Avec plus de 46 millions de tonnes d’émissions de CO2 par an, les activités de santé représentent 8 % des émissions carbonées nationales.1 Celles-ci correspondent pour 33 % à la fabrication et au transport des médicaments et pour 21 % à l’achat de dispositifs médicaux.
Pour répondre aux engagements pris lors de la COP21 et atteindre la neutralité carbone, il s’agirait de diminuer ces émissions de 90 % d’ici à 2050 (l’année 1990 étant prise comme référence). C’est donc une contrainte avec laquelle le système de santé doit composer. Les réflexions déjà engagées sur les pratiques globales et individuelles dans le soin vont s’accélérer. La médecine hospitalière et la médecine de ville doivent prendre activement leur part dans ces stratégies d’adaptation et d’atténuation afin de « soigner durablement ».
En anesthésie, de nombreuses initiatives ont déjà été menées afin de réduire puis bannir l’utilisation des gaz les plus polluants et les plus délétères comme les gaz anesthésiants halogénés (desflurane) ou les gaz propulseurs d’aérosols (lire « Chirurgie et anesthésie : le défi fédérateur du développement durable », page 657).
Plus globalement, il s’agit d’envisager comment une sobriété dans le domaine de la santé peut répondre aux problématiques climatiques sans renoncer aux exigences de qualité du soin et en garantissant ainsi la possibilité d’une santé qui soit également durable et responsable : viable, vivable et équitable.
Liens entre santé et environnement
La réduction de l’empreinte carbone des activités humaines est le principal levier de lutte contre le réchauffement climatique.
Cependant, outre les émissions carbonées, l’impact environnemental du système de santé est important. Il se traduit par des déchets abondants (majorés par l’usage unique) et par le rejet de produits cancérigènes ou non dans l’environnement. L’impact de ces rejets est délétère pour la biodiversité et la santé de chacun.2
En effet, la santé dépend étroitement de la qualité de l’environnement et de l’état à venir de la planète. Le concept One Health (une seule santé) implique de reconnaître cette interdépendance entre la santé des hommes, celle des animaux et l’environnement afin de relever les défis sanitaires mondiaux aggravés par le réchauffement climatique et la pollution des écosystèmes (fig. 1). Ainsi, 75 % des maladies infectieuses émergentes chez l’homme ont une origine animale.3 La pollution atmosphérique et l’exposition aux particules fines sont responsables de 40 000 décès précoces par an en France.4 Par ailleurs, les conséquences désastreuses de l’utilisation excessive d’engrais ou de pesticides sur l’environnement et la biodiversité, mais aussi sur la santé des populations exposées (professionnelles, domestiques ou in utero), sont bien établies.5
En juillet 2024, une étude américaine dénonçait les pesticides comme constituant un facteur de risque de cancer aussi important que le tabac.6 Pourtant, les réglementations évoluent lentement dans ce domaine.
Concernant les résidus médicamenteux, plusieurs rapports7 alertent sur une quantité importante de médicaments dans les eaux douces ou les boues des stations d’épuration. Ces produits issus des rejets hospitaliers ou domestiques mais aussi des excrétions de patients sont réingérés par le vivant (faune ou flore) ou par l’homme lui-même.
Relever le défi de la lutte contre réchauffement climatique
La préservation de la biodiversité et la prise en compte de la santé environnementale sont donc des enjeux de santé publique majeurs. En oncologie, un cancer sur quatre est lié à une exposition toxique environnementale (hors tabac). Et 40 % des cancers pourraient être évités par une médecine préventive organisée et efficiente associée à des stratégies plus larges et plus systématiques de dépistage.8 Or, si les dépenses de santé augmentent chaque année, la prévention ne représentait en 2023 que 2,3 % de ces dépenses.9
La multiplication d’événements extrêmes (sècheresses, canicules, inondations…) aura des conséquences sur la santé humaine mais aussi sur les établissements de soin et sur leurs capacités d’approvisionnement en médicaments ou dispositifs médicaux (fig. 2). Il paraît urgent que notre système de soin relève le défi du réchauffement climatique afin de pouvoir se projeter dans une médecine réaliste, adaptative et responsable.
Trop de médicaments consommés en France
Malgré les efforts initiés dans de nombreux domaines du soin, la France fait encore la course en tête pour la prescription de médicaments. Encore 80 % des consultations médicales se terminent par une prescription (soit le double des Pays-Bas).10 La France conserve, en outre, la quatrième place européenne de plus gros consommateur d’antibiotiques, et ce malgré des campagnes d’information anciennes et annuelles pour limiter les risques liés à l’antibiorésistance. L’Hexagone est aussi champion pour la prescription d’anxiolytiques (benzodiazépines), somnifères ou inhibiteurs de la pompe à protons, selon les données de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Et, comme ailleurs en Occident, la médecine française utilise largement les anticancéreux, certes de plus en plus efficaces mais aussi de plus en plus coûteux, avec des bénéfices de survie parfois de seulement quelques mois.
La sobriété dans la prescription et la consommation de médicaments est donc un enjeu clé pour réduire l’impact carbone du système de soin, et donc limiter son impact environnemental. Elle doit s’envisager avec un objectif de qualité des soins égale, voire meilleure, et de qualité de vie des patients. Deux domaines de soins peuvent illustrer cet enjeu : l’oncologie et la gériatrie.
Oncologie et écologie
Les traitements anticancéreux ont un bilan carbone et une toxicité environnementale importants. Il s’agit cependant de thérapeutiques jugées indispensables, dont l’objectif est parfois de guérir les malades et le plus souvent de rallonger leur vie. La question écologique doit aussi être posée. Ainsi, plusieurs études ont démontré que des résidus de chimiothérapie excrétés par les patients persistent dans l’environnement, parfois jusqu’à quatre jours après les traitements. Ces résidus sont aussi dosés dans les eaux usées des hôpitaux ou dans les boues des stations d’épuration. Ils sont potentiellement cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques.11 Or, si des protocoles plus stricts sont mis en place à l’hôpital, de plus en plus de traitements anticancéreux sont pris par voie orale au domicile.
En Suisse, en Norvège ou au Canada, les urines des patients sont ainsi filtrées au domicile avec des consignes précises vis-à-vis des excrétas pour protéger l’entourage et limiter l’impact environnemental.
Dès 2016, un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) alertait sur cette « catastrophe à venir » : « Face aux propriétés potentiellement cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques des anticancéreux, l’exposition à ces molécules peut représenter un risque sanitaire pour les professionnels de santé (…) et les proches des patients soignés. La pression environnementale associée à ce rejet ne fait que croître et nécessite des études plus poussées sur cette problématique ».12 L’utilisation croissante de traitements anticancéreux (+ 10 % en Europe) incite à mener ces études, pour les familles des patients, les générations actuelles et celles à venir.13
Concernant le bilan carbone des anticancéreux, plusieurs études ont été publiées récemment.14 Ainsi, dans une étude danoise du Lancet Planetary Health, l’empreinte carbone de l’immunothérapie représentait 4,4 % des émissions de l’ensemble de l’hôpital. L’évaluation de dosages alternatifs réduisait l’impact carboné de 11 à 26 % sans compromettre l’efficacité thérapeutique pour les plus de 700 malades évalués dans l’étude.15 L’immunothérapie a bouleversé le pronostic de nombreux cancers. Ces traitements ont, en outre, moins d’effets indésirables que la chimiothérapie. Ils sont aujourd’hui largement prescrits, souvent pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, en situation adjuvante ou métastatique. Immunothérapie et anticorps conjugués font appel à une haute technicité et ont donc une empreinte carbone très élevée liée à leur contrainte de fabrication (culture cellulaire) et à leur acheminement (fabriqués hors d’Europe). Or, si les bénéfices sont certains, ils sont aussi variables. Des études robustes de non-infériorité et de désescalade doivent donc continuer d’alimenter la réflexion sans qu’il n’y ait de perte de chance pour les malades, mais dans un souci de viabilité et de pérennité financière et écologique des stratégies thérapeutiques.
Pour des raisons évidentes, l’industrie pharmaceutique n’a pas priorisé ces études. Elles doivent donc être menées par les groupes académiques.
Adopter une « juste prescription » en gériatrie et médecine générale
En gériatrie et en médecine générale, une réflexion sur la « juste prescription » est déjà engagée mais doit être intégrée dans la pratique courante. Les personnes âgées sont fragiles, et la iatrogénie médicamenteuse est fréquente. Vingt pour cent des hospitalisations en urgence des plus de 75 ans sont liées au risque iatrogénique (voir « Comment améliorer la qualité et la sécurité des prescriptions de médicaments chez la personne âgée ? », Haute Autorité de santé, 2014), véritable enjeu de santé publique.
Il s’agit donc de questionner chaque prescription (initiale ou renouvelée) : est-ce le bon traitement, pour le bon patient au bon moment ? Quelle est sa pertinence pour ce patient dans un environnement précis, au regard des recommandations et du service médical rendu, mais aussi en tenant compte de son espérance de vie ? En gériatrie comme en oncologie, quand l’espérance de vie est courte, il s’agit de maintenir et d’optimiser la qualité de vie en respectant une balance bénéfice-risque acceptable.
La juste prescription implique aussi la recherche de la posologie minimale efficace, pour la durée la plus courte possible. Elle fait écho à l’engagement primum non nocere et implique parfois la déprescription si le service médical rendu est faible, de façon globale ou parce que la situation médicale a évolué. Au cours de l’année 2017, 61,9 % des 75 à 84 ans ont reçu au moins une prescription potentiellement inappropriée en France.16Par exemple, la banalisation et la surutilisation des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) au long cours est une pratique qui expose les patients âgées comorbides à des effets indésirables notables (insuffisance rénale chronique, ostéoporose, syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique [SIADH], colites microscopiques…). En outre, les IPP entraînent des interactions problématiques chez le patient polymédiqué. Si un quart de la population française est sous IPP (voir « Bon usage des inhibiteurs de la pompe à protons [IPP]. Recommander les bonnes pratiques », Haute Autorité de santé, septembre 2022), cette proportion est de 46 % pour les patients de plus de 65 ans avec, de plus, une durée d’utilisation longue, supérieure à celle observée dans les classes d’âge inférieures, et ce dans l’ensemble des indications. Cette inadéquation de prescription peut s’expliquer en partie par la banalisation de ces traitements, les difficultés de la réalisation d’endoscopies digestives dans cette population et des prescriptions liées à la prise d’anticoagulants ou antiagrégants sans autre facteur de risque.16
L’objectif de la juste prescription est donc d’éviter le mésusage, que ce soit sous la forme d’un underuse (non-prescription d’un médicament potentiellement approprié), d’un overuse (surprescription de médicaments non justifiée) ou d’un misuse (risques encourus supérieurs aux bénéfices attendus). Il faut donc continuer à informer et former les médecins à ces pratiques mais aussi promouvoir la conciliation médicamenteuse au sein des établissements de santé et des cabinets de ville, en impliquant davantage les pharmaciens.
Cette prescription sobre et responsable nécessite également d’opter à l’hôpital pour le choix du traitement oral dès que cela est possible, afin de réduire le coût réel et l’empreinte carbone des traitements. Ceci passe par une éducation des soignants et par des contrôles des pharmaciens plus fréquents.
En unité de gériatrie aiguë (UGA), la confusion représente 20 % des motifs d’admission. Sa prise en charge repose principalement sur le traitement étiologique et non sur la prescription de benzodiazépines ou de neuroleptiques, qui peuvent l’entretenir (pas d’AMM pour la prise en charge de la confusion : voir « Recommandations de bonne pratique. Confusion aiguë chez la personne âgée : prise en charge initiale de l’agitation », Haute Autorité de santé, mai 2009). Or, en 2021, plus de 4,2 millions de Français avaient consommé des anxiolytiques. L’hôpital est un lieu fréquent d’instauration de traitements car les troubles du sommeil y sont habituels.17 Ces traitements sont souvent reconduits sur l’ordonnance de sortie, avec un risque de toxicité et de dépendance.
Avec le comité de pilotage Hôpital vert du groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon, un travail a été mené sur la juste prescription des hypnotiques. Un des objectifs de notre évaluation des pratiques professionnelles (EPP) était de limiter la « primoprescription » et de sensibiliser les prescripteurs, les administrateurs mais aussi les usagers au fait qu’un médicament prescrit, même avec une intention initiale de courte durée, est à risque de se pérenniser.18,19 Nous avons également questionné le rôle des services hospitaliers dans la révision de certaines indications pour engager un processus de déprescription sous encadrement médicalisé. La déprescription implique cependant la proposition d’alternatives non médicamenteuses (relaxation, sophrologie, aromathérapie...) qui sont rarement intégrées aux soins courants, par manque de personnel et de temps, pour le rappel des règles d’hygiène du sommeil, par exemple. Un fascicule de recommandations pour bien dormir ainsi qu’un entretien motivationnel étaient proposés au patient afin d’encadrer cette déprescription et faire le lien avec les médecins de ville.
Poids de la sobriété médicamenteuse sur la santé publique et environnementale
En janvier dernier, une tribune parue dans le journal Le Monde appelait à la sobriété de prescriptions (https ://urls.fr/ejP5q1). Le 17 avril 2025, l’Observatoire des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques (OMéDIT) Grand Est a organisé un premier colloque sur ce thème, ce qui témoigne de l’intérêt pour cet enjeu majeur de santé publique et environnementale.
La sobriété médicamenteuse lie ainsi la qualité des soins aux défis et aux contraintes du réchauffement climatique. Il pourrait être demandé aux médecins d’évaluer le rapport bénéfice-risque des traitements non plus seulement au regard du service médical rendu, qui reste primordial, mais également au regard du coût global pour la société et des conséquences environnementales à venir (coût pour la planète et conséquences pour les générations à venir).
Cinq propositions du Collège de gériatrie
- Réévaluer les traitements habituels à chaque consultation : déprescrire ce qui peut l’être, ajuster les posologies en fonction du poids et de la fonction rénale.
- Évaluer le rapport bénéfice-risque avant l’initiation d’un nouveau traitement.
- Tenir compte de la fonction rénale, de la polymédication, des prescripteurs multiples, des fonctions cognitives.
- Envisager la prescription au sein d’une évaluation gériatrique globale.
- Évoquer systématiquement la question de l’iatrogénie devant toute situation médicale aiguë.
2. World Health Organization. Chemical releases caused by natural hazard events and disasters. Information for public health authorities. 22 août 2018.
3. Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF). Transition écologique et santé environnementale. Pour une santé à la hauteur des enjeux climatiques et environnementaux. Juin 2023.
4. Adelaide L, Medina S, Wagner V, et al. Impact de la pollution de l’air ambiant sur la mortalité en France métropolitaine : réduction en lien avec le confinement du printemps 2020 et impact à long terme pour la période 2016-2019. Bull Epid Hebd 2021;13:232-42.
5. Expertise collective de l’Inserm. Pesticides et santé. Nouvelles données. Novembre 2021.
6. Gerken J, Vincent GT, Zapata D, et al. Comprehensive assessment of pesticide use patterns and increased cancer risk. Front Cancer Control Soc 2024;2:1-12.
7. Leckie H. Pharmaceutical residues in freshwater: Hazards and policy responses. Rapport OCDE 2019
8. European Health Union. A new EU approach on cancer detection. Screening more and screening better. Rapport de la Commission européenne. Septembre 2022.
9. Direction de la recherche, des études et des statistiques. Les dépenses de santé en 2023. Résultats des comptes de la santé. Novembre 2024.
10. Marie P. Le bon traitement ce n’est pas forcément un médicament ? Le Quotidien du pharmacien. lequotidiendupharmacien.fr. 12 novembre 2024.
11. Heidler J, Halden RU. Meta-analysis of mass balances examining chemical fate during wastewater treatment. Environmental science and technology 2008;42(17):6324-32.
12. Le L, Caudron E. Rapport de l’ANSES. Les traitements anticancéreux : prévention du personnel de santé et impact sur l’environnement. Période : avril 2015 à août 2015. Bulletin de veille scientifique 2016;28:10-4.
13. Rapport de l’ANSES. Rapport d’expertise collective sur les « procédés cancérogènes ». Octobre 2020.
14. Piffoux M, Ducrot C, Dupraz C, et al. Reducing the climate impact of care pathways and integration of carbon footprint in health technology assessment. https://urls.fr/vzZTFj Peut-on estimer l’empreinte carbone du parcours de soin d’une hémopathie maligne ? Une application au lymphome du manteau. Présentation du Dr M. Piffoux lors du 44e Congrès de la SFH 2024.
15. Malmberg R, Loosveld JH, Schilte HP, et al. Effect of alternative dosing strategies of pembrolizumab and nivolumab on health-care emissions in the Netherlands: A carbon footprint analysis. Lancet Planet Health. 2024 Nov;8(11):e915-e923.
16. Bongue B, Laroche ML, Gutton S, et al. Potentially inappropriate drug prescription in the elderly in France: A population-based study from the French National Insurance Healthcare system. Eur J Clin Pharmacol 2011;67(12):1291-9.
17. Michelon H, Delahaye A, Fellous L, et al. Proton pump inhibitors: Why this gap between guidelines and prescribing practices in geriatrics? Eur J Clin Pharmacol 2019;75(9):1327‑9.
18. Bourcier E, Baptiste A, Borowik A, et al. Sedative-hypnotic initiation and renewal at discharge in hospitalized older patients : An observational study. BMC Geriatr 2018;18(1):278.
19. Tannenbaum C, Martin P, Tamblyn R, et al. Reduction of inappropriate benzodiazepine prescriptions among older adults through direct patient education The EMPOWER cluster randomized trial. JAMA Intern Med 2014;174(6):890-8.