Pourquoi un haut-commissariat à l’Enfance a-t-il été créé ? Qu’apporte-t-il de nouveau dans l’action publique ?
La création du haut-commissariat à l’Enfance répond à un constat simple : les besoins de l’enfant ne s’arrêtent pas aux portes de chaque ministère. Quand j’étais ministre, j’ai constaté à quel point les politiques publiques étaient cloisonnées. Le poste de haut-commissaire a été imaginé sur le modèle de celui du haut-commissaire au Plan, instance transversale capable de fédérer tous les acteurs autour d’une vision commune. L’enfant n’est pas un dossier scolaire, médical ou social : il est placé au centre d’un écosystème. Notre mission est de briser les murs entre l’Éducation nationale, la Santé, la Justice et les collectivités locales, pour que chaque décision prenne en compte tous les aspects de sa vie. Avec trois priorités : protéger (contre les violences et les négligences, enfants confiés à l’ASE), prévenir (santé, apprentissage) et accompagner (parents et professionnels de santé).
Concrètement, cette nouvelle fonction permet :
- une approche globale, en travaillant sur tous les temps de l’enfant – la famille, l’école, les loisirs, la santé. Ainsi, par exemple, lorsqu’on parle de santé mentale, le ministère de la Santé ne peut rester seul décisionnaire ; l’Éducation nationale, les collectivités, le tissu associatif doivent être entre autres mobilisés ;
- une agilité politique car, dans un contexte d’instabilité gouvernementale, une continuité est essentielle pour les enjeux à long terme, comme la prévention ou la lutte contre les inégalités territoriales et sociales. De plus, le haut-commissariat a une vocation interministérielle, ce qui permet une liberté d’action pour mobiliser tous les leviers ;
- un travail avec les acteurs de terrain et les citoyens, passant par une Convention citoyenne sur les temps de l’enfant, pour intégrer la parole des familles, des jeunes et des professionnels (dont des médecins généralistes) dans l’élaboration des politiques. L’idée est de ne plus décider pour les enfants, mais avec eux et avec ceux qui les entourent.
Quelle place prend le médecin généraliste dans cette articulation ?
Le médecin généraliste est le pivot de confiance. Son rôle n’est pas de se substituer aux autres spécialistes mais d’être le maillon coordinateur du parcours de soin de l’enfant.
Il repère et oriente : au cours de ses prises en charge, il est souvent le premier professionnel à identifier des signes de mal-être, de surexposition aux écrans, des difficultés familiales, etc.
Il est aussi un acteur de la prévention au quotidien : son cabinet est un lieu où sont abordés des sujets comme la santé mentale, la nutrition… Il joue ainsi un rôle primordial dans les politiques de santé publique, rôle pour lequel il doit disposer d’outils (guides, plateformes d’orientation) pour lui permettre de gagner en temps et en efficacité.
Il est le partenaire essentiel et doit pouvoir s’appuyer sur un réseau local ; nous souhaitons recenser l’existant et faire connaître tous les interlocuteurs d’aval possibles pour soutenir les médecins généralistes dans l’accompagnement des familles.
Face aux enjeux de santé mentale, quels leviers concrets le haut-commissariat à l’Enfance mobilise-t-il pour soutenir les médecins généralistes ?
Les médecins généralistes sont en première ligne, mais nous avons bien conscience qu’ils ne peuvent pas tout porter seuls. Nous travaillons donc sur trois leviers concrets pour les soutenir.
Tout d’abord, identifier les outils d’orientation existants ; pour cela, nous cartographions les ressources locales. Par exemple, un adolescent en souffrance à cause des réseaux sociaux peut être dirigé vers un professionnel de santé spécialisé ou un atelier de pair-aidance.
Ensuite, proposer des formations ciblées. Concrètement, nous souhaitons que des modules sur la santé mentale et les écrans soient spécifiquement intégrés à la formation des médecins, pour qu’ils puissent repérer les signes d’alerte (troubles du sommeil, anxiété, isolement…) et engager le dialogue avec les familles. L’idée n’est pas de faire d’eux des experts, mais de leur donner des clés pour agir le plus précocement possible.
Enfin, plébisciter le renforcement des réseaux pluridisciplinaires pour encourager les partenariats entre généralistes, infirmiers scolaires, travailleurs sociaux et services de Protection maternelle et infantile (PMI). Ainsi, un médecin qui identifie un problème ne restera pas seul face à la situation, pouvant s’appuyer sur un écosystème de professionnels, pour un suivi coordonné.
L’objectif est clair : désamorcer l’urgence en amont (par exemple grâce au programme « Les clés de l’enfance »), en donnant aux généralistes les moyens de ne pas subir l’isolement, mais d’agir en équipe.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le programme « Les clés de l’enfance » ? En quoi se distingue-t-il des initiatives existantes ?
« Les clés de l’enfance » est un programme conçu pour accompagner les familles à chaque étape de la vie de l’enfant, de sa naissance à ses 18 ans. Il a une triple ambition :
- pour la période de 0 à 3 ans, faire un focus sous la forme d’un guide disponible gratuitement sur les 1 000 premiers jours, s’appuyant sur le site internet existant, mais aussi en renforçant le travail autour des familles les plus vulnérables ;1,2
- pour la préparation à l’école primaire, impliquer infirmiers scolaires et associations de parents d’élèves afin d’améliorer les apprentissages en santé et en prévention ;
- pour l’adolescence, proposer un accompagnement sur les enjeux spécifiques (santé mentale, écrans, orientation), en collaboration notamment avec les maisons des adolescents.
Ce programme ne réinvente pas l’existant, mais fédère tous les acteurs concernés par la santé globale des enfants et des adolescents.
Des guides pour les périodes au-delà des 3 ans seront publiés ultérieurement.
Quelles solutions proposez-vous pour lutter contre les inégalités d’accès à la prévention, notamment dans les territoires les plus précaires ?
La précarité est un multiplicateur de vulnérabilités pour les enfants, et les inégalités territoriales aggravent encore ces fractures. Aujourd’hui, 14 % des enfants vivent dans des logements surpeuplés ; les familles monoparentales – qui représentent près d’un quart des foyers – cumulent souvent précarité économique et isolement, sans compter la désertification médicale. Ces réalités entraînent des conséquences directes sur la santé, l’éducation et le bien-être des enfants.
En partenariat avec le Secours populaire, les banques alimentaires et les associations locales, nous ciblons les familles les plus vulnérables pour permettre un accès à l’alimentation, au logement et aux soins. Par exemple, le kit des 1 000 premiers jours (un sac et son carnet de bienvenue, une turbulette, un savon d’origine naturelle, un livre jeunesse, une crème de soin, un bavoir et un guide)3 est distribué en priorité via les PMI et les associations dans les territoires les plus fragiles.
Nous renforçons les dispositifs d’accompagnement psychologique et social pour les parents, car un enfant ne peut pas s’épanouir si ses figures d’attachement sont en détresse : création d’espaces de rencontre parents-enfants, moyens financiers supplémentaires pour les maisons des adolescents et les centres médico-psychologiques.
Par ailleurs, nous n’oublions pas les départements ultramarins, dans lesquels la situation est particulièrement critique, avec des taux de pauvreté infantile 2 à 3 fois supérieurs à ceux de l’Hexagone. Un conseiller outre-mer sera ainsi accueilli au sein du haut-commissariat à l’Enfance pour adapter les politiques publiques à ces réalités spécifiques (accès aux soins, scolarité, protection de l’enfance). Pour Mayotte, où la précarité est extrême, nous travaillons sur des dispositifs d’urgence pour les enfants en danger (logement, santé, scolarisation).
Une nouvelle institution pour briser les silos et mieux protéger les enfants
Le haut-commissaire à l’Enfance « apporte son concours à la définition, la coordination, la promotion, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques conduites en matière d’enfance, en particulier en matière de protection de l’enfance, de santé de l’enfant, de soutien à la parentalité, d’adoption, de petite enfance et d’accueil du jeune enfant », selon le décret instituant cette fonction. Par ailleurs, « il contribue […] à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques conduites à l’égard des professionnels de l’enfance ». Le haut-commissaire a donc la charge d’organiser la concertation avec les acteurs de terrain et de coordonner la politique de l’enfance de manière interministérielle.4
2. Guide 0-3 ans « Les clés de l’enfance ». https://bit.ly/42PZQ4K
3. 1 000 premiers jours de l’enfant. Petit guide de prise en main du sac des 1 000 premiers jours. Janvier 2023. https://bit.ly/48K2yfx
4. Décret n° 2025-118 du 10 février 2025 instituant un haut-commissaire à l’Enfance. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051151732
Pour en savoir plus :
Création d’un haut-commissariat à l’Enfance confié à Sarah El Haïry. UNIOPSS. Mars 2025. https://bit.ly/3ILJVxd
Haut-commissaire à l’Enfance. Communiqué de presse. Sarah El Haïry, haute-commissaire à l’Enfance : 3 mois d’actions utiles au service de l’enfance. Juin 2025. https://bit.ly/42SmXvf