La psychonutrition est la science de l’influence de la nutrition sur la santé mentale (stress, anxiété, dépression, troubles du sommeil et de l’attention, déclin cognitif). Les quinze dernières années ont vu s’accumuler les études (essais contrôlés randomisés contre placebo, méta-analyses, méta-analyses en réseau et en parapluie) montrant l’influence des nutriments sur la santé mentale.
Ces données ont conduit à la publication de recommandations internationales conduites par la Fédération mondiale des sociétés de psychiatrie biologique (World Federation of Societies of Biological Psychiatry [WFSBP]) et validées par le Réseau canadien pour le traitement de l’humeur et de l’anxiété (Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments [CANMAT]), deux institutions de psychiatrie biologique reconnues.
Optimiser son régime alimentaire
L’alimentation méditerranéenne est actuellement celle ayant le meilleur niveau de preuve pour la protection de la santé mentale. Une méta-analyse (cinq essais contrôlés randomisés et 1 507 participants) conclut à son efficacité. Toutefois, la forte hétérogénéité de ces données appelle au développement d’une intervention de précision.1
L’alimentation cétogène, ou low carb, aurait une potentielle efficacité chez certains individus ; elle est toutefois plus contraignante : risques d’insuffisances plus élevées et manque d’études scientifiques pour étayer cette intervention.
La consommation quotidienne de fruits a montré un effet causal sur le risque de dépression dans une méta-analyse en randomisation mendélienne.2
À l’inverse, la consommation de produits ultratransformés (junk food, sodas sucrés ou édulcorés, etc.) est associée à un risque augmenté d’anxiété et de dépression, avec une relation dose-effet.3 - 5
« Quid » des nutriments ?
Il existe des points communs dans le mode d’action des nutriments en santé mentale : ils modifient l’épigénétique en activant des promoteurs de gènes impliqués dans de multiples cascades ; ils influencent des cascades enzymatiques multiples ; ils diminuent la neuro-inflammation et le stress oxydatif.
Oméga 3 indiqués dans certaines dépressions
Les oméga 3 constituent les nutriments ayant le meilleur niveau de preuve d’efficacité dans la dépression caractérisée pour des doses d’acide eicosapentaénoïque (EPA) d’au moins 1 g/j pendant plus de huit semaines.6 Une dose insuffisante pourrait être la première cause d’inefficacité. L’âge, le sexe, le tabagisme et le poids influencent leur absorption. Le risque de fibrillation atriale chez les personnes cardiaques n’apparaît qu’au-dessus de 1,8 g/j d’oméga 3.
Selon les recommandations WFSBP-CANMAT de 2022, les oméga 3 sont indiqués en adjonction aux antidépresseurs et ils pourraient être efficaces en monothérapie dans les dépressions avec inflammation ou obésité.6 L’absence de remboursement est un frein à leur utilisation (ces recommandations ne sont pas en vigueur en France).
Ils ont également montré une efficacité dans la dépression bipolaire, en ajout au traitement thymorégulateur selon une méta-analyse incluant trois essais contrôlés randomisés,7 et dans la régulation émotionnelle du trouble borderline en monothérapie selon un essai contrôlé randomisé.8
Vitamine D
La supplémentation en vitamine D pendant plus de huit semaines a prouvé son efficacité dans la dépression à des doses comprises entre 1 500 et 4 000 UI/j dans une méta-analyse en parapluie.9 La supplémentation peut se faire en comprimés quotidiens, gouttes ou ampoules. Paradoxalement, certaines méta-analyses rapportent que les personnes en carence avaient des taux de réponse plus faible, car la dose administrée n’était alors pas suffisante dans leur cas. L’efficacité ne dépend pas de la présence ou non d’un antidépresseur. Là encore, une posologie insuffisante pourrait être la première cause d’inefficacité.
Le dosage (non remboursé par la Caisse primaire d’assurance maladie, hormis six situations rares) n’est pas actuellement recommandé, devant la prévalence des insuffisances et en l’absence de risque de surdose en deçà de 4 000 UI/j (limite supérieure de sécurité selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail [ANSES] et l’Autorité européenne de sécurité des aliments [EFSA]).
Méthylfolate (vitamine B9) et zinc
Les supplémentations en zinc et en méthylfolate (forme active de la vitamine B9, à ne pas confondre avec ses autres formes : acide folique et acide folinique, disponibles à la prescription) sont actuellement recommandées par la WFSBP et la CANMAT dans le traitement de la dépression, en adjonction aux antidépresseurs, bien que les niveaux de preuve soient intermédiaires.6
L’efficacité du méthylfolate s’explique par une variation de l’allèle de la méthyl-tétrahydrofolate réductase présente chez 30 % des individus, qui diminue l’absorption de la vitamine B9 au niveau cérébral.
Le zinc peut être prescrit et remboursé. Sa limite supérieure de sécurité est de 25 mg/j (alimentation incluse). Le dosage du zinc dans le sang n’est pas remboursé et n’est actuellement pas considéré comme un bon marqueur des stocks de zinc dans le cerveau.
Tryptophane utile contre l’insomnie
Le tryptophane et son dérivé actif, le 5 -hydroxytryptophane, ont montré un intérêt en monothérapie pour l’amélioration du sommeil dans la dépression avec insomnie dans des essais contrôlés randomisés contre placebo : il diminue la durée totale d’éveil nocturne, notamment chez le sujet âgé.10 - 11
Nutriments et déclin cognitif
La combinaison des vitamines B9, B12 et B6 est efficace dans la prévention du déclin cognitif en deuxième partie de vie, selon une méta-analyse récente.12 De même, dans une récente méta-analyse en réseau comparant plusieurs traitements efficaces contre la maladie d’Alzheimer, les oméga 3 à fortes doses (entre 1,5 et 2 g/j avec une majorité d’EPA) ont été classés au premier rang, devant les médicaments, sur l’amélioration des symptômes cognitifs de la maladie.13
Miser sur le magnésium ?
Le magnésium, bien que très populaire, est assez peu étudié en santé mentale dans des essais contrôlés randomisés.
Le développement de formes récentes avec une meilleure absorption cérébrale ouvre de nouvelles voies thérapeutiques prometteuses. Le thréonate de magnésium a montré une efficacité sur l’amélioration de la qualité du sommeil, de l’activité quotidienne et de la productivité,14 ainsi que de la mémoire et de la cognition chez des adultes en bonne santé.15
Probiotiques : certaines études hétérogènes
Les probiotiques ont montré une efficacité dans des méta-analyses portant sur la cognition, le déclin cognitif et le stress oxydatif.16 - 20
Concernant la dépression, une méta-analyse en parapluie publiée en 2023, incluant 10 méta-analyses,21 a conclu que l’administration de probiotiques était efficace pour améliorer les symptômes dépressifs, en particulier avec des doses supérieures à 10 milliards d’unités formant colonie (UFC) et pendant plus de huit semaines.
Pour l’anxiété, une forte hétérogénéité a été retrouvée, et une meilleure caractérisation des troubles de l’axe intestin-cerveau est nécessaire pour déterminer la population cible ainsi que les souches, doses et durées d’administration recommandées.
Il n’est pas possible d’isoler les souches efficaces car chaque essai propose une souche ou des combinaisons de souches différentes, avec des durées et des doses variables conduisant à une forte hétérogénéité des résultats.
Psychonutrition : un traitement de première intention à intégrer dans une approche holistique ?
Au vu de ces données, il paraît légitime de questionner les algorithmes actuels de prise en charge de maladies mentales telles que la dépression, qui n’intègrent pas la psychonutrition.
Cette dernière pourrait être proposée en adjonction ou en amont des antidépresseurs selon les situations ; elle pourrait faire l’objet d’un remboursement au titre d’une intervention ayant prouvé son efficacité, avec des effets indésirables minimes.
La psychonutrition intègre les autres facteurs de mode de vie qui influencent la dépression, comme l’activité physique, la sédentarité – souvent confondue avec le manque d’activité physique, alors qu’il s’agit du temps passé assis ou couché –, les connexions sociales, le sommeil, le tabagisme – souvent négligé en santé mentale alors qu’il s’agit d’un facteur causal de dépression –22 et la consommation d’alcool.
Concernant l’activité physique, des objectifs précis ont permis d’en déterminer le niveau optimal pour prévenir la dépression : entre 20 et 40 MET (Metabolic Equivalent of Task) par semaine.23,24 Le MET est une unité qui mesure l’intensité énergétique d’une activité. Un MET équivaut au taux de dépense énergétique d’une personne au repos, soit environ 1 kcal/kg de poids corporel par heure. Les MET permettent ainsi d’estimer l’énergie dépensée pour une activité physique donnée en la comparant à la dépense énergétique au repos.
Perspectives : faut-il intégrer la psychonutrition dans la prévention ?
Enfin se pose la question de la prévention. En effet, les données épidémiologiques montrent que 80 % des personnes dans le monde manquent d’oméga 3, y compris les personnes mangeant des poissons gras.25 L’ANSES conclut que 100 % des Français n’ont pas les apports suffisants en vitamine D par leur alimentation et que l’exposition au soleil est très souvent insuffisante la majeure partie de l’année.26 En conséquence, la supplémentation, déjà recommandée en pédiatrie, devrait se poursuivre tout au long de la vie.
Un plan de prévention en santé mentale ambitieux pourrait, à l’instar de la promotion de l’activité physique par les transports actifs, de la lutte contre le tabagisme et la sédentarité, de la promotion du lien social de proximité et de qualité, intégrer les données alimentaires – à commencer par les cantines scolaires et les hôpitaux.
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26. Avis de 2015 de l'Anses relatif à l’évaluation des apports en vitamines et minéraux issus de l'alimentation non enrichie, de l’alimentation enrichie et des compléments alimentaires dans la population française : estimation des apports usuels, des prévalences d'inadéquation et des risques de dépassement des limites de sécurité . https://bit.ly/3YNPFdO