Le mot « service » vient du latin servitium, qui veut dire esclavage ! Derrière cette étymologie assez négative se cache la réalité plus positive du service hospitalier, qui consiste à se mettre au service d’une personne malade et vulnérable : le patient.
Malheureusement, la vocation du soignant, qui cherche à prendre soin, est souvent contrariée par des organisations rigides et étouffantes, et des conditions de travail difficiles, pouvant conduire à l’épuisement ou à une perte du sens. Repenser les organisations hospitalières pourrait permettre de créer les conditions d’un travail plus humain, aussi bien pour les soignants que pour les patients.
« Inverser la pyramide » pour mettre le patient au cœur de l’organisation
Dans notre système de soins, le service a depuis longtemps une structure pyramidale, au sommet de laquelle se trouve le chef de service, invité à gouverner de façon verticale et descendante. Ce dernier a rarement été sélectionné pour ses qualités managériales et n’a le plus souvent pas reçu de formation pour cela. Il en résulte parfois des tensions dans la gestion des équipes.
Dans le service d’hématologie clinique du CHU de Rennes, cette organisation a été repensée et remplacée par une formule originale qui place le patient au sommet de la pyramide.
Fin 2020, en contexte de post-pandémie de Covid- 19, une réflexion globale a été menée sur l’encadrement de l’équipe de ce service comprenant près de 150 personnes et de multiples métiers. Les trois unités fonctionnelles (hospitalisation conventionnelle, secteur protégé, hôpital de jour) pratiquaient un roulement régulier du personnel paramédical, permettant de maintenir les compétences et la cohésion des équipes. Le travail en binôme infirmier/aide-soignant, très apprécié, constituait un point d’attractivité du service. Des fonctions transversales étaient assurées par une équipe de recherche clinique et du personnel infirmier dédié à la coordination des parcours de soins et à l’assistance des patients ambulatoires. Cependant, les soignants étaient à l’évidence usés par l’épisode pandémique, ainsi que par un taux de renouvellement du personnel paramédical très élevé depuis plusieurs années. Il fallait trouver un autre modus operandi et une organisation qui permette de donner un sens commun à notre mission, de situer chacun dans cette mission et de créer les conditions pour que l’équipe elle-même puisse faire évoluer son organisation en favorisant l’intelligence collective et les suggestions issues du terrain.
L’idée est alors venue de placer le patient au sommet de l’organigramme du service (figure). Cinq groupes de travail ont été mis en place, tous au service du patient, directement ou indirectement (via les soignants) : Soin (pour les patients présents), Réseau (pour les patients éloignés), Recherche (pour les patients futurs), Enseignement (pour les soignants futurs) et enfin Équipe (pour les soignants présents). Chacun de ces groupes de travail est pluriprofessionnel (ouvert à tous les corps de métier : médecins, infirmiers, aides-soignants, techniciens d’études cliniques [TEC], secrétaires…) et transversal (concernant toutes les unités fonctionnelles du service). Ces groupes sont chargés de réfléchir à la mission qui leur est confiée, faire des propositions et mettre en œuvre les décisions qui en découlent. Le chef de service, ses adjoints et les cadres sont en support de ces groupes qui travaillent en semi-autonomie, afin de faciliter leur fonctionnement.
Un groupe « Équipe » dédié au bien-être des soignants
Parmi les cinq groupes constituant l’organigramme du service, il en est un, dénommé Équipe, dont la vocation est de « prendre soin des soignants pour bien soigner les patients ». Ce groupe a pour objectifs de redonner du sens aux métiers du soin, d’améliorer la qualité de vie au travail et de créer du lien pour, in fine, mieux soigner et renforcer l’attractivité du service. C’est un lieu où la parole se veut libre pour favoriser la créativité, l’émergence de nouvelles idées et l’expérimentation. Tous les personnels peuvent y participer à condition de respecter la charte de fonctionnement, reconnaissant notamment la même valeur à la parole de chacun pour ne pas introduire de hiérarchie. Le groupe fonctionne avec une réunion mensuelle d’une durée d’une heure autour d’un noyau de sept personnes : un médecin, deux TEC, une secrétaire, un infirmier transversal et deux infirmiers de recherche clinique.
À sa création, le groupe Équipe a réalisé une enquête auprès de tous les personnels pour évaluer leur bien-être et leurs besoins. Ce travail a montré un bon niveau global de satisfaction (7,9/9) mais une inquiétude concernant les cycles de travail et le renouvellement du personnel paramédical, perçu comme trop important. Trois axes de travail prioritaires se sont alors dégagés :
- faire évoluer les plannings ;
- améliorer l’accueil des nouveaux arrivants ;
- renforcer les liens humains au sein du service.
Actions du groupe Équipe
Le premier axe de travail du groupe Équipe a été mené par les cadres de santé et le cadre supérieur en lien avec la direction des soins et avec l’appui fort de l’équipe médicale. Le groupe Équipe s’est donc concentré sur les deux autres axes de travail.
Accueillir et former les nouveaux arrivants
Jusque-là, l’accueil des nouveaux arrivants (internes et infirmiers notamment) n’était pas formalisé. De plus, le manque de formation initiale était vécu comme une source d’anxiété et d’insécurité dans l’environnement complexe de l’hématologie, discipline très technique, rapidement évolutive, où sont manipulés des produits dangereux.
Un kit d’accueil a été créé avec, dans un tote bag au logo du service, un badge pour inscrire son nom et sa fonction, une gourde et surtout un livret (Guide des soins infirmiers en hématologie ou Guide de l’interne en hématologie).
Des réunions d’accueil spécifiques ont été mises en place, animées par un trinôme (cadre de santé-médecin-personnel paramédical) comportant des temps de présentation, de convivialité (café, repas partagé) et une première formation sur l’hématologie, intitulée « Les erreurs à ne pas faire en hématologie ». Ces temps d’accueil pluriprofessionnel permettent d’insuffler très tôt le sens du collectif et le sentiment d’appartenance. Ils sont programmés tous les deux à trois mois, en fonction des arrivées. Après cette première rencontre, d’autres séances de formation permettent d’accélérer l’assimilation des connaissances essentielles (symptômes, pathologies, traitements…). À la suite de ce premier cycle de formation initiale (niveau 1), des formations de perfectionnement (niveau 2) et des formations transverses sont proposées aux personnels plus anciens et expérimentés, pour répondre aux besoins d’approfondissement et de formation continue.
Faire équipe pour mieux travailler ensemble
Organisation de temps forts annuels
Par le passé, le service avait organisé des temps de convivialité pour l’ensemble des personnels lors de soirées en dehors de l’hôpital (appelées Hématofestif), mais cela ne semblait plus adapté, à la suite des tensions vécues en contexte de crise post-Covid.
Le groupe Équipe a donc proposé en 2022 de transformer les moments Hématofestif en Hématocollectif, un temps d’échange et de dialogue autour des difficultés rencontrées mais aussi et surtout pour trouver ensemble des solutions. Ces échanges étaient suivis d’un temps convivial autour d’un buffet. Depuis, Hématocollectif est devenu un rendez-vous annuel permettant de trouver, grâce au dialogue et à l’intelligence collective, la manière de mieux travailler ensemble, dans un esprit d’équipe.
Expérience « Vis ma vie »
Début 2025, le service a lancé le projet Vis ma vie, qui vise à permettre à chaque personnel (quel que soit son poste) de découvrir un autre métier, le temps d’une journée (par exemple, un médecin avec un aide-soignant, une secrétaire avec une infirmière…). Ces journées où l’on prend véritablement le temps d’être ensemble, de découvrir un métier de l’intérieur, d’en apprendre parfois les gestes, permettent de mieux connaître et comprendre le travail des autres membres de l’équipe et de créer du lien dans le service.
Développer le sentiment d’appartenance et de fierté pour le travail réalisé
Les métiers du soin sont souvent vécus comme des « vocations » et sont exigeants et éprouvants. Les équipes soignantes sont fréquemment sollicitées (y compris pendant leurs repos ou leurs congés) et cela a un impact sur leur vie à la fois personnelle et familiale. En 2023, le groupe Équipe a imaginé puis organisé une Journée portes ouvertes pour les familles des soignants. L’idée a suscité un grand enthousiasme. Pour cette journée, les soignants ont conçu des parcours spécifiques pour les adultes et les enfants, expliquant les métiers et les activités de chacun, tout en faisant découvrir les maladies du sang et le service où elles sont soignées. Cette initiative a permis aux personnels de prendre du recul et de remettre en lumière la richesse humaine et technique des métiers exercés au quotidien. Le regard extérieur des familles (218 participants pour 76 familles) est venu raviver la fierté des soignants en lien avec leur profession. Cette journée a eu un impact positif considérable, en valorisant le sens et la beauté des métiers du soin malgré les difficultés traversées par le système de santé.
Tester de nouvelles formes d’organisation
La restructuration organisationnelle du service d’hématologie clinique de Rennes a rencontré l’adhésion des personnels en permettant à chacun de participer aux cinq groupes de travail mentionnés plus haut. Parmi ceux-ci, le groupe Équipe agit sur l’environnement de travail grâce à des initiatives créatives et concrètes. Les travaux menés ont des retombées positives et palpables. Sa mission consistant à prendre soin des soignants a permis de renforcer et de valoriser l’esprit d’équipe, tout en facilitant le dialogue intermétiers. Il en résulte un fonctionnement fluide, au bénéfice des patients, avec beaucoup de proximité entre les équipes médicales et paramédicales. De plus, l’implication des soignants dans les différents projets menés est plus importante. Un autre résultat probant est la fidélisation des équipes : il y a désormais très peu de départs volontaires, ce qui a renforcé la stabilité du service et contribue à sa sérénité. Pour faire perdurer ces effets, il semble important d’entretenir un état d’esprit dans lequel chacun se sent individuellement responsable de l’efficacité collective, même si, bien sûr, cela reste difficilement palpable et quantifiable.
Même si ce modèle doit encore trouver sa juste articulation avec les instances décisionnelles (cadres, chefs de service, direction des soins) afin de ne pas court-circuiter la chaîne de responsabilités au sein de l’hôpital, il s’inscrit dans les recommandations nationales évoquées dans le rapport Claris,1 la publication du comité d’éthique de la Fédération hospitalière de France (FHF) et la brochure issue du Ségur de la santé Bien manager pour bien soigner. Il permet de maintenir et renforcer l’attractivité des métiers de la santé en donnant plus de sens au travail et plus de place à l’humain. Inventer de nouvelles façons de fonctionner en équipe pour mieux vivre au travail constitue un besoin auquel chaque service doit répondre. L’échelle du service semble d’ailleurs la plus pertinente car elle implique des soignants de terrain qui partagent une même spécialité et sont capables de véritablement faire équipe. À l’image du nouvel organigramme que nous proposons, nos services peuvent être des lieux d’innovation et d’expérimentation pour tester de nouvelles formes d’organisation. C’est ce qui a conduit les chefs de service d’hématologie clinique de France à créer une communauté de réflexion et d’échanges, pour partager leurs expériences et trouver de nouvelles modalités d’organisation, afin de permettre aux services d’être plus humains et plus attractifs.2,3
Face aux contraintes budgétaires et avec l’arrivée d’outils technologiques d’optimisation, il existe un risque pour notre système de santé d’évoluer vers des organisations « déshumanisantes ». Il est donc important d’imaginer de nouvelles organisations qui soient vertueuses et permettent à chacun de contribuer à un fonctionnement plus humain des services hospitaliers, afin de mieux prendre soin des patients mais aussi des soignants.
Diversifier et renouveler les initiatives
Après cinq ans d’existence, le groupe Équipe s’est imposé comme un élément important dans la vie du service. Les soignants se renouvellent pour y participer et proposer de nombreuses initiatives pour enrichir les liens entre les différents professionnels (temps conviviaux thématiques dans l’année, projet de trombinoscope, rencontres hors de l’hôpital...). L’enjeu reste de mobiliser l’ensemble des catégories de métiers pour que ce groupe soit vraiment la représentation du service dans sa diversité. Avec un nouveau rythme de travail en douze heures, la présence des soignants à l’hôpital est concentrée sur un nombre de jours plus restreint, ce qui implique de proposer de nouveaux moyens pour participer aux réunions (accès en visioconférence notamment). À ce jour, fort de ses réalisations précédentes et malgré quelques phases de creux, le groupe a toujours su retrouver de l’élan et de l’énergie pour se mobiliser sur de nouveaux projets.
2. Houot R, Bay JO, Chevallier P, et al. Créer une communauté de chefs de service pour répondre aux défis du système hospitalier : première expérience en hématologie. Bull Cancer 2023;110(9):950-4.
3. Houot R, Calmettes C, Park S, et al. Faire vivre et grandir une communauté de chefs de service : acte 2 en hématologie. Bull Cancer 2024;111(10):980-6.
Dans cet article
- « Inverser la pyramide » pour mettre le patient au cœur de l’organisation
- Un groupe « Équipe » dédié au bien-être des soignants
- Actions du groupe Équipe
- Développer le sentiment d’appartenance et de fierté pour le travail réalisé
- Tester de nouvelles formes d’organisation
- Diversifier et renouveler les initiatives