En dehors du programme de dépistage organisé du cancer colorectal, la recherche de sang occulte fécal permet de guider la décision du médecin généraliste d’adresser ou non au gastroentérologue un patient souffrant de symptômes digestifs ou généraux pour une coloscopie. En France, elle repose sur des tests immunochimiques fécaux (TIF) qualitatifs. Au contraire, au Royaume-Uni, elle s’appuie sur des TIF quantitatifs qui ont démontré leur nette supériorité, tant dans le cadre des programmes de dépistage du cancer colorectal que pour l’exploration de patients symptomatiques. À ce jour, en France, les TIF quantitatifs ne sont accessibles, hors programme de dépistage organisé, que dans certains laboratoires de biologie médicale.

Avec plus de 47 000 nouveaux cas en 2023 et plus de 17 000 décès en 2018 en France, le cancer colorectal (CCR) est le troisième cancer le plus fréquent et la deuxième cause de mortalité par cancer.1 Bon nombre de ces décès sont évitables. La recherche de sang occulte dans les selles (RSOS) est un des outils de première intention pour le dépistage et le diagnostic du CCR et de ses lésions précancéreuses. Les tests au gaïac sont obsolètes et ne sont plus utilisés en France depuis 2015. Les tests immunochimiques fécaux (TIF) les ont remplacés et sont de deux types : qualitatifs (TIFql) et quantitatifs (TIFqnt). Nous expliquions, dans un article paru dans La Revue du Praticien en 2021 – faisant le point sur les tests de RSOS et les possibilités offertes par leur utilisation –,pourquoi les TIFql sont, eux aussi, obsolètes et ne devraient plus être utilisés ni remboursés.2 Les TIFqnt restent finalement les seuls tests de RSOS dûment évalués, tant dans le cadre des programmes de dépistage organisé (DO) du CCR que pour l’exploration de patients symptomatiques.

Malgré un programme de DO du CCR destiné aux personnes âgées de 50 à 74 ans à risque moyen – invitées à réaliser tous les deux ans un TIFqnt –, l’incidence du CCR en France reste stable chez la femme et amorce juste une diminution chez l’homme. L’échec du programme français de DO du CCR n’est pas l’objet de cet article.

De longue date, la RSOS est utilisée en médecine générale pour contribuer à la décision de référer ou non au gastroentérologue un patient souffrant de symptômes digestifs ou généraux, en vue d’une coloscopie. En France, cette pratique est très artisanale, non évaluée et repose sur des TIFql dans la quasi-totalité des cas, alors qu’au Royaume-Uni elle repose sur des TIFqnt et a fait l’objet d’une évaluation très rigoureuse, source de recommandations, régulièrement actualisées, régulant leur utilisation et l’interprétation de leurs résultats.3 - 6 Nous regrettions en 2021 que les TIFqnt fussent réservés en France au programme de DO du CCR (OC-Sensor au seuil de 30 µg d’hémoglobine [Hb] par gramme de selles, simplifié en µg/g pour la suite de l’article).2 Ce n’est plus vrai.

Le but de cet article est de débattre de l’utilisation des TIF dans la stratégie diagnostique chez les patients adultes souffrant de symptômes diges­tifs bas ou généraux.

Hémoglobine fécale : les fondamentaux

Il existe une perte physiologique minime de sang dans les selles, avec d’importantes variations de la concentration d’hémoglobine fécale (CFHb).2 Elle augmente avec l’âge, le sexe masculin, le faible niveau socioéconomique et varie selon le pays, la région, le groupe ethnique et le type de test utilisé.2,7 Bien que tout le monde ait, peu ou prou, du sang dans les selles, on peut considérer en pratique qu’une personne saine n’a pas de sang détectable par les TIFqnt actuels et que toute hémoglobine détectable doit être considérée comme inhabituelle.2,7 Le risque de néoplasme colorectal s’accroît dès que du sang est détectable, la CFHb augmentant principalement avec la taille de la lésion néoplasique.2 À la différence du sang et des urines, les selles sont un fluide corporel hétérogène  : l’hémoglobine y est répartie de façon inégale. Aussi, plusieurs prélèvements réalisés sur de mêmes selles ne donnent pas toujours le même résultat de CFHb, a fortiori lorsque les prélèvements sont réalisés sur plusieurs selles successives.8

Tests qualitatifs, résultat binaire et sensibilité variable

Les TIFql reposent sur une technique d’immuno­chromatographie (cotés B20, soit 5 euros en 2024). Leur lecture est visuelle, subjective, nécessitant du ­personnel entraîné et le respect strict des consignes du fabricant quant au délai de lecture. Ils fournissent un résultat binaire – positif ou négatif –, douteux dans environ 10 % des cas. Une douzaine sont commercialisés en France.

Leur seuil de positivité, fixé par le fabricant, varie selon le test, de sorte que leur taux de positivité varie lui aussi, de 6 à 47 % dans une étude portant sur six tests différents évalués dans un programme de dépistage du CCR.9 Dans ce contexte, leur sensibilité pour la détection d’un néoplasme avancé (CCR ou adénome avancé, c’est-à-dire adénome d’une taille supérieure ou égale à 10 mm ou en dysplasie de haut grade ou villeux ou tubulo-­villeux) varie donc tout autant (de 30 à 73  %).9 En population symptomatique, la sensibilité pour le CCR de quatre tests différents varie de 82 à 100  % selon le TIFql, avec des taux de positivité variant de 22 à 35  %.10 Ces écueils sont tels que les TIFql sont, à l’instar des tests au gaïac, obsolètes et ne devraient plus être utilisés ni remboursés.

Tests quantitatifs, des performances évaluées

La plupart des TIFqnt utilisent une technique d’immunoturbidimétrie (même cotation que les TIFql). Leur analyse est automatisée et fournit un résultat quantitatif sous forme d’une CFHb exprimée en µg/g. Plusieurs sont commercialisés  : OC-Sensor (Eiken, Japon), HM-JACKarc (Hitachi, Japon), FOB Gold (Sentinel Diag­nostics, Italie), pour ne citer que les plus connus et les mieux évalués.4,5 Chaque TIFqnt a ses propres performances, qu’il s’agisse de sensibilité et de spécificité pour le diagnostic de néoplasme colorectal mais aussi en matière de limite de détection, limite de quantification et plage de linéarité.7

Personnes asymptomatiques à risque moyen de CCR

Les performances cliniques des TIFqnt sont parfaitement évaluées et connues en ce contexte, variant selon le seuil de positivité choisi par chaque programme de dépistage (par exemple 15 µg/g en Belgique, 20 µg/g en Italie, 30 µg/g en France et 120 µg/g en Angleterre).

Dans une revue Cochrane, la sensibilité du TIFqnt pour le diagnostic de CCR était de 76  % au seuil de 10 µg/g et de 65  % au seuil de 20 µg/g alors que sa sensibilité programmatique était de 89 %, identique pour ces deux seuils.11 La sensibilité programmatique d’une campagne de TIFqnt au seuil de 30 µg/g a été évaluée entre 66  % dans une cohorte étatsunienne et 88,6  % dans le programme français, pour un taux de positivité de 3,3 % en 2022 - 2023.11

Personnes symptomatiques

Les performances des TIFqnt ont aussi été largement évaluées chez les personnes symptomatiques, principalement au Royaume-Uni. Elles dépendent de la prévalence du CCR dans la population testée, relativement faible dans la patientèle symptomatique d’un médecin généraliste, évaluée entre 0,8 et 1,8  %.6 Dans la méta-­analyse la plus récente, les seuils fixés à 10 µg/g et à la limite de détection de 2 µg/g offraient des sensibilités pour le diagnostic de CCR de 91  % et 94,7  % respectivement pour des taux de positivité de 25,8  % et 33,5  %.5

Quand prescrire une recherche de sang occulte dans les selles  ?

Les recommandations du National Institute for Health and Care Excellence (NICE DG56) de 2023 ont établi la liste des symptômes relevant d’une stratégie diag­nostique fondée sur la mesure de la CFHb (encadré).4 Élaborées pour le système de soins anglais avec accès restreint à la coloscopie, elles doivent être en partie modifiées pour le système de soins français. Mesurer la CFHb est une aide à la décision pour l’exploration de symptômes digestifs bas (douleurs abdominales, modification du transit, diarrhée, constipation, masse palpable, rectorragies) et généraux (altération de l’état général, amaigrissement) d’apparition récente chez l’adulte.

Pour les troubles du transit et les symptômes douloureux, la mesure de la CFHb n’est indiquée que s’ils se prolongent au-delà de deux à quatre semaines malgré un traitement symptomatique bien conduit.2

En cas de symptômes chroniques et/ou anciens tels que troubles fonctionnels intestinaux, avec ou sans modification récente, la mesure de la CFHb est une aide pour déclencher des examens complémentaires à bon escient et éviter de multiplier les explorations inutiles.2

Paradoxalement, l’intérêt diagnostique de la mesure de la CFHb reste entier pour l’exploration de rectorragies. Un examen proctologique et une rectosigmoïdo­scopie sont à la fois nécessaires et suffisants dans ­l’immense majorité des cas de rectorragies associées à une CFHb inférieure au seuil fixé pour la coloscopie.6 Une étude portant sur 3 143 patients avec rectorragies a montré que 56  % d’entre eux n’avaient pas d’Hb fécale détectable (< 2 µg/g) et avaient un risque de CCR de 0,1  %, réduit à 0,03 % par la réalisation d’une rectosigmoïdoscopie.12

Quand ne pas prescrire une recherche de sang occulte dans les selles  ?

Les recommandations NICE DG56 précisent que les patients avec tumeur anale ou rectale ou ulcération anale ne relèvent pas d’une RSOS mais ils doivent être adressés au gastroentérologue.4 Cette recherche n’est pas non plus pertinente en cas de symptomatologie aiguë récente (syndrome douloureux abdominal aigu, gastroentérite ou méléna macroscopiquement évident).

En cas d’anémie ferriprive chez l’homme et la femme ménopausée, contrairement aux recommandations NICE DG56, il faut, de notre point de vue, maintenir en France le dogme «  gastroscopie et coloscopie systématiques  ». Seule exception  : la mesure de la CFHb est une solution élégante pour éviter une coloscopie à une femme de moins de 50 ans non ménopausée et anémique. Dans une série de 28 622 patients anglais, une anémie ferriprive était présente chez les 7 patients avec CCR manqués par deux TIFqnt au seuil de 10 µg/g.8 La plupart des patients avec CCR TIFqnt négatif ont une anémie ferriprive et un CCR proximal.8

Bénéfices/risques de la coloscopie

La coloscopie est un examen invasif, non dénué de risques, coûteux et polluant (l’endoscopie digestive est un des premiers contributeurs de l’empreinte carbone des établissements de soins, principalement en lien avec les transports de patients). Son rapport bénéfices/risques est d’autant plus important que son rendement est significatif, avec un diagnostic et un traitement à la clé.

Une coloscopie normale est inutile, ses rapports bénéfices/risques et coût/efficacité sont défavorables.

L’indication de coloscopie ayant le meilleur rendement, et de loin, est une RSOS positive.

Au contraire, les symptômes digestifs observés en première ligne chez le médecin généraliste ont une faible valeur prédictive positive pour le CCR.2,6 En particulier, les symptômes tels que douleur abdominale, constipation, diarrhée et modification de transit sont non discriminants car aussi fréquents chez les personnes avec et sans CCR.2 Somme toute, constipation, diarrhée et douleur abdominale sont associées à un risque de découverte de CCR inférieur à celui des colo­scopies de dépistage chez des personnes asymptomatiques.2 Ce ne sont donc pas, isolément, de bonnes indications de coloscopie.

Utilisation diagnostique des TIFqnt

Expérience des pays étrangers

Trois pays ont élaboré des recommandations pour l’utilisation des TIFqnt pour l’exploration de patients symptomatiques  : le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Australie.13 La CFHb mesurée par TIFqnt permet de répondre à deux questions  : une coloscopie est-elle nécessaire  ? est-elle urgente  ?

Les recommandations NICE ont retenu, dès 2017, le seuil de 10 µg/g pour référer les patients symptomatiques au gastroentérologue qui offre une sensibilité de 91  % pour le diagnostic de CCR pour un taux de positivité de 25,8  %.3,4,5 Si la CFHb est très élevée, la coloscopie est considérée comme urgente et prioritaire  : l’Angleterre a adopté des seuils de 100 à 200 µg/g selon les régions, et l’Écosse un seuil de 400 µg/g pour l’indication d’investigations urgentes.

Expérience française

Depuis 2023, certains laboratoires de biologie médicale ont remplacé les TIFql par un TIFqnt analysé sur automates polyvalents de routine à l’instar de l’expérience rapportée par Schwettmann et ses collègues.13,14 Faute de recommandations françaises, les résultats sont ­accompagnés des recommandations anglaises NICE DG30 avec un seuil de positivité supérieur à 10 µg/g déclenchant le recours au gastroentérologue.3

En Lorraine, à la suite du passage au TIFqnt, le taux de tests douteux ou non analysables a été réduit de 12 à 0  %.13

En Auvergne-Rhône-Alpes, 5 217 patients adultes (âge moyen 63,9 ans, 46,6  % d’hommes) ont été explorés par TIFqnt.13 Leur répartition par classe d’âge était la suivante  : 20,4  % pour les moins de 50 ans, 45  % pour les 50 à 74 ans et 34,6  % au-delà de 75 ans. Le nombre de prélèvements, laissé au libre choix du prescripteur, était de 1 dans 29 % des cas, 2 dans 9 % et 3 dans 62 % des cas. Les CFHb telles que mesurées sur le premier prélèvement étaient supérieures ou égales à 2 µg/g, supérieures ou égales à 3 µg/g, supérieures ou égales à 10 µg/g et supérieures ou égales à 100 µg/g dans 18 %, 15,4 %, 9,4 % et 3,9 % des cas, respectivement.

Les CFHb observées en Auvergne-Rhône-Alpes étaient significativement inférieures à celles observées en Lorraine, elles-mêmes significativement inférieures à celles observées au Royaume-Uni. Au seuil de 10 µg/g, les taux de tests positifs étaient respectivement de 9,4 %, 12,7 % et 25,8 %.5,13 Les proportions de CFHb supérieures ou égales à 2 µg/g et supérieures ou égales à 100 µg/g étaient significativement supérieures chez les hommes que chez les femmes (19,4 % versus 16,8 % et 4,6 % vs 3,2 %, respectivement). La proportion de CFHb supérieures ou égales à 2 µg/g augmentait significativement avec l’âge après 40 ans : 10,1 % de 40 à 49 ans, 14,4 % de 50 à 59 ans, 14,1 % de 60 à 69 ans, 17,7 % de 70 à 79 ans et 31,4 % après 80 ans.

Modalités pratiques de réalisation

Les recommandations internationales sont unanimes et n’imposent aucun régime alimentaire ni aucune restriction médicamenteuse  : anticoagulant, antiagrégant plaquettaire, aspirine et anti-inflammatoire non stéroïdien. Certes, anticoagulants et antiagrégants augmentent le taux de faux positifs (diminution de la valeur prédictive positive) mais ils pourraient aussi avoir un effet bénéfique en faisant saigner de petites lésions non hémorragiques spontanément (augmentation du taux de détection de néoplasmes avancés chez les utilisateurs d’anticoagulants).15

Les TIF détectent spécifiquement la globine humaine, composant protéique de l’hémoglobine, et ses produits précoces de dégradation. Ils sont quasi spécifiques des saignements colorectaux, car la globine d’origine plus proximale est dégradée dans le tractus digestif. En cas de TIFqnt positif et de coloscopie normale, il est inutile de poursuivre les investigations (œsophage, estomac, grêle…).

Pour les patients de moins de 50 ans ou de plus de 74 ans ne disposant pas à proximité d’un laboratoire de biologie médicale utilisant les TIFqnt, il n’y a pas de solution satisfaisante à ce jour. En revanche, pour les personnes âgées de 50 à 74 ans – près de la moitié des patients dans l’expérience d’Auvergne-Rhône-Alpes –, il est possible de s’appuyer sur le programme de DO du CCR. Même si le patient a fait un test de dépistage récent (moins de deux ans), il est possible (les délais entre les tests ne sont pas tracés) de lui donner un test du programme de DO et d’interpréter sa CFHb en tenant compte des symptômes (donc au seuil de 10 µg/g et non pas de 30 µg/g). Si le patient a déjà réalisé un(plusieurs) test(s) dans le cadre du DO, des CFHb régulièrement inférieures à 10 µg/g (et non pas inférieures à 30 µg/g) sont rassurantes et plaident contre la réalisation d’une coloscopie.

Il est regrettable que les valeurs de CFHb inférieures à 10 µg/g ne soient pas rendues dans le programme de DO du CCR car elles ont une valeur diagnostique et pronostique exploitable.7 Le fabricant du test recommande une plage de mesure de 10 à 200 µg/g, mais des évaluations indépendantes ont démontré que cette plage pouvait être étendue de 2 à 200 µg/g.4

Interprétation des résultats

Les recommandations NICE DG56 de 2023 ont conservé le seuil de 10 µg/g des recommandations NICE DG30 de 2017 pour l’indication de coloscopie.3,4 Ce seuil est le fruit d’une évaluation médico-économique propre au contexte britannique d’accès restreint à la coloscopie. À ce seuil, le taux de 9  % de CCR manqués chez des patients symptomatiques ne semble pas adapté au contexte sanitaire français, qui offre un meilleur accès à la coloscopie. L’objectif chez des patients symptomatiques est de diagnostiquer la quasi-totalité des CCR, c’est-à-dire d’atteindre une sensibilité proche de 100 %, au prix d’un nombre minimal de coloscopies (donc de tests positifs). Une sensibilité de 100 % étant par définition impossible, même en réalisant une coloscopie à tous les patients, car cet examen peut aussi manquer des CCR.

Nous suggérons un seuil de 2 µg/g (limite de détection commune aux principaux TIFqnt), qui offre une sensibilité de 94,7 % (entre 93 et 100 % selon les études) pour le diagnostic de CCR, pour un taux de positivité de 33,5 %.5,13 Cette sensibilité, équivalente à celle de la coloscopie, permet d’éviter une coloscopie dans 66 % des cas.5 Le seuil de 2 µg/g devrait conduire à un taux de coloscopies inférieur à 20 à 25 % dans notre pays, parfaitement gérable par les gastroentérologues.13 Le tableau résume les performances diagnostiques des TIFqnt pour le diagnostic de CCR selon le seuil adopté.

Un seuil de 100 µg/g pour une coloscopie urgente pourrait être retenu en France, avec une valeur prédictive positive pour le CCR chiffrée à 20,7 % dans une série anglaise.16

Les seuils proposés, de 2 µg/g et 100 µg/g, issus de l’analyse de la littérature, principalement anglaise et écossaise, doivent cependant faire l’objet d’évaluations complémentaires en population française.5

Attention, le clinicien ne doit pas se fier exclusivement au résultat de CFHb fourni par un TIFqnt pour déterminer sa stratégie diagnostique. Une CFHb très faible confère un risque infime de CCR, pas un risque nul. La CFHb doit donc toujours être interprétée en tenant compte de tous les éléments cliniques (type de symptômes, sexe, âge) mais aussi paracliniques (hémogramme au minimum).16,17 La moitié des faux négatifs de la CFHb ont une anémie ferriprive, qui permet de redresser le diagnostic.18 En cas de symptômes sévères, persistants ou s’aggravant, le clinicien ne doit pas être faussement rassuré par une CFHb très faible et, au contraire, référer au gastroentérologue, qui jugera de la pertinence d’investigations supplémentaires, dont la coloscopie. Ponctuellement, dans ce cas, il est possible de refaire un TIFqnt à distance du premier pour guider la stratégie diagnostique sur le résultat du deuxième prélèvement (ce qui est absolument interdit dans le cadre du DO du CCR).19

L’interprétation des résultats de CFHb mesurées par TIFqnt est radicalement différente selon le contexte  : programme de DO du CCR et exploration de patients symptomatiques (tableau). Il est essentiel que la population invitée au dépistage dans le programme de DO et la patientèle à laquelle un TIFqnt est prescrit pour ­l’exploration de symptômes soient bien informées des différences de contexte et d’interprétation. Ce afin d’éviter que le test utilisé pour le DO ne soit considéré comme un «  mauvais test  » donnant le «  mauvais résultat  ».

Propositions d’amélioration

Modalités de prélèvement

L’autoprélèvement (prélèvement de l’échantillon de selles directement par le patient dans le tube dédié, à domicile) permet de préserver l’intégrité de l’échantillon en cas d’acheminement différé (du fait de l’instabilité de l’hémoglobine dans la selle émise). Il a cependant des inconvénients minimes tels que quelques prélèvements non conformes ou des tubes égarés.

Dans le programme français de DO du CCR, le taux de tests non analysables en autoprélèvement est d’environ 5  %. Le programme néerlandais est parvenu à limiter le taux de tests non analysables en autoprélèvement autour de 0,5  % en améliorant la fiche d’instruction aux utilisateurs et en ajoutant une étiquette sur le tube pour préciser l’extrémité à ouvrir.

Nombre de prélèvements

Un seul prélèvement doit devenir la règle avec les TIFqnt.4 Dans plus de la moitié des cas, les médecins généralistes prescrivent trois prélèvements de RSOS, comme c’était la règle autrefois avec les tests au gaïac.13 Leur faible sensibilité et une proportion non négligeable de tests douteux ou non analysables (de 3 à 5  %) justifiaient ces trois prélèvements. De plus, il était classique de motiver la multiplication des prélèvements par le caractère supposé intermittent des saignements digestifs pathologiques. Cependant, sous réserve d’une qualité adéquate de l’échantillon de selles, les TIFqnt sont suffisamment sensibles pour qu’un seul prélèvement soit suffisant, comme c’est déjà le cas dans la plupart des programmes de DO du CCR, dont le français. La grande majorité des études évaluant l’intérêt du tri de patients symptomatiques par TIFqnt reposait sur un seul prélèvement.5 Certes, multiplier les tests augmente les sensibilité et valeur prédictive négative, au prix d’une diminution de spécificité et de valeur prédictive positive. Cependant, une étude espagnole a démontré qu’il était possible d’obtenir les mêmes performances avec un seul test qu’avec deux tests successifs à la condition d’un seuil de positivité inférieur (en l’occurrence un test au seuil de 10 µg/g est équivalent à deux tests au seuil de 20 µg/g).20 C’est ce que nous proposons en suggérant un seuil de 2 µg/g (au lieu des 10 µg/g recommandés au Royaume-Uni). En l’état actuel des connaissances, les inconvénients des tests multiples dépassent les éventuels gains de sensibilité (diminution de spécificité et d’observance, augmentation des délais, des inégalités et des coûts).4

Pistes pour une meilleure efficience sanitaire

En France, aujourd’hui, les patients souffrant de symptômes digestifs ou généraux ne sont pas tous explorés par coloscopie, loin de là, et heureusement  ! Tous les gastroentérologues français n’y suffiraient pas, les symptômes digestifs étant un des motifs les plus fréquents de consultation en médecine générale. Seules sont explorées les personnes favorisées, éduquées, soucieuses de leur santé, colopathes, anxieuses, citadines, résidentes en zone à forte densité médicale (géné­ralistes et gastroentérologues), avec ou sans TIF préalable et quel qu’en soit le résultat, y compris parfois avec un résultat négatif… tous critères éminemment subjectifs et inégalitaires.

Nous proposons quelques pistes pour une meilleure efficience sanitaire à coût réduit  : dérembourser les TIFql, les remplacer par des TIFqnt et élaborer des recommandations nationales pour leur utilisation et leur interprétation. Charge ensuite aux médecins-généralistes et aux gastroentérologues d’apprendre à utiliser ces tests à bon escient et à interpréter leurs résultats en tenant toujours compte du contexte dans lequel ils ont été prescrits.

Les TIFqnt constituent une vraie révolution par rapport aux TIFql pour la RSOS  : un seul prélèvement, donc un moindre coût pour la collectivité, maîtrise de la phase préanalytique, automatisation, diminution très significative des résultats douteux ou non interprétables, homogénéité interlaboratoires des taux de positivité, performances analytiques et cliniques évaluées avec le meilleur niveau de preuve et meilleur ratio coût/efficacité.

Certains laboratoires ont démontré la faisabilité du remplacement des TIFql par un TIFqnt à lecture automatisée sur automate polyvalent de routine. Espérons que, saine concurrence oblige, tous les laboratoires de biologie médicale leur emboîtent le pas. Nos conseils nationaux professionnels (CNP d’hépato-gastroentérologie ou de biologie médicale) pourraient saisir la Haute Autorité de santé pour une évaluation des TIF, l’élaboration de recommandations et l’actualisation de la nomenclature des actes de biologie médicale.

Les seuils décisionnels de CFHb suggérés dans cet article, issus de l’analyse de la littérature, ne sont que des propositions et doivent faire l’objet d’études complémentaires d’évaluation en population française.

Encadre

Recommandations anglaises et suggestions d’adaptation pour la France

Symptômes relevant et ne relevant pas d’une stratégie diagnostique fondée sur la mesure de la concentration d’hémoglobine fécale par test immunochimique quantitatif chez l’adulte d’après les recommandations NICE DG56 (en rouge, modifications proposées pour la France  : ajouts et retraits [parties soulignées]).4

  Relèvent d’un test immunochimique quantitatif (TIFqnt) avant recours au gastroentérologue (si les symptômes persistent au-delà de deux à quatre semaines malgré un traitement symptomatique bien conduit) : 

  • masse abdominale  relève plutôt d’un examen d’imagerie (échographie ou mieux scanner) ;
  • modification du transit ;
  • anémie ferriprive ;
  • patient à partir de l’âge de 40 ans avec amaigrissement inexpliqué et douleur abdominale ;
  • patient âgé de moins de 50 ans avec rectorragies et soit amaigrissement, soit douleur abdominale inexpliqués (examen proctologique et rectosigmoïdoscopie systématiques si le résultat du TIFqnt est négatif) ;
  • patient à partir de l’âge de 50 ans avec rectorragies ou amaigrissement ou douleur abdominale inexpliqués (examen proctologique et rectosigmoïdoscopie systématiques si le résultat du TIFqnt est négatif) ;
  • patient à partir de 60 ans avec anémie, ferriprive ou non ;
  • anémie ferriprive chez la femme âgée de moins de 50 ans non ménopausée.

Doivent être adressés directement au gastroentérologue sans test immunochimique quantitatif préalable :

  • tumeur anale ;
  • tumeur rectale ;
  • ulcération anale ;
  • anémie ferriprive (sauf femme âgée de moins de 50 ans non ménopausée).

  Ne relèvent pas d’un test immunochimique quantitatif mais d’une stratégie diagnostique adaptée : 

  • gastroentérite aiguë ;
  • syndrome douloureux abdominal aigu ;
  • méléna évident.
Références
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2. Denis B, Fraser CG. En pratique courante, quel est le meilleur test pour rechercher du sang dans les selles ? Rev Prat 2021;71(5):543-50.
3. NICE guidance DG30. Quantitative faecal immunochemical tests to guide referral for colorectal cancer in primary care. 26 July 2017. https://www.nice.org.uk/guidance/DG30
4. NICE Diagnostics guidance [DG56]. Quantitative faecal immunochemical testing to guide colorectal cancer pathway referral in primary care. 24 August 2023. https://www.nice.org.uk/guidance/dg56
5. Booth R, Carten R, D’Souza N, et al. Role of the faecal immunochemical test in patients with risk-stratified suspected colorectal cancer symptoms: A systematic review and meta-analysis to inform the ACPGBI/BSG guidelines. Lancet Reg Health Eur 2022;23:100518.
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7. Fraser CG, Benton SC. Detection capability of quantitative faecal immunochemical tests for haemoglobin (FIT) and reporting of low faecal haemoglobin concentrations. Clin Chem Lab Med 2019;57(5):611-6.
8. Hunt N, Rao C, Logan R, et al. A cohort study of duplicate faecal immunochemical testing in patients at risk of colorectal cancer from North-West England. BMJ Open 2022;12(4):e059940.
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