La Revue du Praticien : Comment définiriez-vous la « grossophobie » ?
A. Maurin : Nous n’aimons pas utiliser ce terme car sa définition varie en fonction des personnes. Pour certains c’est la peur du « gros », pour d’autres c’est du harcèlement envers « les gros ». Ce terme est beaucoup relayé à travers les médias, véhiculé par des personnes qui prônent le « body positive » (acceptez-nous comme nous sommes, même obèses !).
Nous préférons utiliser le terme de « discrimination » au même titre qu’il est utilisé dans d’autres situations « raciales », « homophobes », etc. Les personnes souffrant d’obésité rencontrent des difficultés à tous les instants dans la vie quotidienne, dans les transports, au travail, dans l’accès au soin…, les conduisant parfois à leur isolement.
Cette discrimination commence-t-elle dès le plus jeune âge ?
Oui, bien sûr. Et le premier lieu de discrimination, c’est la famille ! Les parents, sous l’effet de la pression sociale et médicale parfois, n’ont pas d’autre choix que d’appliquer les messages véhiculés du « Manger moins, bouger plus » relayés par les « plans nutrition » : l’enfant obèse est empêché de manger comme ses frères et sœurs, c’est un enfant à qui l’on fait faire du sport de façon excessive…
Ce qui ne fait que renforcer la culpabilisation des parents et des personnes victimes de la maladie obésité, dont le poids continue de s’accroître.
Ne pousse-t-on pas trop les patients obèses vers la chirurgie bariatrique ?
Au-delà de la prise en charge pluridisciplinaire qui peut être proposée, il n’y a pas actuellement de traitement médicamenteux. La recherche avance, bien sûr, et des pistes se profilent grâce aux avancées en génétique. Le médecin, face à son patient qui continue de prendre du poids, est souvent démuni. Et la chirurgie bariatrique semble alors être la seule alternative ; mais cette solution est loin d’être un remède « miracle », en raison des risques inhérents à la chirurgie, mais aussi de la reprise de poids à moyen et long terme.
Des parcours de soins spécialisés se développent pour les patients obèses. Est-ce une bonne chose ?
C’est très important et nous essayons à la LCO de les répertorier pour pouvoir en faire bénéficier les personnes souffrant d’obésité qui nous contactent.
Je pense en particulier aux femmes, pour qui une simple consultation gynécologique peut être très mal vécue, voire humiliante. Combien se sont entendu dire, dans une consultation pour infertilité : « Maigrissez, puis revenez me voir ! ». Sans parler du matériel inadapté (table d’examen, brassard à tension, fauteuil…). Certains témoignages de patients vont jusqu’à parler de « maltraitance médicale », en tout cas d’inégalité d’accès aux soins.
Quels pourraient être les leviers pour changer les regards ?
Le premier levier passe déjà par l’amélioration de la formation des soignants. Dans les études de médecine, seules quelques heures d’apprentissage sont consacrées à l’obésité. Dans le cursus de diététique, l’obésité n’est abordée que sous l’angle des régimes hypocaloriques. La LCO propose des programmes de formation destinés aux professionnels qui sont amenés à prendre en charge des patients obèses. Mais ces formations sont également ouvertes aux patients ressources et au grand public. Nous y abordons la partie théorique (causes, avancées de la recherche, génétique…), mais surtout nous faisons des mises en situation pratique par le biais de combinaisons (simulateurs d’obésité) pour que le soignant comprenne mieux les difficultés auxquelles sont confrontés les patients obèses (ne serait-ce que pour se mouvoir, par exemple).
Par ailleurs, notre action sur le terrain passe par l’ouverture de centres de santé (ou maisons de l’obésité) destinés à la prise en charge de ces patients, regroupant un large panel de professionnels (médecin généraliste "obésitologue", psychiatre, pneumologue, diététicienne, psychologue, kinésithérapeute, enseignant en activité physique adaptée, tabacologue…), et des coordinatrices de parcours qui accompagnent les patients dans leur parcours de soin. Le premier centre devrait prochainement ouvrir ses portes en Occitanie. Ces centres se veulent généralistes et sont accessibles à tous (obèses ou non), car certains patients obèses, dans le déni de leur maladie, ne franchiront pas d’eux-mêmes la porte de ces consultations. Toutes les consultations, même celles des paramédicaux qui ne sont normalement pas prises en charge par la Sécurité sociale, sont gratuites pour les patients souffrant d’obésité. C’est pour nous une avancée majeure dans la prise en charge de cette maladie qu’est l’obésité.
(1) Service de chirurgie digestive et transplantation, CHU Montpellier.
Alexandra Karsenty, La Revue du Praticien