À la suite de la création du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) en 2020,1 le centre régional de pathologies professionnelles et environnementales des Hauts-de-France (CRPPE HDF) au centre hospitalo-universitaire Amiens-Picardie (CHUAP) a vu la mise en place d’une consultation « Pesticides et pathologies pédiatriques » depuis le 1er octobre 2023. Cette initiative est celle du Dr Sylvain Chamot, responsable des consultations, et du Pr Élodie Haraux, urologue pédiatre. La consultation a vocation à émettre un avis expert consultatif sur le lien entre les expositions professionnelles aux pesticides des parents et les maladies de leurs enfants.
Quelles sont les pathologies ciblées ?
La consultation « Pesticides et pathologies pédiatriques » est ouverte aux enfants atteints de leucémies, tumeurs cérébrales, hypospadias et/ou fentes labio-palatines et à leurs familles. Le choix de ces pathologies – pour lesquelles existent des barèmes d’indemnisation – repose sur une liste préétablie par les experts du FIVP sur la base des niveaux de preuve scientifique.2 Il s’inscrit dans la droite ligne de l’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de 2021 « Pesticides et effets sur la santé : nouvelles données ».3
Leucémies
Concernant les leucémies de l’enfant, les experts de l’Inserm ont conclu que « les méta-analyses récentes confirment l’augmentation du risque de leucémie aiguë (leucémie aiguë lymphoblastique et leucémie aiguë myéloblastique) chez les enfants lors d’une exposition maternelle aux pesticides pendant la grossesse liée [...] à l’exposition maternelle professionnelle pendant la grossesse [...].
Une augmentation du risque de leucémie aiguë lymphoblastique est également suggérée en cas d’exposition professionnelle paternelle aux pesticides en période préconceptionnelle. »3
Depuis, deux revues générales retrouvent des résultats qui vont dans le sens d’une association pour les expositions maternelles et paternelles,4,5 tandis qu’une étude de cohorte suédoise n’a mis en évidence aucune association.6
Tumeurs cérébrales
Pour ce qui est du lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides des parents et l’apparition d’une tumeur cérébrale chez leur enfant, les données de la littérature sont relativement anciennes. Les experts de l’Inserm indiquaient dans leur rapport de 2021 que « le rôle de l’exposition professionnelle du père et de la mère aux pesticides dans la survenue des tumeurs du système nerveux central (SNC) chez l’enfant avait également été avancé avec une présomption forte dans l’expertise collective Inserm de 2013. Une actualisation de ces connaissances ne semble pas pertinente, les études publiées depuis cette expertise étant très peu nombreuses et peu informatives. »3 Les experts s’appuyaient alors notamment sur une revue de la littérature de 2013.7 Depuis, une nouvelle revue de la littérature abonde également dans le sens d’une association.8
Il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de faire la différence entre les sous-types de tumeur.
Hypospadias
Pour l’hypospadias, les données sont, là encore, relativement anciennes. Une étude française a mis en évidence une association concernant l’exposition maternelle pendant la grossesse, sans pour autant avoir mené d’analyse sur l’exposition paternelle.9 Il apparaît cependant que les pères étaient plus souvent agriculteurs dans le groupe des enfants atteints d’hypospadias que dans celui des témoins. Une méta-analyse antérieure retrouvait une augmentation de risque lors d’une exposition professionnelle maternelle comme paternelle.10 Une étude américaine, moins informative, n’a pas retrouvé cette association.11 D’autres études, plus ou moins récentes, ont montré un lien mais n’ont pas pu faire la différence entre le père et la mère, les deux étant agriculteurs.12,13 Enfin, une récente méta-analyse n’a pas mis en évidence d’association entre l’exposition aux pesticides et l’apparition d’hypospadias,14 sans toutefois prendre en considération certaines études positives citées préalablement.12,13 L’équipe de recherche, PériTox (UMR-I 01, unité mixte Ineris/université de Picardie Jules-Verne [UPJV], Périnatalité et risques toxiques), a publié des résultats associant la présence de certains pesticides dans le méconium avec l’apparition d’un hypospadias.15
Fentes labio-palatines
Enfin, en ce qui concerne les fentes labio-palatines, en 2007 une méta-analyse a mis en évidence une augmentation du risque à la suite d’une exposition professionnelle maternelle pendant la grossesse et plus modérée et non significative lors d’une exposition professionnelle paternelle.16 Depuis, une autre méta analyse, publiée en 2019, n’a pas retrouvé de telles associations.14 Elle ne s’intéressait cependant qu’à deux études, dont l’une est récente (2017) et montre une association avec l’exposition professionnelle maternelle.17 Une autre étude, publiée en 2018, met uniquement en évidence l’association entre une certaine exposition paternelle à des pesticides et cette malformation.18
Il est donc plus difficile de conclure sur les liens entre fentes labio-palatines et exposition parentale aux pesticides.
Quels sont les pesticides ciblés ?
La plupart des études épidémiologiques s’intéressant à l’impact des pesticides souffrent de faiblesses manifestes concernant la mesure de l’exposition. Très souvent, le risque n’est pas caractérisé pour un pesticide mais pour une famille de pesticides. Ces familles pouvant, de plus, avoir des frontières variables selon la définition utilisée.
La caractérisation de l’exposition dans ces études est rendue complexe par de très nombreux facteurs : absence de véritable système de traçabilité des utilisations à des fins de recherche, diversité importante des substances actives (plus de 1 000 homologuées en France), usage concomitant de plusieurs produits, variations dans le temps selon les recommandations et interdictions d’usage...
Devant l’ensemble de ces difficultés, des équipes de recherche françaises ont développé des matrices cultures-expositions (MCE). Il s’agit de listes de pesticides susceptibles d’avoir été utilisés pour des périodes données, pour chaque culture concernée. Pour chacune, des indicateurs estimatifs sont fournis a minima sur la probabilité, la fréquence et l’intensité. Il existe deux projets distincts de MCE aux pesticides en France : PESTIMAT (équipe Épidémiologie des cancers et expositions environnementales [EPICENE] du centre de recherche Inserm-université de Bordeaux U1219 « Bordeaux Population Health ») et Matphyto (département Santé environnement travail de Santé publique France).20,21
Les principales cohortes apportant des informations détaillées sur les pesticides dans le monde sont actuellement la cohorte AGRICAN en France, reposant sur l’usage de PESTIMAT, et l’Agricultural Health Study (AHS) aux États-Unis.22,23 Aucune de ces cohortes n’apporte malheureusement de données pour les pathologies pédiatriques. Il est donc pour l’instant très difficile d’impliquer un ou plusieurs pesticides particuliers dans l’apparition des pathologies pédiatriques au regard de données de la littérature.
La consultation « Pesticides et pathologies pédiatriques » a donc pris le parti de s’intéresser de façon globale à l’exposition professionnelle aux pesticides à l’aide d’un questionnaire de repérage initial (tableau).
Qu’est-ce que la consultation « Pesticides et pathologies pédiatriques » ?
Les centres régionaux de pathologies professionnelles et environnementales (CRPPE) sont des structures expertes de recours pour la prise en charge de pathologies complexes d’origines professionnelles ou environnementales.24,25 Ils offrent un dispositif spécialisé de conseil et d’aide pour la recherche de l’origine et des causes professionnelles ou environnementales de ces pathologies ; c’est dans ce contexte que le CRPPE HDF site d’Amiens porte cette initiative.
Cette consultation est menée en collaboration avec l’ensemble des équipes des services de chirurgie générale et viscérale pédiatrique, d’onco-hémato-immunologie pédiatrique et de chirurgie maxillo-faciale du CHU Amiens-Picardie.
Les enfants (et leurs familles) qui souffrent ou ont souffert de l’une de ces affections et dont le diagnostic remonte à moins de quinze ans peuvent bénéficier de cette consultation. Actuellement, lors du suivi de ces enfants, un questionnaire est administré par le médecin pédiatre ou le chirurgien pédiatre référent afin de rechercher une exposition professionnelle aux pesticides de l’un ou l’autre des parents pendant la période de vulnérabilité entourant la grossesse de cet enfant (tableau).
En cas de risque d’exposition professionnelle aux pesticides, le CRPPE contacte les parents pour consultation. L’expertise des médecins du CRPPE permet de déterminer l’influence des activités professionnelles sur l’apparition d’une pathologie chez l’enfant.
Selon les situations, une demande d’indemnisation auprès du FIVP peut être recommandée ou non. Le FIVP a été créé notamment pour indemniser les enfants ayant été exposés in utero du fait de l’activité professionnelle de leurs parents.1
Si le questionnaire ne permet pas d’identifier une exposition professionnelle, les parents reçoivent une lettre les informant qu’une consultation spécifique n’est pas adaptée. L’exposition environnementale n’ouvre alors pas le droit à une indemnisation au titre du FIVP.26
2. Légifrance . Arrêté du 7 janvier 2022 fixant les règles de réparation forfaitaire des enfants exposés aux pesticides durant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de l’un de leurs parents mentionnés au c du 2° de l’article L491-1 du code de la sécurité sociale. https://vu.fr/gjOv
3. Pesticides et effets sur la santé. Nouvelles données. Inserm 2021. https://vu.fr/Mdphc
4. Iqbal S, Ali S, Ali I. Maternal pesticide exposure and its relation to childhood cancer: An umbrella review of meta-analyses. Int J Environ Health Res 2022;32(7):1609‑27.
5. Onyije FM, Olsson A, Baaken D, Erdmann F, Stanulla M, Wollschläger D, et al. Environmental risk factors for childhood acute lymphoblastic leukemia: An umbrella review. Cancers 2022;14(2):382.
6. Rossides M, Kampitsi CE, Talbäck M, Mogensen H, Wiebert P, Tettamanti G, et al. Occupational exposure to pesticides in mothers and fathers and risk of cancer in the offspring: A register-based case-control study from Sweden (1960-2015). Environ Res 2022;214(Pt 1):113820.
7. Van Maele-Fabry G, Hoet P, Lison D. Parental occupational exposure to pesticides as risk factor for brain tumors in children and young adults: A systematic review and meta-analysis. Environ Int 2013;56:19‑31.
8. Feulefack J, Khan A, Forastiere F, Sergi CM. Parental pesticide exposure and childhood brain cancer: A systematic review and meta-analysis confirming the IARC/WHO monographson some organophosphate insecticides and herbicides. Children (Basel) 2021;8(12):1096.
9. Kalfa N, Paris F, Philibert P, Orsini M, Broussous S, Fauconnet-Servant N, et al. Is hypospadias associated with prenatal exposure to endocrine disruptors? A French collaborative controlled study of a cohort of 300 consecutive children without genetic defect. Eur Urol 2015;68(6):1023‑30.
10.Rocheleau CM, Romitti PA, Dennis LK. Pesticides and hypospadias: A meta-analysis. J Pediatr Urol 2009;5(1):17‑24.
11. Rocheleau CM, Romitti PA, Sanderson WT, Sun L, Lawson CC, Waters MA, et al. Maternal occupational pesticide exposure and risk of hypospadias in the national birth defects prevention study. Birth Defects Res A Clin Mol Teratol 2011;91(11):927‑36.
12. Gaspari L, Paris F, Jandel C, Kalfa N, Orsini M, Daures JP, et al. Prenatal environmental risk factors for genital malformations in a population of 1442 French male newborns: A nested case–control study. Hum Reprod 2011;26(11):3155‑62.
13. Kristensen P, Irgens LM, Andersen A, Bye AS, Sundheim L. Birth defects among offspring of Norwegian farmers, 1967-1991. Epidemiology 1997;8(5):537-44.
14. Spinder N, Prins JR, Bergman JEH, Smidt N, Kromhout H, Boezen HM, et al. Congenital anomalies in the offspring of occupationally exposed mothers: A systematic review and meta-analysis of studies using expert assessment for occupational exposures. Hum Reprod 2019;34(5):903‑19.
15. Haraux E, Tourneux P, Kouakam C, Stephan-Blanchard E, Boudailliez B, Leke A, et al. Isolated hypospadias: The impact of prenatal exposure to pesticides, as determined by meconium analysis. Environ Int 2018;119:20‑5.
16. Romitti PA, Herring AM, Dennis LK, Wong-Gibbons DL. Meta-analysis: Pesticides and orofacial clefts. Cleft Palate Craniofac J 2007;44(4):358‑65.
17. Spinder N, Bergman JEH, Boezen HM, Vermeulen RCH, Kromhout H, de Walle HEK. Maternal occupational exposure and oral clefts in offspring. Environ Health 2017;16(1):83.
18. Suhl J, Romitti PA, Rocheleau C, Cao Y, Burns TL, Conway K, et al. Parental occupational pesticide exposure and nonsyndromic orofacial clefts. J Occup Environ Hyg 2018;15(9):641‑53.
19. SPF. Le programme Matphyto. Matrices cultures-expositions aux produits phytosanitaires 2008. https://vu.fr/vzVL
20. Baldi I, Carles C, Blanc-Lapierre A, Fabbro-Peray P, Druet-Cabanac M, Boutet-Robinet E, et al. A French crop-exposure matrix for use in epidemiological studies on pesticides: PESTIMAT. J Expo Sci Environ Epidemiol 2017;27(1):56‑63.
21. Achard P, Maugard C, Cancé C, Spinosi J, Ozenfant D, Maître A, et al. Medico-administrative data combined with agricultural practices data to retrospectively estimate pesticide use by agricultural workers. J Expo Sci Environ Epidemiol 2020;30(4):743‑55.
22. Lemarchand C, Tual S, Levêque-Morlais N, Perrier S, Belot A, Velten M, et al. Cancer incidence in the AGRICAN cohort study (2005-2011). Cancer Epidemiol 2017;49:175‑85.
23. Weichenthal S, Moase C, Chan P. A review of pesticide exposure and cancer incidence in the agricultural health study cohort. Environ Health Persp 2010;118(8):1117‑25.
24. Décret n° 2019-1233 du 26 novembre 2019 relatif aux centres régionaux de pathologies professionnelles et environnementales. https://vu.fr/pbaPx
25. Arrêté du 16 février 2021 relatif aux centres régionaux de pathologies professionnelles et environnementales. https://vu.fr/JAnAA
26. Anoma G. Le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides : fonctionnement et singularités. Archives des maladies professionnelles et de l’environnement 2022;83(3):202‑10.