Le choix du vocable pour désigner les individus concernés – patient, malade, personne – n’est pas anodin. Ces termes reflètent des conceptions différentes de la relation de soin. Ils influencent la formation des professionnels de santé, l’organisation des soins et la mise en œuvre de la démocratie en santé.

Le langage est porteur de sens et de symboles qui orientent nos actions. Dans le domaine de la santé, le choix des mots pour désigner les individus concernés – patient, malade, personne – n’est jamais neutre. Ces termes reflètent des conceptions différentes de la relation de soin et influencent la formation des professionnels de santé, l’organisation des soins et la mise en œuvre de la démocratie en santé.

Le «  patient  »  : un acteur central mais passif  ?

Le terme «  patient  », du latin patiens («  qui souffre  »), évoque une figure en attente, qui «  patienterait  » face à l’intervention d’un soignant non seulement maître du temps mais détenant le savoir et le pouvoir d’agir. Cette représentation, issue d’une vision paternaliste de la médecine, structure encore souvent l’organisation des soins, où le patient est considéré comme émetteur d’une souffrance, puis récepteur de décisions prises par des professionnels. Si cette terminologie souligne l’importance de l’intervention médicale et des compétences des soignants, elle tend aussi à minimiser l’autonomie de l’individu concerné et son expertise en tant que sujet d’une expérience vécue.

Dans ce sens, l’usage du mot « patient » dans l’expression «  soins centrés sur le patient  » garde une connotation paternaliste, qui semble contradictoire avec l’objectif de reconnaître un rôle actif central à l’individu. Le développement de l’éducation thérapeutique ou, plus récemment, de la recherche participative vise à transformer cette vision. Néanmoins, ces nouvelles approches se heurtent encore parfois à des résistances culturelles de la part des professionnels de santé ou à un manque de reconnaissance institutionnelle dans les systèmes de santé.1

Le «  malade  »  : une réduction à la pathologie  ?

Le terme «  malade  » tend à réduire l’individu à une condition pathologique, ayant un substratum biomédical. Cette perspective, héritée d’un modèle biomédical centré sur la maladie, envisage le malade selon le dysfonctionnement d’un ou plusieurs de ses organes, voire, désormais, l’expression d’une séquence génétique particulière, associée à certaines maladies. Cette approche réductionniste est à l’origine de nombreux succès diag­nostiques, pronostiques et thérapeutiques. Elle permet notamment l’émergence de thérapies ciblées et le développement de la médecine de précision. Elle porte néanmoins en elle un risque, associé à ce réductionnisme, de dévaluation de l’attention portée à la subjectivité des individus concernés.2  Dans la pratique, une organisation des soins centrée sur le «  malade  » tend à privilégier la réponse aux besoins biomédicaux immédiats, parfois au détriment d’une approche globale intégrant l’histoire de l’individu concerné, son contexte de vie, ses aspirations. Ce modèle expose particulièrement à une forme de marginalisation de la médecine pour ceux dont les symptômes ne reposent pas sur une physiopathologie simple déjà élucidée, comme les patients souffrant de troubles mentaux ou de troubles somatiques fonctionnels, participant alors à la stigmatisation de ces troubles.3La «  personne  »  : vers une approche globale  ?

Le terme «  personne  » introduit une dimension plus large, qui dépasse la souffrance et la maladie pour reconnaître l’individu dans sa globalité – biologique, psychologique et sociale. Cette conception s’inscrit dans une vision des soins où l’autonomie, les valeurs et les choix de l’individu sont au centre des décisions thérapeutiques.1 Cependant, une organisation centrée sur la «  personne  » nécessite des ajustements significatifs  : des équipes pluridisciplinaires susceptibles de répondre à l’ensemble des besoins de la personne, une écoute active permettant leur recueil et des processus décisionnels partagés. Elle suppose également une formation adaptée des soignants pour intégrer des compétences relationnelles, éthiques et réflexives dans leur pratique.

Implications pratiques et tensions dans la démocratie en santé

Ces trois termes, et les modèles qu’ils impliquent, révèlent des tensions inhérentes à la démocratie en santé. D’un côté, la reconnaissance des droits des malades, identifiés comme des personnes dans le code de santé publique, et la prise en compte de leurs savoirs expérientiels dans la formation des professionnels et l’organisation des systèmes de santé permettent une amélioration de la qualité des soins et une orientation de la recherche en adéquation avec les besoins des personnes concernées. D’un autre côté, une mauvaise compréhension des savoirs, compétences et prérogatives respectives des différents acteurs peut introduire de la confusion dans les débats sociétaux et scientifiques, et entraîner une remise en cause excessive de l’expertise médicale ou une difficulté à concilier les besoins individuels avec les contraintes collectives.

Par exemple, l’implication des associations dans l’élaboration des différents Plans cancer en France a contribué à une meilleure structuration des parcours de soins et à la reconnaissance des besoins en accompagnement global (psychologique, social, de réinsertion). De même, la mobilisation des associations de lutte contre le VIH a été un levier essentiel pour accélérer l’accès aux traitements et la mise en place de dispositifs de réduction des risques. Dans d’autres domaines, l’opposition frontale entre associations militant pour les droits des patients et des usagers et professionnels de santé a conduit à des impasses, comme dans le cas de la maladie de Lyme, où l’élaboration de recommandations sous l’égide de la Haute Autorité de santé s’est soldée en 2018 par un rejet ­aussi bien des associations que des sociétés savantes, aboutissant finalement à la rédaction de nouvelles recommandations par les seules sociétés savantes en 2019.4 Ces tensions soulignent la nécessité de clarifier les prérogatives de chaque acteur de santé pour construire un partenariat véritablement collaboratif.

Former les professionnels  : une clé pour l’avenir

Pour naviguer entre ces modèles, la formation des professionnels de santé doit évoluer. Il ne s’agit plus seulement d’acquérir des connaissances et compétences biomédicales, mais aussi de développer une compréhension fine des dynamiques relationnelles et des enjeux éthiques. Les approches pédagogiques intégrant des personnes malades ou ayant été malades comme co-enseignants, ou les exercices de réflexion sur des situations vécues, sont des exemples prometteurs pour préparer les soignants à répondre à des attentes diversifiées tout en préservant la qualité des soins. Elles matérialisent également le nécessaire «  pas de côté  » que doit faire l’enseignant médecin pour laisser la place qui leur revient à ces nouveaux acteurs de la formation. C’est ainsi que l’article 7 de l’arrêté du 27 janvier 2025 relatif à la participation de «  patients  » dans les études de médecine a tout récemment établi que «  la formation pratique et théorique peut faire appel à la participation de “ patients ”, en binôme avec un personnel enseignant  ».5

Des mots aux actes

Le choix des mots entre «  patient  », «  malade  » et «  personne  » n’est pas qu’une question sémantique. Une démocratie en santé mature exige de reconnaître la complémentarité des savoirs, d’encourager la participation sans négliger l’expertise et de s’assurer que, quel que soit le terme choisi, il serve avant tout la relation de soin.

Références
1. Hickmann E, Richter P, Schlieter H. All together now - patient engagement, patient empowerment, and associated terms in personal healthcare. BMC Health Serv Res 2022;22(1):1116.
2. Lemogne C, Dufayet L, Buffel du Vaure C, et al. Empathie : des bénéfices pour le patient et pour le médecin, Rev Prat 2025;75(5):sous presse.
3. Lemogne C, Pitron V, Rotgé JY, et al. What attitude towards a patient with somatoform disorder? Rev Prat 2019;69(2):209‑13.
4. Gocko X, Lenormand C, Lemogne C, et al. Lyme borreliosis and other tick-borne diseases. Guidelines from the French scientific societies. Med Mal Infect 2019;49(5):296‑317.
5. Arrêté du 27 janvier 2025 relatif à la participation de patients dans les formations pratiques et théoriques des études de médecine.