Le 18 janvier 1994, à la suite de la mise en place de l’organisation des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, le ministère de la Santé prenait la responsabilité de l’organisation des soins en milieu carcéral.
Depuis cette date, c’est l’ensemble de la santé concernant les personnes placées sous main de justice qui relève du secteur hospitalier. Lors de la promulgation de la loi, il s’agissait de garantir l’indépendance des soignants face à l’administration pénitentiaire, de proposer aux personnes détenues un accès aux soins équivalant à celui prodigué à l’extérieur et de permettre l’ouverture des droits sociaux à toutes les personnes détenues.
Aujourd’hui, plus de 80 000 personnes sont prises en charge par ces équipes hospitalières dans les 187 établissements pénitentiaires français le temps de leur détention, après un bilan de santé qui leur est proposé à leur arrivée.
Ainsi, les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) prennent en charge les personnes placées sous main de justice du premier au dernier jour de leur détention et s’attachent à éviter toute rupture de soins. Si les consultations à l’entrée sont réalisées dans les plus brefs délais, l’enjeu de la sortie, en revanche, reste majeur pour la poursuite des soins. Dans bon nombre de cas, la date de sortie exacte est inconnue et peut changer à tout moment, le lieu de résidence de la personne prise en charge peut être très éloigné du lieu d’incarcération. Lorsque les durées d’incarcération ont été longues, c’est tout l’environnement de vie du patient qui a été bouleversé. La honte que bon nombre de patients ressentent de leur passage en prison est également un frein à ce que les soignants de détention et ceux de ville puissent se mettre en contact, les patients eux-mêmes souhaitant la plupart du temps que ces deux mondes ne se côtoient pas.
Pour pallier toutes ces difficultés, certaines équipes mettent en place des consultations post-carcérales étiquetées consultations hospitalières dont l’objectif est de faire le lien à la sortie et de permettre au patient de prendre le temps de trouver un médecin, de mettre à jour ses droits sociaux. L’organisation des prises en charge à la sortie est encore très variable d’un lieu à un autre.
Structures carcérales en France
Il existe trois types de structures pour détenus en France : les maisons d’arrêt, les centres de détention et les établissements pour mineurs.
Maisons d’arrêt
Les maisons d’arrêt reçoivent des personnes prévenues en attente de leur jugement ou de la confirmation de leur jugement, des détenus condamnés à des peines de moins de deux ans et ceux qui sont en attente d’une place dans un établissement pour peines. Il n’existe pas à ce jour de régulation du nombre de personnes écrouées dans ce type d’établissement. Par conséquent, c’est en maison d’arrêt que l’on observe les plus forts taux de surpopulation, dont certains dépassent les 200 %.
Centres de détention et maisons centrales
Les centres de détention accueillent des personnes condamnées à des peines de deux à dix ans.
Les maisons centrales hébergent des personnes condamnées à des peines de plus de dix ans.
Les nouvelles structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) prennent en charge certaines personnes détenues dans les mois qui précèdent leur libération.
On accède à tous ces établissements seulement lorsqu’une place se libère.
Établissements pénitentiaires pour mineurs
Les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) sont au nombre de 6 en France, et les 47 quartiers pour mineurs au sein d’un établissement pénitentiaire accueillent des jeunes à partir de l’âge de 13 ans. En décembre 2023, il y avait 771 détenus enfants en France, dont 34 % en EPM.1
Offre de soins répartie sur le territoire
Une unité de soins se trouve au sein de chaque établissement pénitentiaire. Ces USMP sont pluridisciplinaires ; leur dimensionnement varie en fonction de la taille, de l’importance du flux, de la spécificité de la population accueillie (femmes, mineurs, longues peines...) et de ses besoins spécifiques. Les personnels de soins exerçant dans les USMP font partie des personnels de l’hôpital de rattachement de cette dernière.
Le profil des personnes accueillies en détention diffère : plutôt jeunes en maison d’arrêt, voire enfants dans les quartiers pour mineurs, ils sont souvent plus âgés en centres pour peines.
Les pathologies rencontrées sont variées : addictions, traumatismes, maladies cardiovasculaires, endocriniennes, rhumatismales, avec des comorbidités psychiatriques fréquentes. Du fait des politiques pénales et de l’évolution sociétale, les services de soins en détention constatent un vieillissement de la population pénale à l’origine d’une modification des pathologies rencontrées.
Équipes pluridisciplinaires
La notion d’équipe pluridisciplinaire en prison est majeure, la collaboration entre les différentes catégories de personnels est indispensable et, plus encore qu’à l’hôpital, le travail de chacun s’articule avec celui des autres.
Infirmiers : les véritables piliers des unités
Ils sont prioritairement et directement sollicités par les personnes détenues. Ce sont eux qui recueillent, dès l’entrée en détention, leurs problématiques sanitaires.
Ils régulent, écoutent, apaisent et ont de multiples missions, comme la programmation des consultations en fonction du degré d’urgence, la réalisation des soins infirmiers courants, la distribution des médicaments prescrits, la prévention et l’éducation. Dans les petites structures, ils sont parfois seuls la majorité du temps, avec, si nécessaire, des contacts téléphoniques avec le médecin.
Les médecins somaticiens ont pour mission exclusive le soin
Ils sont chargés du bilan d’accueil des arrivants, des consultations de suivi des maladies chroniques, des urgences mais aussi des dépistages de maladies infectieuses, de la mise à jour des vaccinations, de la coordination des actions d’éducation à la santé.
Même s’ils sont en interface avec l’administration pénitentiaire, la finalité de leur action est exclusivement le soin. Ils ne jouent jamais un rôle d’expert ou d’auxiliaire de justice ni ne participent au parcours de peine de leurs patients.
Médecins psychiatres très sollicités
Ils sont des professionnels indispensables du fait du profil des personnes accueillies en détention. Ils peuvent être intégrés à l’équipe de l’USMP ou appartenir à l’un des 26 services individualisés, les services médico-psychologiques régionaux (SMPR).
Nombre de patients présentent des troubles psychiatriques préexistants ou non à l’incarcération, souvent aggravés et parfois même induits par elle.
Les psychiatres assurent avec leur équipe d’infirmiers, de psychologues, parfois de psychomotriciens, l’évaluation, la prise en charge de pathologies aussi variées que des maladies psychiatriques sévères, des troubles anxieux et du sommeil, ou des troubles de la personnalité.2
Ils sont en première ligne dans le cadre de la prévention du suicide, qui est sept fois plus fréquent en détention qu’en milieu libre.3
Enfin, ils organisent les hospitalisations consenties ou sous contrainte des patients dont les pathologies sont décompensées.
Dentistes : pour une évaluation nécessaire de la santé bucco-dentaire
L’évaluation à l’entrée en détention fait apparaître un besoin important en soins bucco-dentaires chez ces patients vulnérables dont la prise en charge dentaire a généralement été négligée. Les comportements addictifs et le tabagisme (80 % de la population pénale) aggravent les caries et les maladies parodontales qui, non traitées, affectent la santé générale et renforcent l’isolement social. Il est indispensable de restaurer tant que faire se peut le coefficient masticatoire et de limiter les infections dentaires. L’amélioration de l’esthétique du patient, si elle n’est pas primordiale, reste un élément important lui permettant une revalorisation personnelle et une meilleure insertion.
Équipe de pharmacie : conciliation médicamenteuse et observance
Elle travaille en collaboration avec l’équipe médicale et paramédicale, dans un but de conciliation médicamenteuse et d’observance. La compréhension des traitements par les patients reste un élément essentiel pour leur efficacité.
Secrétaires : articulation entre les différents acteurs
Rouages de l’organisation, ils sont chargés des données médicales et de l’articulation avec les services pour les consultations extérieures et, si nécessaire, les hospitalisations. Le secrétariat, que ce soit pour les liens avec les autres unités en milieu pénitentiaire ou pour ceux avec les services hospitaliers, est un acteur indispensable de la continuité des soins.
Autres acteurs
Dans les services installés dans les plus grands établissements pénitentiaires, on peut trouver au sein des équipes de soins d’autres acteurs essentiels comme les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes, parfois des orthoptistes et orthophonistes. Rien n’est superflu pour ces personnes non diagnostiquées, non rééduquées avant l’incarcération. Les équipes sont parfois confrontées à des situations difficiles, voire incongrues, dans un climat qui peut être violent mais qui est le plus souvent empreint de reconnaissance et de gratitude envers les soignants.
Services hospitaliers dédiés
Pour compléter l’offre au sein des structures de détention, il existe des services hospitaliers prenant en charge exclusivement des patients détenus, il s’agit des unités hospitalières sécurisées inter-régionales (UHSI) pour les soins somatiques et des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les soins psychiatriques.
Déontologie et détention
L’exercice auprès des personnes détenues est noble, attachant et indispensable ; il permet de traiter des patients vulnérables et tente de les ramener vers le soin. Le soignant en prison va au-devant du patient, il est depuis toujours dans la démarche pertinente de l’« aller vers ».4
La grande majorité des détenus en France ne sont pas destinés à rester en prison plus de quelques mois. Ils reprennent leur place au sein de la société à leur sortie. La continuité des soins avec l’extérieur passe aussi par une meilleure connaissance de ce qui se passe à l’intérieur des murs.
Afin d’assurer un lien thérapeutique avec son patient, le médecin exerçant en prison se doit de respecter et faire respecter par son équipe le secret professionnel dans un milieu par essence étranger à la notion de secret. C’est pourtant la garantie d’une relation saine soignant-soigné, d’autant que les patients en détention ne sont privés que de leur liberté. Il est important de rappeler sans cesse qu’en médecine, le secret professionnel est inconditionnel, total, et que toute information doit être donnée au patient, lequel est libre d’en disposer comme bon lui semble.
Une bonne qualité de prise en charge de ces patients ne peut se faire que grâce à un travail en équipe soutenant, enrichissant, qui permet de réussir parfois à plusieurs ce que l'on ne pourrait pas réaliser seul. Ce travail en équipe permet également de découvrir les spécificités du milieu carcéral, ses contraintes et ses exigences tout en apprenant à se questionner sur son indépendance professionnelle vis-à-vis de l’administration pénitentiaire ou judiciaire, de distinguer et respecter les missions de chacun, de soigner sans juger.
Pour aller plus loin
Anne Lécu. La prison, un lieu de soin ? Les Belles Lettres, 2012.
Dossier sur les soins psychiatriques aux personnes détenues. Santé mentale, n° 227, avril 2018.
Béatrice Carton, Anne Lécu. Les soins en prison. Quelle réalité derrière les murs ? Hygée éditions, 2024.
Michel David. Soigner les méchants. Éthique du soin psychiatrique en milieu pénitentiaire. L'Harmattan, 2015.
Didier Fassin. L’ombre du monde, une anthropologie de la condition carcérale. Points Essais, 2017.
2. Fovet T, Lancelevee C, Wathelet M, et al. La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale. Fédération nationale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France. Décembre 2022. https://www.f2rsmpsy.fr/fichs/30838.pdf.
3. Duthe G, Hazard A, Kensey A. Suicide des personnes écrouées en France : évolution et facteurs de risque. Population 2014;69(4):519-50.
4. Carton B. Être médecin en prison : perspectives d’avenir et question déontologique. Bull Acad Natl Med 2024;208:1113-7.