L’oncologie médicale est une discipline en perpétuelle évolution qui a pour rôle de définir les stratégies systémiques pertinentes dans la prise en charge des cancers. Ces traitements systémiques peuvent être administrés aussi bien en phase précoce qu’en situation métastatique, à des fins préventives, curatives ou palliatives. Différentes classes thérapeutiques ont été développées et peuvent actuellement être prescrites en monothérapie ou en association de façon séquentielle ou synchrone, en fonction du niveau de risque des cancers et de leur identité biomoléculaire.

Chimiothérapie, traitement historique des cancers

La chimiothérapie cytotoxique est le traitement systémique historique de l’oncologie médicale. Son activité antitumorale repose sur  :

  • son action directe ou indirecte sur l’ADN tumoral en bloquant sa réplication et en empêchant sa transcription ;
  • ou l’empoisonnement du fuseau mitotique qui inhibe les molécules de tubuline et donc la migration polaire des chromosomes pendant la mitose.

Ces mécanismes concourent à une inhibition de la prolifération tumorale ou à une action proapoptique sur des cellules hautement prolifératives que sont les cellules cancéreuses, sans pour autant les cibler spécifiquement. La chimiothérapie reste un maillon essentiel de l’arsenal thérapeutique.

Les associations (synchrones ou séquentielles) visent à agir sur des cibles différentes pour obtenir un effet additif ou synergique sur des phases différentes du cycle cellulaire. Les chimiothérapies innovantes récemment développées ambitionnent d’améliorer les modalités d’absorption, de diffusion ou de ciblage. Le tableau 1 résume les principales classes de chimiothérapie.

Trois générations d’anticorps drogue-conjugués

Les anticorps drogue-conjugués (ADC) ont une structure caractéristique  : un anticorps qui reconnaît la cible cellulaire, une chimiothérapie cytotoxique et un «  linker  », lien rattachant chimiothérapie et anticorps. Ce dernier se lie et forme un complexe avec le facteur transmembranaire cible situé à la surface de la cellule cancéreuse. Ce complexe est ensuite absorbé par la cellule, où la drogue est décomposée par un clivage protéolytique, libérant la chimiothérapie, qui provoque ainsi la mort cellulaire.

Un effet «  bystander  » est observé avec la troisième génération des ADC. Ce phénomène repose sur la capacité à obtenir une activité cytotoxique sur des cellules n’exprimant pas la cible de l’anticorps via la diffusion d’un composant cytotoxique libre à partir des cellules tumorales exprimant la cible par diffusion membranaire. Cet effet «  bystander  » contribue de façon importante à l’activité des ADC, particulièrement dans les tumeurs pouvant présenter une hétérogénéité tumorale  ; il peut également être responsable d’une plus grande toxicité nécessitant une prise en charge spécifique. On peut ainsi citer l’exemple du trastuzumab déruxtécan1 délivrant un inhibiteur de topo-isomérase I sur les cellules tumorales surexprimant l’human epithelial receptor- 2 (HER- 2) ou le sacituzumab govitécan2 délivrant un inhibiteur de topo-isomérase I sur les cellules tumorales surexprimant TROP- 2, prescrits dans le cancer du sein.

Ces nouvelles générations d’ADC ont également permis d’augmenter la survie globale de patients atteints de cancers jusqu’à présent démunis d’options thérapeutiques pertinentes. Il en est ainsi, par exemple, du carcinome séreux de haut grade ovarien résistant aux sels de platine surexprimant des récepteurs aux folates alpha avec le mirvétuximab soravtansine ou du cancer du col utérin en échec de chimiothérapie par sels de platine avec le tisotumab védotine ciblant spécifiquement le facteur tissulaire. Certains ADC ont pu dépasser la place hégémonique de la chimiothérapie en première ligne, notamment dans le cancer de la vessie métastatique avec l’enfortumab védotine3 lorsqu’il est associé à une immunothérapie.

Immunothérapie, bouleversement de la thérapeutique

L’immunothérapie inclut  :

  • l’immunothérapie non spécifique visant à réactiver de façon non spécifique les défenses immunitaires comme les lymphocytes T cytotoxiques  ;
  • l’immunothérapie cellulaire  ;
  • l’immunothérapie ciblée qui a pour objectif de rompre la tolérance vis-à-vis de la tumeur en se liant spécifiquement à des protéines membranaires impliquées dans la régulation de l’immunité.

Cette dernière classe thérapeutique a profondément bouleversé les algorithmes thérapeutiques en oncologie médicale, notamment avec l’avènement des molécules ciblant la voie programmed cell death protein 1 (PD- 1)/programmed death ligand-1 (PD-L1).

PD- 1 est un récepteur protéique transmembranaire de type I qui, en interagissant avec ses ligands, PD-L1 et PD-L2, déclenche une cascade de signaux en aval et supprime l’activation des cellules T. Les lymphocytes T CD8 + jouant un rôle essentiel dans l’élimination des cellules cancéreuses, leur inhibition nuit à l’éradication du cancer et lui permet d’échapper au système immunitaire. La tolérance immunitaire est favorisée par l’expression de PD-L1 induite par les cytokines dans les tissus et par l’activation de la protéine PD- 1 sur les lymphocytes T. Une fois activée, la voie PD- 1/PD-L1 inhibe la transduction du signal des récepteurs des cellules T (TCR), entravant ainsi l’activité des cellules T. Les inhibiteurs de PD- 1 et de PD-L1 agissent donc en rompant cette tolérance immunitaire.

De multiples voies de restauration de la veille immunitaire antitumorale sont par ailleurs en cours de développement.4 

Thérapies ciblées, médecine de précision

Ce terme générique désigne l’ensemble des stratégies thérapeutiques s’insérant dans l’ère de la médecine de précision qui vise à antagoniser l’action de cibles participant à la prolifération tumorale. Le démembrement moléculaire tumoral participe à étoffer les ressources en thérapies ciblées qui peuvent être regroupées en plusieurs catégories.

Inhibiteurs de protéines kinases (tyrosine et sérine/thréonine kinases)

Les kinases régulent l’activité de protéines impliquées dans la prolifération et la survie cellulaire, les processus de migration, d’invasion et l’angiogenèse. Leur activation aberrante conduit à l’expression de gènes de prolifération ou antiapoptotiques.

Inhibiteurs de récepteurs membranaires/facteurs de croissance

Il s’agit essentiellement d’anticorps monoclonaux ou de petites molécules à activité cytostatique ou cytolytique pouvant cibler  :

  • des antigènes membranaires, aboutissant à l’apoptose de la cellule tumorale ou au recrutement de cellules effectrices du système immunitaire ;
  • des récepteurs impliqués dans la prolifération tumorale (inhibiteurs de l’epidermal growth factor receptor, [EGF-R]) ;
  • des récepteurs (vascular endothelial growth factor receptor [VEGF-R]) ou facteurs proangiogéniques (VEGF) responsables de la néovascularisation tumorale  ; ainsi, le bévacizumab,5,6 anticorps monoclonal dirigé contre le VEGF, est utilisé en association avec la chimiothérapie ou seul, en guise de traitement de maintenance dans plusieurs cancers.

Protéines cellulaires

Les inhibiteurs de kinases dépendantes des cyclines (CDK) 4/6 sont un exemple de thérapie ciblée par protéines cellulaires. Leur action synergique avec l’hormonothérapie confère des bénéfices significatifs en survie globale dans le cas des cancers du sein7 surexprimant les récepteurs œstrogéniques en situation métastatique et une réduction significative du risque de rechute en situation adjuvante pour les cancers à haut risque de rechute.8 En effet, la transition de chaque phase du cycle cellulaire est contrôlée par l’action des CDK qui sont elles-mêmes activées par leurs cyclines partenaires. Les protéines CDK sont activées par leur liaison aux cyclines et inactivées par leur liaison aux cyclin-dependent kinase inhibitors (CKI) comme les inhibiteurs de CDK 4/6. Le tableau 2 synthétise les principales études évaluant les inhibiteurs de CDK 4/6 et l’hormono­thérapie en première ligne métastatique dans le cancer du sein.

Hormonothérapie pour limiter les mécanismes de résistance

L’hormonothérapie est une forme de thérapie ciblée ayant pour objectif de diminuer les hormones circulantes à l’échelle centrale ou périphérique ou de limiter leur fixation sur leurs récepteurs dédiés. Les hormonothérapies historiques regroupent  :

  • les inhibiteurs de l’aromatase, qui inhibent la conversion des androgènes en œstrogènes  ;
  • les agonistes de la LH-RH9 qui, par rétrocontrôle négatif sur la boucle hypothalomo-hypophysaire-glandes périphériques, conduisent à un blocage de la production d’œstrogène ou de testostérone  ;
  • les selective estrogen degrader modulators (SERM) comme le tamoxifène10 et les selective estrogen receptor degraders (SERD) comme le fulvestrant qui inhibent/modulent les récepteurs aux œstrogènes et donc la fixation des œstrogènes sur ceux-ci  ;
  • les antiandrogènes.11

Des hormonothérapies de nouvelle génération, aptes à contrer les mécanismes de résistances primaires ou secondaires, émergent. Ainsi, les SERD12 oraux, caractérisés par une meilleure biodisponibilité et une activité significative en cas de mutations ESR, mécanisme majeur de résistance à l’hormonothérapie par antiaromatase dans le cancer du sein, connaissent un développement dans de multiples indications et font même l’objet d’une approbation par les autorités de santé américaines (Food Drug Administration [FDA]) en deuxième ligne métastatique.

Cellules CAR-T en cours de développement

Le principe des cellules CAR-T (chimeric antigen receptors-T)13 repose sur une approche actuellement utilisée en hématologie qui fait également l’objet d’essais thérapeutiques en tumeurs solides. Elle consiste à prélever les lymphocytes T d’un patient pour les modifier génétiquement et les lui réinjecter. Avant l’injection, le patient reçoit une chimiothérapie immunosuppressive. Une fois dans l’organisme, les cellules CAR-T reconnaissent et ciblent les cellules tumorales de manière spécifique grâce au récepteur CAR, puis s’activent contre elles et les éliminent. Le déploiement de cette stratégie thérapeutique fait partie des axes en cours de développement en oncologie médicale.

Vers des prises en soins de plus en plus individualisées

Il existe actuellement un étoffement de l’arsenal thérapeutique oncologique, essentiellement guidé par une médecine de précision permise par une connaissance accrue de la biologie tumorale. Au-delà de l’association synchrone ou séquentielle de ces classes thérapeutiques aux différents stades des cancers permettant l’augmentation de la survie et la réduction du risque de rechute, les enjeux de l’oncologie moderne reposent sur le développement d’outils visant à améliorer la qualité de vie des patients en limitant la toxicité des thérapies et leurs séquelles. Les stratégies de codéveloppement de soins de support accompagnant ces traitements innovants sont donc déterminantes. La construction de parcours de soins spécifiques fait aujourd’hui partie intégrante des outils concourant à l’innovation thérapeutique. 

Références
1. Modi S, Jacot W, Yamashita T, et al. Trastuzumab deruxtecan in previously treated HER2-low advanced breast cancer. N Eng J Med 2022;387(1):9-20.
2. Bardia A, Hurvitz SA, Tolaney SM, et al. Sacituzumab govitecan in metastatic triple-negative breast cancer. N Engl J Med 2021;384(16):1529-41.
3.  Coleman RL, Lorusso D, Gennigens C, et al. Efficacy and safety of tisotumab vedotin in previously treated recurrent or metastatic cervical cancer (innovaTV 204/GOG-3023/ENGOT-cx6): A multicentre, open-label, single-arm, phase 2 study. Lancet Oncol 2021;22(5):609-19.
4.  Shimizu Y, Suzuki T, Yoshikawa T, et al. Next-generation cancer immunotherapy targeting glypican-3. Front Oncol 2019;9:248.
5.  Burger RA, Brady MF, Bookman MA, et al. Incorporation of bevacizumab in the primary treatment of ovarian cancer. N Engl J Med 2011;365(26):2473-83.
6. Yamazaki K, Nagase M, Tamagawa H, et al. Randomized phase III study of bevacizumab plus FOLFIRI and bevacizumab plus mFOLFOX6 as first-line treatment for patients with metastatic colorectal cancer (WJOG4407G). Ann Oncol 2016;27(8):1539-46.
7.  Preusser M, De Mattos-Arruda L, Thill M, et al. CDK4/6 inhibitors in the treatment of patients with breast cancer: Summary of a multidisciplinary round-table discussion. ESMO Open 2018;3(5):e000368.
8.  Johnston SRD, Masakazu T, O’Shaughnessy, et al. Abemaciclib plus endocrine therapy for hormone receptor-positive, HER2-negative, node-positive, high-risk early breast cancer (monarchE): Results from a preplanned interim analysis of a randomised, open-label, phase 3 trial. Lancet Oncol 2023;24(1):77-90.
9. LHRH-agonists in Early Breast Cancer Overview group, Cuzick J, Ambroisine L, et al. Use of luteinising-hormone-releasing hormone agonists as adjuvant treatment in premenopausal patients with hormone-receptor-positive breast cancer: A meta-analysis of individual patient data from randomised adjuvant trials. The Lancet 2007;369(9574):1711-23.
10. Francis PA, Pagani O, Fleming GF, et al. Tailoring adjuvant endocrine therapy for premenopausal breast cancer. N Engl J Med 2018;379(2):122-37.
11. Beer TM, Tombal B. Enzalutamide in metastatic prostate cancer before chemotherapy. N Engl J Med 2014;371(18):1755-6.
12.  Bidard FC, Kaklamani V, Neven P, et al. Elacestrant (oral selective estrogen receptor degrader) versus standard endocrine therapy for estrogen receptor–positive, human epidermal growth factor receptor 2–negative advanced breast cancer: Results from the randomized phase III EMERALD trial. J Clin Onco 2022;40(28):3246-56.
13.  Cappell KM, Kochenderfer JN. Long-term outcomes following CAR T cell therapy: What we know so far. Nat Rev Clin Oncol 2023;20(6):359-71.

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Résumé

L’oncologie médicale est en constante évolution, utilisant diverses thérapies systémiques pour traiter le cancer à différents stades. La chimiothérapie, les anticorps drogue-conjugués, l’immunothérapie, les thérapies ciblées et l’hormonothérapie constituent les principales stratégies actuelles. L’évolution des traitements, notamment avec les cellules CAR-T, vise à améliorer la survie des patients tout en réduisant les effets indésirables. L’accent est mis sur la médecine de précision et l’amélioration de la qualité de vie des patients, avec des soins de support intégrés aux traitements innovants.