La loi du 18 janvier 1994 relative à la santé et à la protection sociale a instauré, pour les détenus, un accès aux soins, une qualité et une continuité des soins équivalents à ceux dont bénéficie la population générale. Pour y parvenir, elle a confié au ministre de la Santé et au service public hospitalier la responsabilité du système de santé des prisons. Ce principe a été repris dans le code pénitentiaire de 2022 ; il découle du préambule de la Constitution de 1946, de sorte que s’il venait à être examiné par le Conseil constitutionnel, il aurait probablement valeur de principe fondamental reconnu par les lois de la République, voire de principe constitutionnel.
Deux filières de soins : somatiques et en santé mentale
Sur ce fondement, un système complet s’est développé en deux filières, les soins somatiques et les soins de santé mentale. Chacune comprend trois niveaux : un accueil ambulatoire dans des unités sanitaires situées dans chaque établissement pénitentiaire, un accueil de courte durée dans les hôpitaux de proximité à partir d’extractions médicales gérées depuis 2019 par l’administration pénitentiaire et un accueil dans des unités hospitalières spécialisées pour l’accueil des détenus. Ces services se déclinent en unités hospitalières sécurisées inter-régionales (UHSI) pour les soins somatiques et en unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour la santé mentale.
Rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), autorité administrative indépendante compétente pour tous les lieux d’enfermement, visite les lieux de privation de liberté dans un but défini par la loi : s’assurer du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Parmi ces droits figure l’égal accès aux soins des personnes privées de liberté par rapport à la population libre. Ce principe doit être analysé au regard des besoins réels des personnes concernées : une population marquée par l’éloignement des soins, exposée à la violence physique et psychique et aux addictions, et dont l’enfermement peut dégrader encore la santé. Même s’il est vrai que la prison peut être pour certains détenus l’occasion d’un premier contact avec un service de soins, elle n’est pas un lieu de soins ni même un lieu adapté à une prise en charge de longue durée de pathologies chroniques ou de personnes dépendantes en raison de leur état physique ou psychique.
Pour le CGLPL,1 le principe de l’égal accès aux soins suppose la mise en place d’actions de prévention sanitaire et un environnement adapté, la présence de personnel médical et paramédical en nombre suffisant et la possibilité de consulter des spécialistes, le respect de la confidentialité des soins et du secret médical et, enfin, la prévention du risque de suicide.
Inégalité d’accès aux soins
Les constats du CGLPL montrent les faiblesses du système sur l’ensemble de ces points. Les actions de prévention sont rares et parfois inadaptées, par exemple en ce qui concerne les risques de contamination par échange de seringues.
Le personnel médical et paramédical est plus qu’ailleurs marqué par un sous-effectif dû à la faible attractivité des conditions d’exercice.
L’accès aux spécialistes est difficile car les moyens pénitentiaires pour acheminer les détenus vers les services hospitaliers font défaut.
Le secret médical fait l’objet de nombreuses atteintes, que ce soit en raison de la présence de surveillants pendant les consultations et les soins, de l’organisation des rendez-vous, de l’absence de protection des dossiers médicaux ou des modalités de distribution des traitements.
Enfin, la prévention du suicide reste insuffisante, puisque la prison demeure, en dépit d’efforts importants, un lieu où le risque suicidaire est très élevé.
Dans ce contexte, trois catégories de personnes subissent de manière plus grave encore les limites que la prison impose à l’égal accès aux soins :
- les femmes, peu nombreuses (3 % seulement de la population carcérale), sont souvent détenues dans des sortes d’annexes de la prison des hommes qu’il faut parfois traverser pour atteindre l’unité sanitaire ; un tel cheminement est lourd en raison de contraintes de sécurité et peut être organisé avec retard ;
- les personnes ne parlant pas ou parlant mal le français sont parfois contraintes de recourir à un codétenu traducteur, ce qui les prive de toute confidentialité ;
- enfin, les personnes âgées ou dépendantes peuvent être privées des aides prévues pour leur situation en raison de la lourdeur que représente une intervention en prison des services départementaux d’aide à la personne.
Il est également fréquent que la prison prive les patients détenus d’un droit qui s’exerce spontanément, et presque sans y penser dans la vie courante : la continuité des soins. Les séjours en prison sont nombreux mais, souvent, ils sont relativement brefs ; dès lors, les occasions de rupture des traitements sont nombreuses : l’entrée en détention, qui fait souvent suite à une période complexe de garde à vue, et la sortie présentent à cet égard des risques équivalents ; la loi de 1994, en intégrant les unités sanitaires des prisons au système hospitalier tend à les réduire, mais la surcharge des services interdit souvent les mesures qui seraient nécessaires, en particulier les prises de rendez-vous accompagnant la sortie de prison.
Des progrès à poursuivre
Au regard du principe d’égal accès aux soins, le bilan de la loi de 1994 est incontestablement positif. L’examen médical systématique des détenus à leur arrivée est, en outre, un bon moyen de remettre dans le circuit médical des personnes qui n’y avaient pas accès. Les soins de médecine générale sont accessibles. Enfin, les unités sanitaires développent des actions adaptées à certaines des particularités de la population carcérale, qui, même imparfaites, ont progressé, notamment pour la prévention du suicide, l’éducation à la santé et l’addictologie.
Néanmoins, l’appropriation des unités sanitaires par les hôpitaux reste encore incomplète. L’administration pénitentiaire, qui assure une prise en charge complète des détenus, ne peut, en effet, totalement faire abstraction de ses propres contraintes : elle impose sa conception de la sécurité dans des conditions que, parfois, le système hospitalier accepte trop facilement – rien n’oblige en effet un médecin à accepter la présence de tiers dans son cabinet pendant une consultation – ; elle subit des contraintes de moyens qui interdisent les sorties sous escorte et pour autant n’encourage pas les permissions de sortie pour raison médicale ; elle gère les sorties sans toujours en avertir l’ensemble de ses partenaires. À l’inverse, l’hôpital montre parfois peu d’intérêt à l’activité qu’il organise en détention : de nombreuses unités sanitaires demeurent extérieures au réseau informatique de l’hôpital, certains hôpitaux refusent certains détenus et les moyens nécessaires à la télémédecine tardent à se mettre en place.
Des progrès sur ces points sont bien sûr nécessaires et possibles ; ils rencontreront cependant une limite car la prison, même si l’on organise en son sein un service de soins, ne sera jamais un lieu de soins. Dès lors, il est nécessaire d’admettre que certaines situations sont durablement incompatibles avec la détention et que dans ce cas le soin doit primer. La loi le prévoit :2« […] la suspension peut également être ordonnée […] pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention ». Pourtant, les suspensions de peine pour raison médicale sont rares et souvent très tardives ; certes, le détenu ne meurt pas en prison mais il n’est souvent libre que depuis quelques jours ou heures avant sa mort. La difficulté n’est pas tant la réticence des magistrats à les prononcer que la capacité à trouver une formule d’hébergement si l’on envisage une mesure un peu longue. Dans ce cas, comme dans bien d’autres, la prison est un peu la solution par défaut, faute de mieux, car en France il n’existe pas d’autre institution qui ne puisse jamais refuser personne.
Être intransigeant sur la déontologie
Si l’égalité n’est pas atteinte, les inégalités ont régressé, car il ne s’agit pas d’une simple égalité arithmétique mais de la possibilité de répondre de manière équitable aux besoins spécifiques des patients : elle appelle une offre adaptée au besoin, donc parfois différente de celle que l’on trouve dans la société et parfois plus dense. Pour des pathologies graves ou chroniques, elle doit intégrer la possibilité de suivre durablement des soins en milieu libre, c’est-à-dire une interruption de la prise en charge pénitentiaire.
Enfin, c’est aux praticiens eux-mêmes qu’il appartient de faire progresser l’égalité d’accès aux soins, notamment en étant intransigeants sur le respect de leur propre déontologie : c’est à eux, en effet, qu’il appartient de décider s’ils acceptent ou non que leur patient soit menotté ou entravé, d’exiger que tout patient qui souhaite les consulter puisse le faire et de définir les conditions dans lesquelles il doit être pris en charge. Les praticiens affectés en unité sanitaire déploient généralement beaucoup d’efforts pour surmonter les obstacles qu’ils rencontrent au quotidien. Ceux qui reçoivent exceptionnellement des patients détenus sont plus facilement convaincus par des arguments d’autorité souvent dépourvus de base légale. Quoi qu’il en soit, la durée moyenne des incarcérations en France, de quelques mois, ne doit jamais être perdue de vue car elle montre qu’un patient détenu était le plus souvent libre trois mois avant et le sera probablement trois mois plus tard.
Pour en savoir plus
- Ministère de la Justice et ministère des Solidarités et de la Santé. Guide méthodologique « Prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice », 2019.
- Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Avis relatif à la prise en charge des personnes détenues au sein des établissements de santé. Journal officiel du 16 juillet 2015, texte 148.
- Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Avis relatif à la prise en compte des situations de perte d’autonomie dues à l’âge et aux handicaps physiques dans les établissements pénitentiaires. Journal officiel du 22 novembre 2018, texte 107.
- Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Avis relatif à la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Journal officiel du 22 novembre 2019, texte 136.
- Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale, Dalloz 2018.
2. Article 720-1-1du Code de procédure pénale.