La période périnatale est une période de vulnérabilité dans la vie des femmes. Elle engendre de profonds remaniements physiques, psychiques et sociologiques. Une attention particulière au cours de cette période de la part des professionnels de santé est cruciale, tant pour la santé des femmes que pour celle du nouveau-né, voire de la famille tout entière.
La psychose puerpérale désigne classiquement des symptômes psychotiques survenant isolément ou dans le cadre d’un épisode thymique – qu’il s’agisse d’un épisode maniaque, mixte ou dépressif – pendant la grossesse ou au cours des premières semaines qui suivent l’accouchement.1
Bien que peu fréquente, elle entraîne des conséquences notables sur la santé de la femme et de l’enfant, sur le lien mère-bébé et sur l’équilibre familial. Elle est une véritable urgence psychiatrique.
L’objectif de cet article est, d’une part, de préciser les facteurs de vulnérabilité qui peuvent permettre de dépister les patientes à risque de psychose puerpérale avant ou pendant une grossesse ; d’autre part, d’apporter les outils pour rechercher les prodromes et/ou symptômes d’une psychose puerpérale.
Pas si rare…
Sa prévalence mondiale varie entre 0,89 et 2,6 pour 1 000 accouchements, soit 1 à 2 femmes sur 1 000.2 La moitié d’entre elles n’ont jamais été hospitalisées en psychiatrie.
La plupart du temps, elle est associée à un trouble bipolaire,3 et peut alors en être la première manifestation clinique ; 20 à 30 % des femmes avec un trouble bipolaire développent une psychose puerpérale.4
Elle se développe classiquement dans les quatorze premiers jours qui suivent l’accouchement,5 avec 65 % des épisodes survenant lors des trois premiers jours du post-partum.4 Cependant, comme la plupart des troubles psychiatriques se déclarant en période périnatale, la psychose puerpérale peut également survenir plusieurs mois après l’accouchement.
Antécédents psychiatriques : premier facteur de risque
Les antécédents psychiatriques, personnels ou familiaux, notamment des épisodes périnataux antérieurs, des troubles psychotiques ou bipolaires, sont le principal facteur de risque. En effet, 40 à 50 % des femmes qui développent une psychose puerpérale ont des antécédents familiaux de troubles de l’humeur, pré-supposant une agrégation familiale de ces troubles.
D’autres facteurs de risque ont été identifiés chez les primipares :6
- l’âge maternel élevé ;
- le faible poids du nouveau-né à la naissance (inférieur à 1 500 g).
Chez toutes les parturientes, et non seulement les primipares, plusieurs autres facteurs de risque ont été identifiés :
- les troubles du sommeil, fréquents durant la période périnatale ;
- les malformations congénitales ;
- une naissance prématurée (avant 32 semaines d’aménorrhée) ;
- un décès fœtal ou une mort prématurée du nouveau-né.
Une diversité de symptômes
Il est nécessaire d’être attentif à l’apparition de symptômes prodromiques : insomnie sévère (se manifestant par une incapacité totale à dormir la nuit), anxiété massive, agitation, irritabilité marquée, perturbations de l’humeur allant de l’euphorie à la dépression, mais également pensées obsédantes (en lien avec la sécurité de l’enfant par exemple), état de confusion, retrait social ou désintérêt pour l’enfant.7
Il convient ainsi de ne pas méconnaître les symptômes dépressifs et anxieux, car ils peuvent précéder l’apparition d’une psychose puerpérale.
La sémiologie de la psychose puerpérale est riche et polymorphe. Les signes et symptômes, ainsi que leurs spécificités, sont déclinés dans le tableau.
Poser le diagnostic
La présence d’idées délirantes, d’hallucinations ou d’un changement franc de l’humeur dans la période périnatale doit faire évoquer ce diagnostic. Une évaluation psychiatrique permet de déterminer s’il s’agit d’un épisode psychotique bref, d’un épisode maniaque, d’un épisode dépressif caractérisé avec caractéristiques psychotiques ou d’un épisode aigu ponctuant un trouble psychiatrique chronique.
La psychose puerpérale n’est pas un diagnostic répertorié dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux édition 5 (DSM- 5). Elle est généralement classée dans les troubles de l’humeur (trouble bipolaire ou épisode dépressif caractérisé d’intensité sévère) avec caractéristiques psychotiques. En revanche, il existe un spécificateur dit « début en péri-partum » pour caractériser les troubles survenant au cours de la grossesse et jusqu’à quatre semaines suivant l’accouchement.
Comme toujours devant un trouble psychiatrique, il est indispensable d’éliminer une cause non psychiatrique : un changement brutal de comportement avant ou après l’accouchement peut également être lié à une thrombophlébite cérébrale, un accident vasculaire cérébral, une infection ou une intoxication à des substances psychoactives.1
Évolution et pronostic : deux complications dramatiques
Le pronostic est différent selon que la psychose puerpérale survient dans le cadre d’une maladie psychiatrique préexistante ou qu’il s’agit d’un premier épisode.
Dans le cas d’un trouble psychiatrique préexistant – trouble bipolaire ou schizophrénie –, l’épisode aigu s’inscrit dans une pathologie psychiatrique chronique, pour laquelle un traitement de fond est à maintenir au long cours. Les troubles bipolaires se révélant en période périnatale semblent moins sévères que s’ils surviennent en dehors de cette période, avec notamment moins d’épisodes dépressifs au cours de la vie des femmes et moins de tentatives de suicide.3,8
S’il s’agit d’un premier épisode psychiatrique, l’évolution vers un trouble bipolaire concerne près de 70 % des femmes.3 Celles-ci sont plus susceptibles d’avoir une psychose puerpérale ou un épisode thymique lors d’une grossesse ultérieure.
Parmi les différents profils symptomatiques identifiés, les femmes ayant une dépression avec caractéristiques psychotiques auraient un retard d’instauration du traitement et de prise en charge de deux semaines, comparativement aux femmes ayant un épisode maniaque ou des symptômes atypiques (confusion ou désorientation).9
Enfin, les deux complications les plus graves sont le suicide et l’infanticide. Le suicide est rare pendant l’épisode aigu, mais sa survenue est majorée ensuite dans la vie de la femme.10 Le taux d’infanticide est estimé à 4,5 % dans les épisodes dépressifs avec caractéristiques psychotiques et serait inférieur à 1 % dans les épisodes psychotiques brefs du post-partum.10
Prendre en charge et traiter en urgence
La psychose puerpérale est une urgence psychiatrique et nécessite une prise en charge particulière (figure). L’évaluation du risque suicidaire de la mère et la recherche d’idées d’infanticide sur le nouveau-né sont indispensables. Une mise à l’abri de la mère et de l’enfant peut s’avérer nécessaire.
Classiquement, l’état clinique justifie une hospitalisation de la mère en psychiatrie adulte. Celle-ci peut se poursuivre par des soins conjoints mère-enfant.
Les traitements de choix sont les anti-psychotiques atypiques (notamment l’olanzapine ou la quétiapine) ainsi que les thymorégulateurs (comme le lithium) du fait du trouble bipolaire fréquemment sous-jacent. Les antidépresseurs sont à introduire avec précaution dans les dépressions sévères avec caractéristiques psychotiques car ils peuvent induire un virage de l’humeur chez les femmes ayant un trouble bipolaire. Parfois, le recours à l’électroconvulsivothérapie est nécessaire, surtout si les symptômes sont sévères ou résistants aux chimiothérapies.10,11
Les traitements non médicamenteux sont la psychothérapie individuelle pour la mère, mais également les prises en charge de la dyade (mère-enfant) ou de la triade (mère-coparent-enfant).
Enfin, il est important d’inclure les proches dans la prise en charge afin de soutenir la mère et le nourrisson. S’il y a un coparent, celui-ci doit être invité à participer à certains rendez-vous avec l’équipe de soin psychiatrique de sa conjointe. Il doit être informé de la pathologie de sa partenaire, savoir repérer les signes qui pourraient alerter sur une probable rechute et la conduite à tenir si une nouvelle crise devait survenir. Il est également important qu’il comprenne en quoi consiste le traitement médicamenteux et puisse s’assurer de l’observance. De plus, tant que la mère a des symptômes aigus, il peut jouer un rôle majeur auprès du nourrisson en établissant un lien sécurisant avec ce dernier.
Place du médecin généraliste
Le suivi d’une patiente après une psychose puerpérale repose sur un réseau de soins dont le médecin généraliste peut être le coordonnateur, incluant psychiatre, pédopsychiatre, pédiatre, psychologue, service de Protection maternelle et infantile (PMI).
Suivi de la mère
L’enjeu majeur des mois qui suivent l’épisode de psychose puerpérale est le maintien de la stabilité psychiatrique de la mère. Il tient principalement à la poursuite des traitements de fond instaurés, pour au moins deux ans en cas de premier épisode. Il est recommandé que l’arrêt des traitements soit proposé en concertation avec le psychiatre traitant. Le suivi psychiatrique individuel de la mère est nécessaire sur le long terme et, dans l’idéal, au-delà même d’une rémission complète des symptômes.
Retentissement sur l’entourage
Un suivi psychiatrique est nécessaire pour la mère, le coparent et l’enfant. Il vise à soutenir la qualité du lien et des interactions au sein de la triade et notamment mère-enfant, qui peuvent avoir été mis à mal.
Le médecin généraliste doit rester attentif au développement psychomoteur et affectif du nourrisson.
De plus, une évaluation du retentissement de cet épisode traumatique sur les autres membres de la famille peut être indiquée. En effet, en cas de pathologie psychiatrique maternelle, le risque de dépression du post-partum chez le père augmente,13 et un accompagnement psychologique, voire psychiatrique, individuel peut s’avérer nécessaire.
De même, un épisode de psychose puerpérale peut être déstabilisant pour les autres enfants de la fratrie. Une évaluation (voire un accompagnement) dans un service de pédopsychiatrie doit systématiquement leur être proposée.
Enfin, il existe des groupes de parole pour les parents confrontés à une maladie psychiatrique maternelle dans la période périnatale (association Maman Blues).
Miser sur la prévention
Le médecin généraliste est invité à participer à la prévention de la survenue d’un premier épisode de psychose puerpérale, en recherchant les facteurs de risque avant, pendant ou après la grossesse. Une surveillance accrue est proposée aux femmes les plus à risque (en particulier, celles ayant un trouble bipolaire de type 1),6 en préconisant la poursuite du traitement de fond, et éventuellement en les orientant dès la période antéconceptionnelle vers une consultation de psychiatrie spécialisée.
L’entretien prénatal précoce (EPP), qui a lieu au quatrième mois de grossesse, et la consultation préconceptionnelle sont des moments privilégiés pour repérer des facteurs de risque.
L’entretien post-natal précoce (EPNP) est réalisé dans les huit semaines suivant l’accouchement et peut également être un moment de repérage des femmes ayant des prodromes, voire des symptômes, de psychose puerpérale.
Après un épisode de psychose puerpérale, anticiper une grossesse ultérieure est essentiel : il s’agit de questionner la patiente et le couple sur un projet de grossesse et de l’accompagner ou de mettre en place une contraception lorsque le couple le souhaite. Une nouvelle grossesse est déconseillée au cours des deux premières années, du fait d’un risque important de nouvel épisode. La patiente et le couple peuvent être accompagnés en psychiatrie périnatale dès la période antéconceptionnelle ou dès le début de la nouvelle grossesse. Cela permet d’anticiper également la compatibilité des traitements psychotropes avec la grossesse et l’allaitement.
Que dire à vos patients ?
Le risque de trouble psychique du post-partum est augmenté en cas d’antécédents personnels ou familiaux de troubles bipolaires ou de troubles psychotiques.
La psychose puerpérale s’inscrit, la plupart du temps, dans un trouble bipolaire et implique la prise d’un traitement au long cours.
Le traitement instauré par antipsychotique atypique et/ou thymorégulateur ne doit pas être arrêté sans avis spécialisé.
Des groupes de pair-aidance pour les difficultés psychiques dans la période périnatale existent : https ://bit.ly/4fLupwA
2. VanderKruik R, Barreix M, Chou D, et al. The global prevalence of postpartum psychosis: a systematic review. BMC Psychiatry 2017;17(1):272.
3. Azorin JM, Angst J, Gamma A, et al. Identifying features of bipolarity in patients with first-episode postpartum depression: Findings from the international BRIDGE study. J Affect Disord 2012;136(3):710‑5.
4. Osborne LM. Recognizing and Managing Postpartum Psychosis: A Clinical Guide for Obstetric Providers. Obstet Gynecol Clin North Am 2018;45(3):455‑68.
5. Kendell RE, Chalmers JC, Platz C. Epidemiology of Puerperal Psychoses. The Br J Psychiatry 1987;150(5):662‑73.
6. Jones I, Smith S. Puerperal psychosis: Identifying and caring for women at risk. Advances in Psychiatric Treatment 2009;15(6):411‑8.
7. Rege S. Psych Scene Hub. Postpartum (Puerperal) Psychosis – Pathophysiology | Diagnosis | Management. 2022. https://bit.ly/4ePgqoc
8. Tebeka S, Godin O, Mazer N, et al. Clinical characteristics of bipolar disorders with postpartum depressive onset. Progress in Neuro-Psychopharmacology and Biological Psychiatry 2021;107:110225.
9. Kamperman AM, Veldman-Hoek MJ, Wesseloo R, et al. Phenotypical characteristics of postpartum psychosis: A clinical cohort study. Bipolar Disord 2017;19(6):450‑7.
10. Brockington I. Suicide and filicide in postpartum psychosis. Arch Womens Ment Health 2017;20(1):63‑9.
11. Kimmel M, Thippeswamy H, Kamperman A, et al. Cross-continental collaboration for understanding postpartum major depression with psychotic features. Front Glob Womens Health 2022;3:996501.
12. Doucet S, Jones I, Letourneau N, et al. Interventions for the prevention and treatment of postpartum psychosis: a systematic review. Arch Womens Ment Health 2011;14(2):89‑98.
13. Thomas B, Grisi S, Georgieff N, et al. Les pères face à la dépression du post-partum maternelle : résultats d’une étude qualitative. La psychiatrie de l’enfant. 2024;67(2):167‑84.