont finalement abouti en avril 2024. Bien que la France ait vu se succéder plusieurs gouvernements en seulement quelques mois, rien ne s’oppose, à l’heure actuelle, à l’adoption du nouveau Nutri-Score... si ce n’est un possible blocage au niveau du ministère de l’Agriculture, sans doute plus sensible aux pressions des lobbies (industriels de l’agroalimentaire, syndicats agricoles, producteurs de viande, de fromage, de produits laitiers…) qui rejettent massivement l’actualisation du Nutri-Score puisqu’elle dégrade la note de leurs produits.
Paradoxalement, la France, créatrice* du Nutri-Score et premier pays à l’avoir déployé, est le seul des sept pays européens l’ayant adopté à n’avoir pas encore mis en place la nouvelle version, pourtant plus performante et bénéfique pour la santé du consommateur.3 L’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse l’ont adoptée depuis le 1er janvier 2024, l’Espagne et le Luxembourg quelques semaines plus tard. On comprend alors qu’il y a une véritable obstruction à son déploiement, au profit d’intérêts purement politiques et économiques, sous couvert d’argumentaires pernicieux (encadré).
Il est de notre ressort à tous, scientifiques, professionnels de santé, médias, et plus largement consommateurs avertis, de communiquer sur ce blocage : plus de 1 750 professionnels de santé ont signé des tribunes réclamant non seulement l’instauration du nouveau Nutri-Score mais aussi l’obligation de son affichage en France !4,5 Les associations de consommateurs et de patients se mobilisent également pour avoir la liberté d’acheter des produits en étant informé, pour pouvoir faire un choix éclairé.6,7 La demande sociétale est extrêmement forte, raison pour laquelle les politiques ne doivent pas céder aux pressions des lobbies.
En complément du Nutri-Score, quelles stratégies permettraient de pénaliser les produits alimentaires délétères pour la santé ?
Outre l’information du consommateur – vocation du Nutri-Score –, il est important de mettre en place d’autres mesures qui visent à rendre moins facilement accessibles les aliments qui ne sont pas favorables à la santé et, à l’inverse, à rendre plus accessibles ceux qui le sont.
Dans ce sens, le Haut Conseil de la santé publique a proposé de taxer les produits classés D ou E par le Nutri-Score et/ou les aliments ultratransformés.8A contrario, des subventions pourraient être allouées aux produits bien classés et aux produits bruts – ce qui en diminuerait le coût pour le consommateur – afin de favoriser la consommation de produits à haute qualité nutritionnelle.
Une réglementation du marketing, et notamment de la publicité, pourrait être mise en place pour empêcher les stratégies commerciales qui poussent à la consommation des produits dont la consommation excessive est délétère : il s’agirait d’interdire la publicité d’aliments mal classés au Nutri-Score et/ou ultratransformés et, à l’inverse, d’encourager la mise en avant d’aliments dont la composition nutritionnelle est favorable à la santé.
Le Nutri-Score pourrait servir de base à la mise en place de ces réglementations (taxations, subventions, régulation du marketing) qui apparaissent complémentaires, synergiques, et peuvent réellement permettre d’initier un changement dans le comportement alimentaire des populations, pour réduire le risque de survenue de maladies chroniques.
Diverses applications pour smartphones permettent d’obtenir le Nutri-Score de produits même en l’absence de son affichage. Est-ce une bonne alternative ? Lesquelles conseiller ?
Beaucoup d’applications ont repris le Nutri-Score, certaines étant plus sérieuses que d’autres.
Par exemple, l’application Yuka utilise le Nutri-Score pour 60 % de la note de synthèse qu’elle attribue à chaque produit, à laquelle s’ajoutent des points négatifs en fonction de la présence de pesticides et d’additifs, pondérés d’un pourcentage aléatoire (respectivement 10 % et 30 %), sans véritable fondement scientifique. Concernant les additifs, des interrogations demeurent : beaucoup n’ont pas fait encore l’objet de travaux scientifiques ; il existe des effets dits « cocktails » et synergiques de certains de ces additifs non pris en compte. Si aucune autorité de santé publique n’a agrégé l’ensemble de ces différentes dimensions dans un même algorithme, c’est que nous n’avons pas scientifiquement les moyens de le faire. Il vaut mieux donner les informations séparément (composition nutritionnelle, ultratransformation/additifs et résidus de pesticides).
Open Food Facts est une application très sérieuse, puisque qu’elle collabore avec de nombreux scientifiques depuis plusieurs années et est soutenue par Santé publique France.9 Il s’agit d’une structure associative à but non lucratif composée de bénévoles. Elle fournit, en plus du Nutri-Score, des informations factuelles sur le caractère ultratransformé (ou non) du produit, s’il s’agit (ou non) d’un aliment « bio », le tout reposant sur des bases scientifiques. Elle peut tout à fait être la référence dans le domaine, notamment pour les produits n’affichant pas le Nutri-Score.
L’UFC-Que choisir a également développé une application de bonne facture, pouvant être utilisée par le consommateur.
Néanmoins, même si toutes ces applications proviennent d’une bonne intention – contournant ainsi le fait que certaines marques, sous couvert du caractère volontaire de l’apposition du Nutri-Score, exercent leur droit de ne pas l’afficher –, faire les courses en scannant tous les produits est long et fastidieux. Il faudrait donc, à terme, que tous ces éléments soient affichés systématiquement, indépendamment les uns des autres et de façon obligatoire, sur la face avant de tous les produits du marché alimentaire. Par exemple, nous avions l’idée d’identifier tous les aliments ultratransformés par un bandeau noir autour du Nutri-Score. Ces éléments graphiques permettraient de faire un choix éclairé dans les premières millisecondes de l’acte d’achat, validé par une étude scientifique.10 À noter que pour les pesticides, il existe déjà le logo « Agriculture biologique ».
Le Nutri-Score est un outil de prévention. Comment s’en emparer en médecine générale ?
Les médecins généralistes ont un rôle important à jouer dans la prévention nutritionnelle et dans la prise en charge des pathologies liées à la nutrition. Le Nutri-Score peut leur être extrêmement utile, dans le huis-clos de la consultation, pour sensibiliser le patient sur le fait qu’il existe un outil de santé publique, validé par la science, soutenu par les pouvoirs publics, qui permet d’orienter les choix alimentaires vers des produits de bonne qualité nutritionnelle bénéfiques à la santé.
Ils pourraient également rappeler que le Nutri-Score n’est pas une norme qui oblige uniquement à la consommation d’aliments classés A ou B mais bien un outil comparateur intuitif permettant de choisir une alternative plus favorable à la santé, et qu’en cas de consommation de produits moins bien classés (D ou E), celle-ci doit rester occasionnelle et en moindre quantité.
C’est aussi un moyen de s’y retrouver dans la « jungle » de produits alimentaires proposés dans les supermarchés où la pression exercée par le marketing ne fait que s’accroître pour encourager la consommation, vantant par exemple des pseudovaleurs santé de certains produits en réalité délétères.
Mieux connaître les arguments des lobbies pour les contrer efficacement
Les lobbies ont toujours tenté de discréditer la science et les travaux des chercheurs qui en sont à l’origine dès lors qu’ils vont à l’encontre de leurs intérêts économiques, par exemple en critiquant la méthodologie employée. Mais, depuis peu, une nouvelle stratégie a été mise en place : les lobbies considèrent le fait qu’un outil de santé publique ait été développé par des chercheurs académiques représente un conflit d’intérêts… avec la science ! Cet argument vise à annihiler les travaux de dizaines de chercheurs du monde entier – pourtant experts en nutrition et en santé publique – et à minimiser leurs propres conflits d’intérêts d’ordre économique.11
Il est également important de ne pas méconnaître la stratégie marketing qui consiste à prêter une image « santé » à des produits (yaourts à boire, boissons protéinées...) par ailleurs riches en sucres ajoutés. Cette manœuvre – censée être régulée par un article du règlement européen de 200612 qui prévoit de conditionner ces allégations aux profils nutritionnels des aliments mais qui n’a toujours pas été appliqué – est employée le plus souvent par les marques qui refusent d’afficher le Nutri-Score sur certains de leurs produits, voire sur tous. Elle a pour but de valoriser les teneurs en protéines, calcium et/ou diverses vitamines (B6, D…) et à noyer parmi toutes ces informations la quantité totale de sucres. À cela s’ajoute l’affichage d’allégations telles que « soutient le système immunitaire », « protège les cellules du stress oxydatif » ou encore « réduit la fatigue ». Si ces arguments « santé » n’ont pas été scientifiquement prouvés, les effets délétères de leur teneur élevée en sucre ont, quant à eux, été clairement démontrés…13
2. Gouvernance transnationale du Nutri-Score. Rapport d’activité de 2023.
3. The Conversation. Nutri-Score : sa révision n’est toujours pas officialisée en France. 7 janvier 2025.
4. Le Monde. Rendre le Nutri-Score obligatoire en Europe est une urgence de santé publique ! 24 octobre 2024.
5. European scientists and health professionals supporting Nutri-Score. Why the european commission must choose the Nutri-Score nutrition label. 2023. https://bit.ly/3PQD1qo
6. https://afef.asso.fr/actualites/nutri-score/
7. https://bit.ly/42msgDU
8. Haut Conseil de la santé publique. Avis relatif à l’élaboration de la Stratégie nationale Alimentation, Nutrition, Climat (SNANC). 6 avril 2023.
9. Santé publique France. Santé publique France et Open Food Facts s’associent pour renforcer l’ouverture des données sur les produits alimentaires et favoriser l’utilisation du Nutri-Score. 6 décembre 2018. https://bit.ly/40xzjXG
10. Srour B, Hercberg S, Galan P, et al. Effect of a new graphically modified Nutri-Score on the objective understanding of foods’ nutrient profile and ultraprocessing: A randomised controlled trial. BMJ Nutr Prev Health 2023;6(1):108-18.
11. Hercberg S, Galan P, Deschasaux-Tanguy M, et al. Nutri-Score : quand les lobbies économiques accusent les chercheurs académiques de conflit d’intérêts avec… la science ! Rev Prat 2024;(9);951-2.
12. Journal officiel de l’Union européenne. Rectificatif au règlement (CE) n° 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires. 30 décembre 2006. https://bit.ly/4jFUyj0
13. Hercberg S, Touvier M, Julia C et al. Quand l’« arbre des allégations » cache la « forêt des sucres »… Blog Nutri-Score de recherche en épidémiologie nutritionelle (EREN) Inserm/Inrae/Cnam/Université Sorbonne Paris Nord. https://bit.ly/4jta8OC