Il est bien connu que les lobbies économiques essayent de discréditer les mesures de santé publique qui les dérangent en jetant le doute sur les travaux scientifiques qui valident ces mesures et justifient leur mise en place. Pour cela, ces lobbies s’appuient sur des « études » qu’ils financent, menées par des « scientifiques » complaisants et qui concluent en leur faveur. Cette stratégie a été, et est toujours, largement utilisée par les lobbies industriels de l’alimentaire qui se sont opposés à l’adoption du Nutri-Score en France et qui contestent aujourd’hui son déploiement généralisé et obligatoire en Europe.
Récemment, un article scientifique de Stéphane Besançon et al., publié dans BMJ Public Health, a parfaitement illustré ce point en montrant que, sur 134 articles étudiant l’efficacité du Nutri-Score, 83 % affirmaient la pertinence de son algorithme, de meilleures performances par rapport aux autres logos nutritionnels, un impact sur le choix alimentaire et sur la qualité nutritionnelle des achats alimentaires.1 Cet article montre qu’une étude est 21 fois plus susceptible de trouver des résultats défavorables au Nutri-Score si les auteurs déclarent un conflit d’intérêts économique ou si l’étude a été financée par des industriels.1
Trois structures privées ont été identifiées par les auteurs comme particulièrement impliquées dans le financement des études non favorables au Nutri-Score et/ou dans les conflits d’intérêts de leurs auteurs : la Dutch Dairy Association (association des produits laitiers hollandais qui représente les intérêts de 13 groupes agroalimentaires laitiers dont les branches néerlandaises d’Arla, FrieslandCampina, Lactalis Leerdammer et Yakult…), Federalimentare (fédération italienne de l’industrie alimentaire) et la Fondation italienne de la nutrition (soutenue par 18 fabricants de produits alimentaires italiens).
Ces trois structures sont connues pour regrouper des grands opposants au Nutri-Score. Par exemple, le lobby des produits laitiers – notamment par la voix de son lobbyiste principal, Stephan Peters, le « manager for dairy, nutrition, health and sustainability » de la Dutch Dairy Association – met en doute régulièrement les bases scientifiques du Nutri-Score. Il met en avant des données émanant de « position papers » (et non d’études scientifiques puisque ne présentant pas de données originales) qu’il rédige lui-même ou que son association finance. Ce lobbyiste nie les nombreux travaux scientifiques démontrant l’intérêt et l’efficacité du Nutri-Score ou les dénature en les réinterprétant à son avantage, stratégie classique de « la fabrique du doute ».
Mais, depuis peu, Stephan Peters et les lobbyistes qui défendent les intérêts des produits laitiers sont passés à une étape supérieure : ils ne critiquent plus seulement la méthodologie ou les résultats des analyses des travaux qu’ils veulent discréditer avec des arguments non scientifiques, il tentent de les disqualifier par leur origine ; ils ont, en effet, imaginé un nouveau concept qu’ils appliquent outrageusement aux chercheurs académiques travaillant sur le Nutri-Score : celui des « liens d’intérêts avec la science ». Ceci leur permet d’argumenter que les travaux scientifiques des équipes de recherche académique ayant contribué à développer le Nutri-Score, même s’ils ont été publiés dans des revues scientifiques internationales à comité de lecture, sont biaisés sous prétexte qu’ils ont été réalisés par les chercheurs universitaires experts en nutrition, en épidémiologie et en santé publique ; ils les accusent ainsi d’avoir des « conflits d’intérêts » puisque leur recherche a abouti à mettre au point cet outil de santé publique…
Un article publié en 2022 par Stephan Peters (associé à Hans Verhagen, propriétaire et consultant de Food Safety & Nutrition Consultancy, qui compte parmi ses clients l’Association européenne des fabricants de sucre, l’un des opposants majeurs du Nutri-Score) est un bon exemple de cette stratégie insidieuse.2 Outre le fait que cette publication est truffée d’erreurs grossières,3 elle vise également à jeter le discrédit sur les équipes de recherche académique en les accusant de « conflits d’intérêts intellectuels » sous le curieux prétexte que leurs travaux scientifiques auraient conduit au développement du Nutri-Score en 2014.
Ils étendent même cette notion de conflit d’intérêts à toutes les équipes de recherche publique collaborant avec l’équipe académique qui a développé le Nutri-Score, visant à annihiler ainsi les travaux de dizaines de chercheurs du monde entier, experts en nutrition et en santé publique, et travaillant sur les logos nutritionnels depuis de nombreuses années !
Cette théorie du « tout le monde a un conflit d’intérêts » permet aux lobbies économiques de soutenir que tous les acteurs impliqués dans le domaine de la santé publique ont des intérêts spécifiques pesant de la même façon sur les résultats des travaux. Ils espèrent sans doute ainsi diluer leurs propres intérêts financiers.
Eh bien, non ! il existe des différences fondamentales dans la finalité et les méthodes du travail des chercheurs académiques et des lobbyistes économiques. Les chercheurs du secteur public (non financés par les industriels) ont comme seul intérêt l’intérêt collectif. Lorsqu’ils font des propositions de mesures de santé publique, celles-ci sont fondées sur la science et exclusivement sur les résultats de la science. Ils n’ont rien à y gagner. À l’inverse, les lobbies industriels qui combattent les mesures de santé publique comme le Nutri-Score ont pour objectif la défense d’intérêts purement économiques.
2. Peters S, Verhagen H. Publication bias and Nutri-Score: A complete literature review of the substantiation of the effectiveness of the front-of-pack logo Nutri-Score. PharmaNutrition 2024;27:100380. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2213434424000069?via%3Dihub
3. Andreeva V, Deschasaux-Tanguy M, Galan P et al. Rebuttal of the claims against the Nutri-Score made by two lobbyists in PharmaNutrition in an effort to discredit academic research. Blog Nutri-Score. https://nutriscore.blog/2024/02/19/rebuttal-of-the-claims-against-the-nutri-score-made-by-two-lobbyists-in-pharmanutrition-in-an-effort-to-discredit-academic-research/