C’est un changement de paradigme : le diagnostic d’obésité ne doit plus reposer sur l’IMC seul. C’est la conclusion d’un travail de 5 ans mené par les experts de l’obésité, qui recommandent aussi de distinguer l’« obésité préclinique » de l’« obésité clinique », dont la prise en charge est très différente. Les implications pour la pratique sont majeures…

Une commission internationale de 56 experts sur l’obésité vient de rendre ses conclusions, issues de 5 ans de travail, proposant une nouvelle définition de l’obésité. Parues dans le Lancet Diabetes & Endocrinology le 14 janvier, elles mettent l’accent sur la nécessité d’employer des critères diagnostiques plus précis pour distinguer l’« obésité préclinique » – considérée comme un facteur de risque – de l’« obésité clinique » – considérée comme une pathologie à part entière. Quelles en sont les conséquences ?

Pourquoi cette évolution ?

La définition actuelle de l’obésité (un IMC > 30 kg/m2) manque de nuance, arguent les experts de la Commission. Elle ne reflète pas l’état de santé d’une personne car elle peut à la fois sous-estimer et surestimer l’adiposité ; or cette dernière est – davantage que le poids en lui-même – déterminante dans les divers mécanismes pathogéniques associés à l’obésité.

Se fonder exclusivement sur l’IMC peut ainsi conduire à des diagnostics erronés, amenant notamment à surdiagnostiquer des personnes avec un IMC élevé mais sans excès d’adiposité (voire à sous-diagnostiquer des personnes dont l’IMC est < à 30 mais qui ont un excès d’adiposité). Par ailleurs, on ne prend pas en compte la diversité des profils qui peut aussi retentir sur l’état de santé (notamment, la distribution de l’adiposité dans le corps).

Inclure à la fois des mesures de l’excès d’adiposité et la présence d’autres symptômes, en plus de l’IMC, permettra une approche à la fois plus nuancée et opérationnelle de l’obésité, d’après la Commission. Ces nouveaux critères aboutissent à la définition de deux profils : une obésité préclinique, qui n’étant pas considérée comme pathologique, ne nécessiterait pas une prise en charge médicale, et une obésité clinique qui serait dûment prise en charge en tant que pathologie chronique.

La révolution thérapeutique qu’a constitué ces dernières années l’utilisation des aGLP- 1 pour la perte de poids chez ces patients rend ce changement de paradigme particulièrement important. En effet, la nouvelle classification détermine plus clairement à quels patients prescrire (ou non) un traitement médicamenteux – alors que la ruée sur ces derniers entraîne des tensions d’approvisionnement au niveau mondial. En France, pour rappel, la prescription des trois molécules actuellement commercialisées dans cette indication (sémaglutide [Wegovy], liraglutide [Saxenda] et tirzépatide [Mounjaro]) est actuellement réservée aux patients ayant un IMC ≥ 35 kg/m2, âgés de moins de 65 ans, et en 2e intention (échec des mesures hygiénodiététiques).

Quelles implications pour la pratique ?

L’IMC resterait un premier outil de dépistage, permettant d’identifier les personnes potentiellement atteintes d’obésité (son utilité serait aussi conservée pour les études épidémiologiques).

Cependant, le diagnostic formel d’obésité ne serait confirmé qu’après avoir effectué une mesure de l’excès d’adiposité et de sa répartition corporelle :

  • soit par des mesures anthropométriques (tour de taille, rapport taille-hanches ou rapport tour de taille-hauteur) avec des méthodes validées et des seuils adaptés à l’âge, au sexe et à l’origine ethnique : les experts proposent d’effectuer au moins une de ses mesure en plus de l’IMC, ou bien au moins deux mesures indépendamment de l’IMC ;
  • soit par une mesure directe de la graisse corporelle, si cela est possible (par exemple, mesure de la composition corporelle par densitométrie osseuse), indépendamment de l’IMC.
 

Chez les personnes dont l’IMC est > 40 kg/m2 , ces mesures ne sont pas estimées nécessaires puisque l’excès d’adiposité est supposé d’emblée.

Ensuite, une fois ce statut d’obésité « phénotypique » confirmé, les experts de la Commission proposent de distinguer deux profils :

  • un véritable état pathologique qu’ils désignent sous le nom d’obésité clinique et dont le diagnostic nécessite l’un ou l’autre des deux critères supplémentaires suivants :
    • une réduction de la fonction d’un organe ou tissu : décelée par la présence de symptômes ou d’examens complémentaires montrant de telles anomalies (v. encadré) ;
    • ou une réduction significative des activités quotidiennes (adaptée à l’âge), reflétant le retentissement spécifique de l’obésité sur la mobilité et des activités telles que : bain, habillage, toilette, alimentation…
  • en l’absence de ces critères, les praticiens pourront conclure à une obésité préclinique : les personnes appartenant à cette catégorie n’ont pas de complications actuelles dues à l’excès d’adiposité, mais ont un sur-risque de les développer à l’avenir. La prise en charge vise donc la réduction de ce risque avec des stratégies adaptées à chaque personne : une surveillance accrue de leur état de santé accompagnée de conseils hygiénodiététiques ou, lorsque ce risque est estimé élevé, d’autres interventions.
 

Ce recadrage permettra de mieux personnaliser les stratégies thérapeutiques. Selon les membres de la Commission, il aboutira, d’une part, à améliorer la prise en charge des personnes atteintes d’obésité clinique, puisque considérer cette dernière comme une pathologie chronique à part entière permet d’instaurer rapidement les traitements nécessaires. D’autre part, cette approche plus nuancée permet à chacun de recevoir des soins proportionnels à ses besoins, aboutissant aussi à « économiser des ressources de santé en réduisant les surdiagnostics et les traitements inutiles  », selon la Pr Louise Baur, l’une des membres de la Commission.

L’application de ces nouvelles recommandations par les praticiens signifiera sans doute qu’ils auront « du travail supplémentaire », reconnaît la Pr Sadaf Farooqi, membre également de la Commission, « mais des avancées technologiques telles que des méthodes plus simples et rapides de mesure de la composition corporelle pourraient changer la donne dans le futur ».

Encadre

Signes et symptômes contribuant au nouveau diagnostic d’obésité clinique (Commission Lancet, 2025)

Signes d’élévation de la pression intracrânienne : perte de vision, maux de tête récurrents…

Apnées/hypopnées du sommeil

Hypoventilation, essoufflement ou respiration sifflante

Fibrillation atriale chronique ou récurrente

Pression artérielle élevée, HTA pulmonaire

Insuffisance cardiaque avec ou sans réduction de la fraction d’éjection

Fatigue chronique

Maladie thromboembolique

Hyperglycémie, dyslipidémie

MAFLD (anciennement NAFLD) avec fibrose hépatique

Microalbuminurie avec réduction du DFGe

Incontinence urinaire récurrente ou chronique

Anovulation, oligoménorrhée, SOPK

Hypogonadisme masculin

Douleurs chroniques et sévère du genou ou de la hanche associées à une raideur articulaire et à une réduction de l’amplitude des mouvements

Lymphœdème des membres inférieurs entraînant une douleur chronique ou une réduction de l’amplitude des mouvements

Pour en savoir plus
Redefining obesity: advancing care for better lives.  Lancet Diab & Endo 15 janvier 2025.
Rubino F, Cummings DE, Eckel RH, et al. Definition and diagnostic criteria of clinical obesity.  Lancet Diab & Endo Com 14 janvier 2025.
Couzin-Frankel J. Is obesity a disease? Not always, new expert report says.  Science Insider 14 janvier 2025.
Guglielmi G. New obesity definition sidelines BMI to focus on health.  Nature 14 janvier 2025.

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