Le vieillissement actuel de la population s’associe à une incidence croissante de la DMLA, qui touche jusqu’à un tiers des plus de 75 ans. Or cette pathologie est la première cause de handicap visuel chez les plus de 50 ans et n’a pas actuellement de traitement curatif (seule la forme exsudative peut bénéficier d’injections intravitréennes d’anti-VEGF pour stabiliser l’acuité visuelle).
Sa prévention repose aujourd’hui sur des mesures hygiénodiététiques (arrêt du tabac, perte de poids…). Des compléments alimentaires – oméga 3 notamment, mais aussi antioxydants comme la lutéine ou la zéaxanthine – sont parfois proposés pour réduire le risque de progression chez certains patients, sur la base de travaux comme l’étude AREDS. Toutefois, l’efficacité de ces antioxydants (ou d’autres) en prévention primaire de la DMLA n’a pas été établie.
Une vaste étude de cohorte rétrospective qui vient de paraître dans le JAMA Ophthalmology suggère que des compléments alimentaires à base de curcumine – pigment principal du curcuma ayant des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires – pourrait être efficace aussi bien en prévention primaire que secondaire de la DMLA.
Des taux considérablement réduits de survenue et de progression de la DMLA
Puisant dans des registres médicaux électroniques de plusieurs pays sur la période 2003 - 2024, les chercheurs ont inclus près de 67 000 personnes (âge moyen : 64,9 ans ; 66 % de femmes) ayant eu au moins trois prescriptions de compléments alimentaires à base de curcumine. Pour constituer un groupe contrôle, ils ont sélectionné un nombre équivalent de personnes ne prenant pas de tels compléments, appariées avec celles du premier groupe sur l’âge, le sexe, l’ethnie, les comorbidités et la prise de certains médicaments ou compléments alimentaires (incluant ceux communément utilisés par les patients ayant une DMLA).
Ils ont comparé les risques de survenue de DMLA sèche, exsudative, d’atrophie géographique (forme avancée de la DMLA sèche), d’utilisation d’injections intravitréennes d’anti-VEGF et de cécité entre les deux groupes.
Résultat : parmi les patients sans antécédents de DMLA âgés de 50 ans ou plus, la prescription de compléments alimentaires de curcumine était associée à des taux considérablement plus faibles de survenue de tous les critères de jugement, par rapport aux personnes ne prenant pas ces compléments :
- pour la DMLA sèche, une réduction de près de 80 % du risque a été observée (rapport des risques [RR] = 0,23 ; IC95 % : 0,21 à 0,26) ;
- pour l’atrophie géographique, de près de 90 % (RR = 0,11 ; IC95 % : 0,07 - 0,17) ;
- pour la DMLA exsudative, d’environ 70 % (RR = 0,28 ; IC95 % : 0,24 à 0,32) ;
- pour l’utilisation d’injections intravitréennes d’anti-VEGF, de 85 % (RR = 0,15 ; IC95 % : 0,13 à 0,17).
- enfin, pour la cécité, une réduction de plus de 50 % (RR = 0,46 ; IC95 % : 0,36 à 0,59).
Les résultats étaient cohérents dans les sous-groupes de patients âgés de 60 ans ou plus et 70 ans ou plus.
Parmi les patients atteints de DMLA sèche précoce, la prescription de ces compléments était associée à des taux plus faibles d’évolution vers une atrophie géographique (RR = 0,58 ; IC95 % : 0,41 à 0,81), en comparaison aux patients atteints de DMLA sèche précoce n’ayant pas de prescription de ces compléments.
Ces résultats suggèrent que la curcumine pourrait protéger contre la survenue et la progression de la DMLA. Toutefois, plusieurs biais limitent la portée des conclusions : la prise des compléments alimentaires était évaluée par les prescriptions, sans aucun moyen d’évaluer l’observance, donc la consommation réelle ; l’utilisation de compléments alimentaires de curcuma vendus sans prescription, voire de la consommation de nourriture riche en curcuma (puisque les dossiers médicaux incluaient des patients vivant en Asie où le curcuma est très consommé), n’ont pas pu être évalués, faussant peut-être les résultats.
Enfin, la nature observationnelle de l’étude ne permet pas de conclure à une relation de causalité, mais ces résultats incitent à la réalisation d’essais cliniques pour explorer le potentiel thérapeutique de la curcumine dans cette indication.