Lors du remplissage d’un certificat de décès, se pose la question pour le médecin de cocher la case« Obstacle médicolégal » . Certes, le verso du modèle officiel de certificat de décès standard renseigne sur les conditions poussant à cocher cette case : « en cas de décès dans des conditions suspectes, violentes ou inconnues, notamment en cas de suspicion d’atteinte à la vie d’autrui, suicide, mort subite (hors mort inattendue du nourrisson), éventuelle responsabilité d’un tiers engagée (accident de la route, du travail…), overdose, corps non identifié. »
Toutefois, ces indications ne sont pas complètes, et plus de 20 ans après les dernières recos européennes sur les circonstances de décès devant conduire à un examen du corps en autopsie, des guidelines françaises devenaient nécessaires pour guider les professionnels de santé sur le territoire.
Définition et liste d’indications
Présentées en avant-première le 4 juin au congrès annuel de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) « Urgences 2025 », ces recommandations ont été élaborées par la SFMU et par la Société française de médecine légale et d’expertises médicales (SFMLEM). Les experts ont émis29 recommandations concernant les urgences médicolégales. Elles sont désormais disponibles sur le site de la SFMU.
Tout d’abord, les auteurs des recos définissent l’obstacle médicolégal : il s’agit d’un signalement aux autorités judiciaires d’un décès survenant dans certaines circonstances, précisées par les recos sur la base des conditions au dos du certificat de décès évoquées plus haut. Ces circonstances sont listées dans l’encadré 1. Cette énumération n’était pas précisée par la loi, d’où l’intérêt d’un consensus de sociétés savantes à ce sujet. Interrogé par Medscape , Emmanuel Margueritte, un des médecins légistes auteur des recos, a souligné plusieurs nouveautés, avec notamment l’élargissement de l’obstacle médicolégal à tous les cas de mort subite, quel que soit l’âge : désormais, en effet, l’âge n’est plus considéré comme un motif suffisant pour retenir ou exclure un obstacle médicolégal.
Quoi qu’il en soit, face à un doute, mieux vaut pour le médecin cocher l’obstacle médicolégal que ne rien faire – la responsabilité de la suite des événements revient alors au procureur de la République. En outre, conserver des notes sur chaque cas (motif, heure et lieu du décès, identité du défunt) peut être utile si la justice revient vers le médecin lors d’une procédure subséquente, qui peut avoir lieu longtemps après.
Quelles suites ?
Les recos précisent qui peut cocher l’obstacle médicolégal : tout médecin inscrit au conseil de l’Ordre (actif, ou retraité autorisé suite à une demande spécifique auprès de son conseil départemental de l’Ordre), ainsi que tout interne de médecine de 3e semestre ou tout médecin à diplôme étranger hors UE par délégation et sous l’autorité d’un médecin inscrit à l’Ordre.
Les experts préconisent également ce qui doit advenir à la suite d’un obstacle médicolégal : les autorités judiciaires doivent être contactées en cas de certificat de décès avec obstacle médicolégal. Ils proposent en outre au médecin d’utiliser une fiche de liaison (à la fin en annexe des recos) contenant la description du corps et de son environnement pour faciliter le travail du médecin légiste. Les suites immédiates d’un obstacle médicolégal dépendent uniquement du procureur de la République, mettant en suspens toute opération funéraire. Trois options s’offrent à lui :
- remettre le corps à la famille sans autre acte médicolégal ;
- faire intervenir un médecin légiste en vue de réaliser une levée de corps sur les lieux ou un examen de corps externe à l’institut médicolégal, plus ou moins associé à des prélèvements (toxicologiques, génétiques, etc.) ;
- demander une autopsie médicolégale, soit directement soit après la levée de corps ou l’examen externe.
Par ailleurs, le don d’organe peut être réalisé après levée d’opposition par le procureur de la République, en respectant les restrictions demandées.
Communication avec les proches
Les experts proposent qu’aucun document ne soit transmis aux assurances en post mortem . Un certificat mentionnant le caractère naturel ou accidentel du décès peut être remis aux ayants droits en absence d’obstacle médicolégal, auquel cas le demandeur sera renvoyé vers l’autorité judiciaire.
Concernant les proches, les experts recommandent que la famille soit informée de la procédure et de l’impossibilité d’accéder au corps, en faisant preuve d’empathie. Le médecin devra également expliquer aux proches que durant cette enquête judicaire, toutes les opérations funéraires seront suspendues et que leur interlocuteur privilégié sera désormais l’officier de police judiciaire en charge de l’enquête du décès.
Les spécificités de la MIN
En cas de mort inattendue du nourrisson (MIN), c’est-à-dire une mort brutale entre 0 et 24 mois que rien ne pouvait prévoir en termes d’antécédents, la procédure recommandée est légèrement différente. Pour un nourrisson âgé de moins de 365 jours, il faut remplir le certificat de décès infantile et non le certificat de décès standard qui sera utilisé pour les enfants plus âgés (tous deux présents en annexes de l’arrêté du 29 mai 2024 relatif aux deux modèles du certificat de décès), sans oublier de mentionner la cause la plus probable et l’heure du décès sur le certificat.
Si le décès ne semble pas suspect, le médecin ne coche pas l’obstacle médicolégal, et doit cocher la case « prélèvements en vue de rechercher la cause du décès » sur le certificat. Le corps de l’enfant décédé est ensuite transféré systématiquement au centre de référence MIN le plus proche, accompagné si possible de ses parents.
Si le décès semble suspect, au vu des conditions précisées dans l’encadré 2, l’obstacle médicolégal est coché, ce qui peut mener le procureur jusqu’à demander une autopsie médicolégale.
1. Indications à cocher un obstacle médicolégal
Mort violente/délictuelle/criminelle :
- homicide/suspicion d’homicide ;
- suicide/suspicion de suicide ;
- intoxications aiguës, surdoses ;
- violation des droits de l’Homme : suspicion de torture ;
- décès potentiellement associé à des actions de police ou militaires ;
Mort subite de l’adulte* et de l’enfant ;
Mort dans un contexte particulier pouvant engager une responsabilité :
- accidents (chute, défenestration, etc.) ;
- noyades, quel que soit le milieu ;
- accident du travail ou décès survenant sur le lieu du travail ou pendant un trajet professionnel ;
- maladie professionnelle ;
- accident ou mort subite lors d’un événement sportif ;
- cadre de l’exercice médical (suspicion de cause iatrogène, infection nosocomiale, faute médicale) ;
- accident de la voie publique ;
- incendie ;
- intoxication au CO ;
- patient en institution avec suspicion de maltraitance ou négligence ;
Environnement particulier :
- personnalité publique ;
- corps non identifié ;
- mort d’origine inconnue en cas de suspicion d’atteinte à la vie d’autrui ;
- décès en détention.
* La mort subite est définie comme un décès survenant de manière inattendue dans l’heure qui suit l’apparition des symptômes dans le cas où un témoin est présent, ou dans les 24 h après qu’une personne ait été vue vivante et en bonne santé s’il n’y a pas de témoin.
Une mort subite à un âge très avancé doit faire se questionner sur l’intérêt à cocher l’obstacle médicolégal dans l’intérêt des ayants-droits.
2. Aide à la décision d’un obstacle médicolégal en cas de MIN (liste non exhaustive et non opposable)
Sur le lieu de découverte du corps :
- survenue du décès alors que l’enfant est confié ou avec un tiers ;
- explications floues, contradictoires, fluctuantes dans le temps ;
- refus des parents du transport de l’enfant vers le centre de référence MIN ;
- lésions cutanées d’allures suspectes (ecchymose, hématome, abrasion, brûlure, plaie, morsure) avec distinction des lésions entre l’enfant déambulant et non déambulant ;
- signes de strangulation et/ou présence de pétéchies au niveau de la face ;
- éléments cadavériques incompatibles avec les éléments de l’anamnèse ;
- aspect de dénutrition ;
Lors de la prise en charge au centre de référence MIN :
- absence de suivi médical sur l’étude du carnet de santé, absence de vaccination ;
- notion de décès d’un autre enfant dans la fratrie sans explication médicale ;
- notion de malaises à répétition avec consultation/hospitalisation itératives sans explication médicale ;
- consultation pour une pathologie/hospitalisation récente (72 h) avant le décès ;
- inquiétude sur la famille rapportée par la protection maternelle et infantile et/ou le médecin traitant.
Ministère du travail, de la santé et des solidarités. Arrêté du 29 mai 2024 relatif aux deux modèles du certificat de décès. 13 juin 2024.
ARS Auvergne-Rhône-Alpes. Obstacle médico-légal : comprendre et appliquer la procédure en établissement. 30 juin 2025.
Pour en savoir plus :
Crane AG. L’obstacle médico-légal est sous-utilisé en France ! Rev Prat 2023;73(9);939-40.
Crane AG. Rôle du médecin dans la détection des homicides. Rev Prat Med Gen 2024;38(1084);84-6.
Van Maris F, Jardé O, Manaouil C. Certificat de décès : modifications récentes et mode d’emploi. Rev Prat 2018;68(9);995-1005.
Conseil de l’Europe, comité des ministres. Recommandation n° R (99) 3 du comité des ministres aux états membres, relative à l’harmonisation des règles en matière d'autopsie médico-légale. 2 février 1999.