L’accès élargi aux technologies d’imagerie médicale a considérablement amélioré et accéléré les diagnostics médicaux. L’augmentation du nombre d’équipements s’accompagne de celle du nombre d’examens, particulièrement en France avec plus de 360 examens pour 1 000 habitants en 2021, tenant ainsi le peloton de tête avec les états-Unis, le Luxembourg et la Corée du Sud. Cependant, cette accessibilité s’accompagne d’une utilisation souvent excessive et non justifiée. Selon plusieurs études, entre 20 et 50 % des examens d’imagerie seraient inutiles ou de faible valeur.1,2 Ce constat est largement partagé dans le monde, les publications sur le sujet provenant de tous les continents. En 2015, une étude suisse a révélé que 51 % des médecins généralistes estimaient que les patients recevaient trop de prestations médicales.3

En parallèle, les contraintes environnementales, de ressources, aussi bien qu’économiques et organisationnelles, s’imposent dans le paysage du système de santé français et mondial.

Pour répondre à certains aspects de ces problèmes, de nombreux travaux se penchent sur l’efficacité énergétique, l’amélioration du flux de patients, grâce à l’intelligence artificielle notamment. Toutefois, l’amélioration de l’efficacité énergétique perd de sa pertinence dans un contexte de demande croissante et non régulée d’examens médicaux. Elle ne fait, au mieux, que repousser dans le temps le dépassement des seuils critiques : par exemple, la réduction de durée des examens grâce à la numérisation a facilité l’accès à ceux-ci, générant ainsi un effet bien documenté dans d’autres secteurs économiques : l’effet rebond ou paradoxe de Jevons.

Évaluer la pertinence des actes en imagerie médicale

Pour réellement contrôler les impacts et devenir vraiment efficient, il faut associer à l’efficacité la maîtrise de l’inflation de la demande d’examens. La pertinence des actes en imagerie médicale est donc une question centrale. Il ne s’agit pas d’identifier des responsables ou de porter un jugement sur les pratiques de prise en charge mais plutôt d’analyser les enjeux sous-jacents et les facteurs contribuant à la réalisation d’examens inutiles ou de faible valeur ; de plus, il s’agit d’évaluer les bénéfices qui pourraient être attendus d’un accompagnement à la juste demande d’examens.

La pertinence peut être définie comme la réalisation d’un acte dont les bénéfices attendus surpassent les risques potentiels, en fonction du contexte clinique. À l’inverse, un examen inutile ou non indiqué est celui qui ne modifie ni le diagnostic ni la prise en charge du patient. Cela concerne, par exemple, les examens répétés ou redondants en raison de problématiques d’accès, d’examen perdus, de prise en charge multisite ou de lien ville-hôpital insuffisant  ; les examens réalisés en dehors des recommandations clinique ; un choix de modalité inadapté à la problématique clinique.

Plutôt que la dichotomie de la balance bénéfice-risque, Chassin et Galvin4 préfèrent décrire un continuum au sein duquel une zone grise sépare les examens clairement inutiles des examens clairement pertinents.

Les examens le plus souvent demandés sans bénéfice clinique ou à faible valeur ajoutée sont nombreux, jusqu’à 84 selon des études :5 

  • dans le cadre de douleurs ostéo-articulaires non spécifiques sans signes d’alarme, le scanner ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour lombalgie ou l’IRM de genou et de hanche ;
  • les radiographies après fixations de fracture ou arthroplasties sans symptôme ;
  • la stadification ou le suivi des cancers à faible risque (cancers localisés, principalement du sein ou de la prostate) par scanner ou IRM ;
  • les examens «  systématiques  » ou répétés sans indication clinique (scanner crânien pour traumatismes mineurs, scanner thoracique pour patients Covid- 19 en amélioration clinique, échographie pelvienne systématique après 50 ans)…
 

Le cas emblématique de l’angioscanner thoracique pour suspicion d’embolie pulmonaire illustre l’inflation de la demande grâce à la facilitation de l’accès aux équipements. Dans un travail de thèse datant de 2017, il avait été observé un faible taux de positivité de l’examen (jusqu’à seulement 6 % de positivité) par rapport à la littérature (entre de 20 et 30 % de positivité) attribué à une mauvaise utilisation des critères diagnostiques (score de Genève), en particulier chez les patients à faible probabilité clinique sans justification préalable par le dosage des D-dimères.6

La valeur clinique d’un examen demeure une notion complexe à quantifier et à évaluer. Cela s’explique en partie par le fait que les outils de mesure et d’évaluation disponibles opèrent à une échelle globale, leur valeur s’appliquant essentiellement à une échelle macroscopique. Cette approche méthodologique entre souvent en contradiction avec l’expérience clinique et les savoirs empiriques qui façonnent la pratique médicale.

Objectifs recherchés

Plusieurs objectifs peuvent être recherchés dans la réalisation d’un examen :7

  • la valeur clinique, comme on l’a vu, qui n’est pas toujours celle visée ;
  • la valeur individuelle de l’examen, visant à éviter des examens invasifs ou anxiogènes ou à risque d’iatrogénie ; ou, au contraire, la demande d’examens de façon compassionnelle ;
  • la valeur organisationnelle, souvent avancée dans un contexte de service d’accueil des urgences en cas d’afflux des patients pour la gestion accélérée de la file active ;
  • l’impact global sur la santé des populations, afin de garantir une répartition équitable des ressources et de promouvoir une utilisation durable des examens dans une perspective à long terme : réduction de la morbidité et de la mortalité globales grâce à des décisions stratégiques et diminution des inégalités d’accès aux soins.

Conséquences des actes d’imagerie non pertinents

Iatrogénie

La surprescription et les examens à faible valeur ajoutée pour le patient présentent des risques. Parmi les risques iatrogéniques bien établis figurent ceux associés à l’exposition aux rayonnements ionisants ainsi qu’à l’administration de produits de contraste.

Par ailleurs, les découvertes fortuites, souvent non péjoratives pour le pronostic, sont génératrices de stress inutile et peuvent avoir pour conséquence d’entraver inutilement des projets de vie. L’allon­gement inutile des parcours de soins avant la prise  en charge,8 les risques de surdiagnostic et de surtraitement entraînant une augmentation indue de la demande de soins9 constituent également des écueils.

Impact environnemental et énergétique

Les actes d’imagerie génèrent des impacts directs (au cours de tout leur cycle de vie : fabrication, utilisation et consommation, élimination des appareils) et indirects (utilisation de produits de contraste, refroidissement des équipements et salles d’examen, stockage des données, numérisation, postes de travail, etc.).

L’imagerie médicale représenterait 1 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.10

L’exploitation des équipements d’imagerie (scanners, IRM) nécessite des infrastructures à haute consommation électrique, notamment pour le refroidissement des machines. Tandis que les radiographes, mammographes et échographes sont moins consommateurs.

L’utilisation de produits de contraste iodés et à base de gadolinium génère une pollution des effluents par l’excrétion urinaire du produit administré aux patients. La contamination des milieux aquatiques ainsi générée ne fait pas l’objet d’un traitement spécifique en station d’épuration, favorisant donc leur persistance dans l’environnement et créant un risque de bio-accumulation toxique au sein des écosystèmes.11

Le nombre d’équipements s’est adapté proportionnellement à l’inflation de la demande en examens d’imagerie pour garantir un accès dans des délais raisonnables pour tous. Cela génère également une pression sur les ressources (notamment terres rares pour la partie numérique et hélium) dont l’approvisionnement dans le futur n’est pas garanti dans les conditions de sécurité et d’équité qu’impose l’éthique du soin.12

Poids organisationnel

Dix à 34  % des dépenses en santé dans les pays occidentaux sont dues à une utilisation inappropriée des ressources de santé (thérapeutiques ou diagnostiques), y compris les examens d’imagerie diagnostique de faible valeur.5,13

L’augmentation du volume d’examens a doublé la charge de travail des radiologues, responsable d’une perte de sens, entraînant des risques accrus de burn out14 dans un contexte, en France, de démographie médicale défavorable. En effet, en 2022, plus d’un tiers des radiologues en exercice avaient 60 ans ou plus, ce qui est légèrement plus que la moyenne des médecins.15 

La multiplication des examens inutiles contribue à un engorgement des infrastructures. Ce détournement des ressources est principalement à déplorer dans les zones géographiques où les populations sont les plus vulnérables, appelant à une meilleure gestion des ressources pour plus de justice distributive.14

Solutions pour améliorer la pertinence de la demande d’examens radiologiques

Plusieurs initiatives existent et sont décrites dans la littérature. Parmi elles, les guides de bonne pratique. En France, la Société francophone de radiologie et le Collège de la médecine générale ont mis au point un outil de recherche nommé Aderim (Aide à la demande d’examens de radiologie et imagerie médicale).16 Son usage et son accessibilité semblent cependant encore limités.

Le développement de campagnes de sensibilisation, notamment nord-américaine et suisse, dans le cadre des initiatives « Choosing wisely » et « Smarter medicine  », est inspirant. On ne peut qu’encourager à visionner ces vidéos.17,18 

La numérisation des données et l’avènement du dossier médical partagé dans Mon espace santé et sa déclinaison en imagerie, DRIM Box (partage d’imageries via le réseau DRIM-M [data radiologie imagerie médicale & médecine nucléaire] entre professionnels de santé mis en place dans le cadre du programme Ségur du numérique), devraient optimiser l’accès aux informations tout au long du parcours de soins des patients, améliorer la continuité des soins et favoriser une meilleure valorisation des examens réalisés. Elle devrait notamment permettre de réexaminer les résultats à la lumière de nouvelles données, ainsi que d’effectuer des comparaisons avec les examens antérieurs. Le déploiement de tels outils devra néanmoins se faire avec prudence pour la sécurisation des données, d’une part, et la minimisation de l’impact environnemental, d’autre part. Il sera nécessaire de veiller à l’écoconception du modèle de stockage des images.

Enfin, de nombreuses propositions utilisent de nouveaux outils numériques, l’intelligence artificielle ou des algorithmes d’aide au diagnostic. Une implémentation de l’intelligence artificielle pour prédire le risque d’embolie pulmonaire permettrait une réduction de 20  % des besoins d’angioscanner thoracique pour embolie pulmonaire.19 À ce jour, aucune étude n’a comparé les externalités négatives associées aux outils d’intelligence artificielle aux bénéfices qu’elles pourraient générer. D’ailleurs, l’impact environnemental propre à l’intelligence artificielle demeure largement méconnu, en raison de la complexité de son évaluation et du manque de transparence des grandes entreprises du numérique sur cette question.

Communiquer sur l’intérêt des actes d’imagerie

Optimiser la pertinence des actes en imagerie médicale représente un levier essentiel pour répondre aux enjeux d’écoresponsabilité et de soutenabilité des systèmes de santé. Communiquer sur la part d’examens non pertinents, désinvisibiliser leurs impacts constituent une étape déterminante pour la compréhension du problème dans la santé-même des populations et la durabilité de notre système de soins. En combinant actions éducatives, initiatives structurelles et responsabilisation collective, il est possible de réduire les impacts écologiques, organisationnels et humains tout en améliorant la qualité des soins. Et, avant chaque prescription d’acte d’imagerie, il est utile de s’interroger sur sa pertinence (encadré).

Encadre

Cinq questions clés à se poser avant de réaliser un acte d’imagerie

  • Est-il vraiment nécessaire  ?
  • Quels sont les risques ?
  • Existe-t-il des alternatives plus simples et sûres ?
  • Que se passera-t-il si cet examen n’est pas réalisé ?
  • Quel est le coût sociétal et environnemental de ce choix  ?
Références
1. Hendee WR, Becker GJ, Borgstede JP. Addressing overutilization in medical imaging. Radiology 2010;257(1):240-5.
2. Armao D, Semelka RC, Elias J Jr. Radiology’s ethical responsibility for healthcare reform: Tempering the overutilization of medical imaging and trimming down a heavyweight. J Magn Reson Imaging 2012;35(3):512-7.
3. Gerber M, Kraft E, Bosshard C. La surconsommation de prestations médicales : un problème de qualité. Bulletin des médecins suisses 2016;97(7):236-43.
4. Chassin MR, Galvin RW. The urgent need to improve health care quality. Institute of Medicine National Roundtable on Health Care Quality. JAMA 1988;280(11):1000-5.
5. Kjelle E, Andersen ER. Characterizing and quantifying low-value diagnostic imaging internationally: A scoping review. BMC Med Imaging 2022;21;22(1):73.
6. Rico C. Étude de la pertinence de la demande d’angioscanners thoraciques en cas de suspicion d’embolie pulmonaire aiguë dans la structure d’urgences adultes du CHU Pellegrin. Thèse de doctorat en médecine, 2017.
7. Brady AP, Bello JA, Derchi LE. Radiology in the era of value-based healthcare: A multi society expert statement from the ACR, CAR, ESR, IS3R, RANZCR, and RSNA. J Am Coll Radiol 2021;18(6):877-83.
8. Raudasoja AJ. Randomized controlled trials in de-implementation research: A systematic scoping review. Implement Sci 2022;17(1):65.
9. Ahn HS, Kim HJ, Welch HG. Korea’s thyroid-cancer “epidemic”--screening and overdiagnosis. New Engl J Med 2014;371(19):1765-7.
10. Picano E. Environmental sustainability of medical imaging. Acta Cardiol 2021;76(10):1124‑8.
11. Chaban YV, Hanneman K. Environmental sustainability and MRI: Challenges, opportunities, and a call for action. J Magn Reson Imaging 2024;59(4):1149-67.
12. European Chemical Society. Element scarcity. EuChemS periodic table. 2023. https://www.euchems.eu/euchems-periodic-table/. 
13. Yan TD, Jalal S. Value-based radiology in Canada: Reducing low-value care and improving system efficiency. Can Assoc Radiol J 2025;76(1):61-7.
14. Brownlee S, Chalkidou K. Evidence for overuse of medical services around the world. Lancet 2017;8;390(10090):156-68.
15. ASIP. Santé RPPS. Données au 1er janvier 2022.
16. SFR-CMG. ADERIM (Aide à la demande d’examens de radiologie et imagerie médicale). Référentiel des bonnes pratiques à l’usage des médecins. https://aderim.radiologie.fr/home. 
17. Choosing wisely. https://www.youtube.com/watch?v=FqQ-JuRDkl8. 
18. Smarter medicine. Choosing wisely Switzerland. https://www.smartermedicine.ch/fr/page-daccueil. 
19. Banerjee I. Development and Performance of the Pulmonary Embolism Result Forecast Model (PERFORM) for computed tomography clinical decision support. JAMA Netw Open 2019;2(8):e198719.
20. The Shift Project. Rapport intermédiaire : décarbonons les industries du dispositif médical. Janvier 2025. https://bit.ly/4jpsKOy 

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Résumé

La surutilisation de l’imagerie médicale est un problème mondial  : elle est observée dans tous les pays quel que soit le niveau de revenu ou le type de prise en charge du système de santé (privé ou public). Il est complexe d’établir des critères précis pour déterminer la pertinence des soins et de quantifier les services inutiles. La surutilisation n’entraîne pas simplement des dommages physiques, psychologiques et financiers pour les patients, elle détourne des ressources de la santé publique et implique des dépenses sociales. Elle est responsable d’un impact environnemental dont les conséquences pèsent sur la santé des populations. Dans un contexte de crise énergétique et en ressources, la robustesse de l’imagerie médicale doit associer l’innovation pour assurer l’efficacité énergétique ou l’écoconception des appareils de radiologie ET la maîtrise de la demande d’examens.