Un arrêt récent de la Cour de cassation apporte des précisions intéressantes en matière de preuve d’une responsabilité médicale.

Idem est non esse et non probari  : la formule latine est bien connue et se traduit souvent, en forçant un peu les choses, par «  ce qui ne peut être prouvé n’existe pas  ». La certitude de l’existence d’un fait ou du contenu d’un acte ne suffit pas  : encore faut-il, en justice, pouvoir le prouver. Le contenu et la charge de la preuve sont donc des éléments fondamentaux du processus juridictionnel. La rigueur du Droit de la preuve a été assouplie depuis quelque temps avec l’apparition de ce que l’on nomme «  le droit “ à ” la preuve  » et avec l’admission, dans certains cas, de modes de preuve jusque-là bannis.

Un arrêt récent, on va le voir, apporte une contribution à l’édifice du Droit de la preuve, et ce en matière médicale.

Sauf cas particuliers, la charge de la preuve incombe au demandeur

Constamment, en droit civil (on évitera de confondre avec les litiges de droit pénal), la question se pose de savoir qui doit prouver la réalité de faits invoqués. Très logiquement, le principe est que la charge de la preuve incombe au demandeur  : actori incumbit probatio.

Il arrive cependant que la loi ou la jurisprudence en dispose autrement dans des circonstances particulières.

Ce peut être le cas lorsque, statistiquement, pourrait-on dire, il y a une situation probable mais malaisée à démontrer. C’est ce qui avait justifié, alors que les analyses génétiques n’existaient pas, la présomption de paternité pesant sur le mari de la mère (encore actuel article 312 du Code civil, atténué par les dispositions des articles suivants). C’est ce qui explique également que, lorsqu’un incendie se déclare dans un immeuble loué à usage d’habitation, on présume qu’il prend sa source dans un agissement du locataire (article 1733 du Code civil).

Il peut également s’agir du cas où l’on estime qu’il y a un déséquilibre entre les situations de chacune des deux parties au procès (demanderesse ou défenderesse), déséquilibre social, économique, technique, intellectuel…, en clair lorsque l’une d’entre elles se trouve en quelque sorte en situation de faiblesse.

C’est probablement dans cet esprit que la première chambre civile de la Cour de cassation a été amenée à statuer le 16 octobre dernier (pourvoi n° A 22 - 23.433) dans un litige relatif à une intervention chirurgicale (arthroscopie de la hanche). Lors de cette intervention était survenue une «  rupture d’une broche guide métallique  ». Presque deux ans plus tard, le patient, souffrant d’importantes douleurs persistantes, une arthroplastie avait dû être pratiquée. Le patient et son assureur avaient assigné le chirurgien en vue d’obtenir une indemnisation.

Inversion de la charge de la preuve

La cour d’appel d’Aix-en-Provence les avait déboutés au motif qu’il y avait deux causes possibles aux séquelles constatées (soit la constitution anatomique du patient, soit le non-respect par le chirurgien d’une recommandation technique de la Société française d’arthroscopie). Conséquemment, pour la cour d’appel, la faute du chirurgien ne constituait qu’une hypothèse, «  le patient n’établiss[ant] pas l’existence d’une faute du chirurgien  ». Les juges du fond avaient donc respecté le principe sus-évoqué selon lequel la charge de la preuve repose sur le demandeur. C’est cette décision qui est cassée par la haute juridiction judiciaire dans son arrêt du 16 octobre 2024, arrêt très remarqué et déjà très commenté. Elle énonce  : «  En statuant ainsi, alors que, en l’absence d’éléments permettant d’établir que la recommandation précitée avait été suivie, il appartenait au médecin d’apporter la preuve que les soins avaient été appropriés, la cour d’appel a violé les textes sus-visés.  » En l’espèce, le médecin s’était contenté d’affirmer qu’il suivait systématiquement les recommandations évoquées. Si l’on comprend bien la position de la Cour de cassation, c’est donc au sachant qui, à l’inverse du patient, connaît le détail du protocole à suivre, de se préconstituer des éléments de preuve démontrant que ledit protocole a bien été suivi.

Faudra-t-il donc désormais que toutes les interventions soient filmées  ? 

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