Les probiotiques sont des bactéries ou levures non pathogènes ingérées vivantes, qui modulent la prolifération bactérienne de l’intestin, avec des effets bénéfiques supposés ou réels chez l’hôte. Ils font l’objet d’un engouement depuis quelques années et sont très souvent utilisés par les patients en automédication – la multiplication de compléments alimentaires qui en contiennent aidant –, en l’absence de preuves d’efficacité.
Mais des indications médicales fondées sur des preuves issues d’essais randomisés existent bien, notamment en pédiatrie, même si elles sont limitées et souvent mal connues. Quelles sont-elles, aujourd’hui, selon les dernières recommandations de la Société européenne d’hépato-gastroentérologie et nutrition pédiatrique (ESPGHAN) ?
Quatre grandes indications gastroentérologiques validées
Sur la base d'essais randomisés, revues systématiques et méta-analyses publiés avant décembre 2021, les experts de l’ESPGHAN ont identifié quatre grandes indications pour lesquelles une prescription de certaines souches de probiotiques pourrait être bénéfique (au moins 2 essais randomisés devaient avoir montré des effets pour la souche en question).
Elles sont listées ci-dessous ; pour toutes – à l’exception de la prévention de la diarrhée associée aux antibiotiques – le grade de recommandation est néanmoins faible, les preuves étant jugées de certitude modérée à faible.
Diarrhées
Prévention de la diarrhée associée aux antibiotiques
En présence de facteurs de risque de diarrhée associée à une antibiothérapie (type d’antibiotique, durée du traitement, âge, hospitalisation, comorbidités, antécédents de diarrhée survenue dans ce même contexte…), la souche Saccharomyces boulardii (CNCM I- 745) peut être prescrite à la dose de ≥ 5 x 10⁹ UFC/jour dès le début de l’antibiothérapie. La souche Lacticaseibacillus rhamnosus GG peut aussi être proposée (recommandation forte). Une revue de la Cochrane (2019) a notamment trouvé une réduction de moitié du risque de diarrhée associée aux antibiotiques chez les patients recevant des probiotiques à haute dose.
Gastroentérite aiguë
Les souches suivantes ont été associées dans plusieurs études à une réduction de la durée de la diarrhée et/ou du volume de selles et/ou de l’hospitalisation :
- L. rhamnosus GG (ATCC 53103) : ≥ 1010 UFC/j pendant 5 à 7 jours ;
- S. boulardii (souvent CNCM I- 745 dans les études) : 250 - 750 mg/j pendant 5 à 7 jours ;
- Limosilactobacillus reuteri (DSM 17938) : 108 à 4 x 108 UFC/j pendant 5 jours ;
- Combinaison L. rhamnosus 19070 - 2 et L. reuteri DSM 12246 : 2 x 1010 UFC/j de chaque souche, pendant 5 jours.
Prévention de la diarrhée nosocomiale
La souche L. rhamnosus GG à une dose ≥ 109 UFC/j pendant l’hospitalisation a montré une efficacité dans la réduction du risque de diarrhée nosocomiale, y compris à rotavirus, dans une méta-analyse.
Traitement adjuvant d’une infection par Helicobacter pylori
La souche S. boulardii CNCM I- 745 peut être ajoutée à l’antibiothérapie standard, cette combinaison ayant montré, notamment dans une méta-analyse de 2019, une amélioration du taux d’éradication de la bactérie et une réduction des effets secondaires gastro-intestinaux (diarrhée, constipation). Toutefois, la posologie du probiotique n’est pas standardisée.
Certains troubles abdominaux fonctionnels
Coliques du nourrisson exclusivement allaité
La souche L. reuteri DSM 17938, qui est la plus étudiée à ce jour, a été associée à une réduction significative des pleurs chez les enfants souffrant de coliques, à la dose de 108 UFC/jour pendant au moins 21 jours.
La souche Bifidobacterium lactis BB- 12 a montré, dans deux essais randomisés récents (2020 et 2021), une efficacité dans la réduction de la sévérité des coliques. Elle peut donc aussi être proposée, à la dose de 108 UFC/jour pendant 21 à 28 jours.
Attention : ces recommandations ne sont valables que pour les enfants exclusivement allaités. En effet, les données sont insuffisantes chez les enfants prenant des laits infantiles ; de plus, ces derniers contiennent souvent déjà certaines souches de probiotiques, ce qui rend redondant l’ajout d’un autre produit en contenant (qui peut être onéreux).
Enfin, l’administration de probiotiques en prévention des coliques n’est pas recommandée en l’état actuel des connaissances.
Douleurs abdominales fonctionnelles
La souche L. reuteri DSM 17938, 108 à 2 x 108 UFC/jour, peut être prescrite après ; elle a réduit significativement l’intensité de la douleur et accru le nombre de jours sans douleur par rapport au placebo, dans 6 essais randomisés, chez les enfants de plus de 4 ans.
Selon une revue Cochrane publiée en 2023 (après ces recos), la prise de probiotiques – dont L. reuteri – serait plus efficace qu’un placebo dans l’amélioration globale de la douleur, bien que les preuves soient toujours considérées d’une certitude faible et que l’efficacité dans la résolution complète de la douleur soit encore peu claire. D’autres souches n’ont montré aucun effet.
Syndrome de l’intestin irritable, constipation
La souche L. rhamnosus GG, 109 à 3 x 109 UFC 2 fois/jour, peut être proposée en tant que traitement adjuvant pour réduire la fréquence et de l’intensité de la douleur chez les enfants souffrant de syndrome de l’intestin irritable, selon les données de 4 essais randomisés (mais avec une incertitude liée à l’hétérogénéité des méthodes, réitérée dans la revue Cochrane de 2023).
Aucune recommandation ne peut être faite en l’état actuel des connaissances concernant les probiotiques dans la constipation fonctionnelle.
Prévention de l’entérocolite nécrosante chez les prématurés
Deux souches peuvent être recommandées pour réduire le risque d’entérocolite nécrosante chez les prématurés : L. rhamnosus GG (ATCC 53103) à des doses allant de 109 à 6 x 109 UFC/jour, ainsi que la combinaison B. infantis BB- 02 + B. lactis BB- 12 + S. thermophilus TH- 4 à la dose de 3 à 3,5 x 108 UFC de chacune.
Les souches suivantes ne sont pas recommandées, en raison d’une efficacité insuffisante : B. breve BBG- 001, S. boulardii.
Troubles métaboliques, atopie, autres maladies digestives : pas d’indication pour le moment
Diverses affections, allant de l’obésité infantile à la maladie cœliaque, en passant par la pullulation microbienne du grêle (SIBO) et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, ont fait l’objet de plusieurs études, mais le niveau de preuves reste insuffisant.
L’utilisation de probiotiques est aussi explorée dans le cadre de plusieurs pathologies allergiques (allergies alimentaires, rhinite allergique, dermatite atopique), mais aucune recommandation n’existe encore à ce sujet.
Lemoine A. Prescriptions des probiotiques : les bonnes et mauvaises indications. Réalités pédiatriques 26 juin 2025.