La véritable nature du principe de précaution est fréquemment mal interprétée et sujette à polémiques. Une analyse de l’Académie nationale de médecine précise les conditions de mobilisation de ce principe dans le triple champ de l’activité médicale : médecine de soins individuelle, recherche biomédicale et santé publique. Elle lève des craintes non fondées qui ont agité le monde médical depuis quelques décennies.
Un groupe de travail de l’Académie nationale de médecine*, s’appuyant notamment sur des auditions de personnalités d’horizons divers et des notions juridiques et d’épistémologie scientifique, a mis en lumière un défaut d’interprétation, communément répandu, sur la véritable nature du principe de précaution.1 Cette analyse a également permis d’en préciser les conditions de mobilisation dans le triple champ de l’activité médicale – médecine de soins individuelle, recherche biomédicale et santé publique – et de lever des craintes non fondées qui ont agité le monde médical depuis bientôt trente ans.
Extension du champ d’application du principe de précaution
Historiquement, le principe de précaution apparaît sur la scène internationale à l’occasion du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992.
En France, deux étapes principales consacrent son avènement. La première répond à la loi Barnier de 1995 qui définit « le principe de précaution, selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées, visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable ». La deuxième étape, en 2005, correspond à l’introduction du principe de précaution dans la loi constitutionnelle relative à l’environnement. L’article 5 du texte, composé de neuf articles, reprend les grandes lignes de la loi de 1995 en impliquant, de plus, les autorités publiques. Mais si la loi Barnier ne concerne que l’environnement, la charte présente un champ d’application plus large : son article 1 énonçant que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » établit un lien implicite entre la préservation de l’environnement et la protection de la santé, entraînant une extension du champ d’application du principe de précaution.
En France, plusieurs facteurs ont, en outre, contribué au transfert du principe de précaution de l’environnement à la santé :
En France, deux étapes principales consacrent son avènement. La première répond à la loi Barnier de 1995 qui définit « le principe de précaution, selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées, visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable ». La deuxième étape, en 2005, correspond à l’introduction du principe de précaution dans la loi constitutionnelle relative à l’environnement. L’article 5 du texte, composé de neuf articles, reprend les grandes lignes de la loi de 1995 en impliquant, de plus, les autorités publiques. Mais si la loi Barnier ne concerne que l’environnement, la charte présente un champ d’application plus large : son article 1 énonçant que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » établit un lien implicite entre la préservation de l’environnement et la protection de la santé, entraînant une extension du champ d’application du principe de précaution.
En France, plusieurs facteurs ont, en outre, contribué au transfert du principe de précaution de l’environnement à la santé :
- les grandes crises sanitaires qui ont secoué le pays à la fin du siècle dernier (vache folle, sang contaminé, amiante…) ;
- des décisions prises à l’échelle de l’Europe, notamment celle du Conseil européen réuni à Nice en 2000, arrêtant l’extension du principe au domaine sanitaire ;
- la catastrophe de Tchernobyl ;
- la Charte de l’environnement dans son intégralité.
Étayer la réalité du principe de précaution
La réalité du principe de précaution tient en trois points essentiels.
Définitions des termes employés
Il faut, dans un premier temps, s’attacher à ce que parler veut dire. Autrement dit s’accorder sur le sens précis des termes employés. Par exemple, il s’agit de distinguer danger et risque.
Le danger est une menace pour l’intégrité d’une personne ou d’un bien.
Le risque est la probabilité ou la plausibilité de survenue d’un dommage par exposition à un danger.
La notion d’exposition est bien connue en médecine.
La probabilité est l’évaluation quantifiée de la fréquence de survenue d’un dommage.
La plausibilité, fondée sur une présomption forte, se rapporte à un possible non quantifiable.
Le principe de précaution, en raison même des conditions d’incertitude dans lesquelles il est invoqué, est concerné par la plausibilité.
La prudence est une disposition d’esprit, tandis que la précaution est une mesure physique destinée à éviter un mal ou en atténuer l’effet.
Le danger est une menace pour l’intégrité d’une personne ou d’un bien.
Le risque est la probabilité ou la plausibilité de survenue d’un dommage par exposition à un danger.
La notion d’exposition est bien connue en médecine.
La probabilité est l’évaluation quantifiée de la fréquence de survenue d’un dommage.
La plausibilité, fondée sur une présomption forte, se rapporte à un possible non quantifiable.
Le principe de précaution, en raison même des conditions d’incertitude dans lesquelles il est invoqué, est concerné par la plausibilité.
La prudence est une disposition d’esprit, tandis que la précaution est une mesure physique destinée à éviter un mal ou en atténuer l’effet.
Procédure en trois temps
La définition générale du principe de précaution fait de lui un mode de gestion des risques en situation d’incertitude. L’évaluation des risques présuppose que l’on a identifié et caractérisé le danger. En réalité, le recours au principe de précaution implique la mobilisation d’une procédure qui comporte trois volets : une disposition d’esprit, un raisonnement et une mesure de protection dite de précaution.
L’état d’esprit est la prudence, qui se manifeste par la capacité de réfléchir à la portée de ses actes ou aux conséquences d’une configuration particulière dans laquelle on a décelé un danger.
Le raisonnement logique de précaution consiste à émettre des hypothèses, d’une part sur les dommages qui pourraient advenir et d’autre part sur les mesures susceptibles d’être appliquées. Les hypothèses sur les dommages éventuels qui résulteraient d’une situation de fait ou d’une action projetée doivent être testées scientifiquement afin de leur attribuer un degré plus ou moins élevé de plausibilité. L’idéal, à l’évidence, serait d’aboutir à une probabilité chiffrée qui ferait passer de l’univers de la précaution, domaine de l’incertain, à l’univers de la prévention où l’on dispose de données quantifiées. Les hypothèses sur les mesures destinées à éviter, limiter ou atténuer le dommage, en régime d’incertitude, font également l’objet d’une évaluation, selon les critères des avantages et des inconvénients, regroupés plus communément sous l’expression balance bénéfices-risques. Dans leur activité, les praticiens sont fréquemment confrontés à des dommages établis dont on ne connaît pas nécessairement la cause réelle (par exemple, certaines manifestations consécutives à l’administration de vaccins). D’où l’importance d’entreprendre des études pour mettre à jour l’origine des dommages, ce qui est le propre d’une démarche scientifique traditionnelle, et projeter ensuite des hypothèses sur les mesures de précaution qui seront évaluées selon la balance avantages-inconvénients.
La mesure physique de précaution est destinée à éviter ou à limiter le risque plausible. Cette mesure doit tenir compte, évidemment, de l’acceptabilité et rester proportionnée et surtout révisable, dans le sens où la procédure de raisonnement décrite est dynamique ; en effet, l’activité de recherche destinée à affiner le degré de plausibilité des hypothèses de survenue de dommages doit en permanence tendre à réduire l’incertitude.
L’état d’esprit est la prudence, qui se manifeste par la capacité de réfléchir à la portée de ses actes ou aux conséquences d’une configuration particulière dans laquelle on a décelé un danger.
Le raisonnement logique de précaution consiste à émettre des hypothèses, d’une part sur les dommages qui pourraient advenir et d’autre part sur les mesures susceptibles d’être appliquées. Les hypothèses sur les dommages éventuels qui résulteraient d’une situation de fait ou d’une action projetée doivent être testées scientifiquement afin de leur attribuer un degré plus ou moins élevé de plausibilité. L’idéal, à l’évidence, serait d’aboutir à une probabilité chiffrée qui ferait passer de l’univers de la précaution, domaine de l’incertain, à l’univers de la prévention où l’on dispose de données quantifiées. Les hypothèses sur les mesures destinées à éviter, limiter ou atténuer le dommage, en régime d’incertitude, font également l’objet d’une évaluation, selon les critères des avantages et des inconvénients, regroupés plus communément sous l’expression balance bénéfices-risques. Dans leur activité, les praticiens sont fréquemment confrontés à des dommages établis dont on ne connaît pas nécessairement la cause réelle (par exemple, certaines manifestations consécutives à l’administration de vaccins). D’où l’importance d’entreprendre des études pour mettre à jour l’origine des dommages, ce qui est le propre d’une démarche scientifique traditionnelle, et projeter ensuite des hypothèses sur les mesures de précaution qui seront évaluées selon la balance avantages-inconvénients.
La mesure physique de précaution est destinée à éviter ou à limiter le risque plausible. Cette mesure doit tenir compte, évidemment, de l’acceptabilité et rester proportionnée et surtout révisable, dans le sens où la procédure de raisonnement décrite est dynamique ; en effet, l’activité de recherche destinée à affiner le degré de plausibilité des hypothèses de survenue de dommages doit en permanence tendre à réduire l’incertitude.
Éviter le précautionnisme
Le dévoiement du principe de précaution, sous forme d’un « précautionnisme » consiste à appliquer une mesure de précaution inappropriée, souvent sous l’empire de la précipitation ou de l’émotion, devant le signalement d’un événement indésirable sans avoir cherché à en préciser la fréquence et sans avoir évalué la mesure en question selon la balance avantages-inconvénients.
Les exemples de précautionnisme, en France, ne sont pas rares :
Les exemples de précautionnisme, en France, ne sont pas rares :
- pour mémoire, l’arrêt de la vaccination contre l’hépatite B en 1998 au motif d’une suspicion de lien avec l’apparition de scléroses en plaques ;
- plus récemment, la suspension par la Haute Autorité de santé (HAS) du vaccin AstraZeneca contre le Covid-19, à la suite de l’émergence d’un nombre réduit de complications de type thromboembolique, malgré l’avis de l’Agence européenne du médicament qui confirmait que les bénéfices du vaccin surpassaient les éventuels risques associés. La décision de suspension a été prise au nom de la précaution, sans que l’on ait invoqué le principe de précaution, au motif de quelques cas individuels et au détriment du bénéfice collectif. Finalement, la HAS a ultérieurement décidé de limiter l’utilisation de ce vaccin aux patients âgés de plus de 55 ans. Cet épisode est l’illustration du dévoiement du principe de précaution qui n’a jamais été invoqué en tant que tel et qui a été réduit à une mesure de précaution sans aucune réflexion en amont.
État actuel du principe de précaution dans le champ de l’activité médicale et implications juridiques
La diffusion rapide du principe de précaution et son inscription dans la Constitution ont ravivé la menace d’une judiciarisation de l’activité médicale et accru les inquiétudes de ceux qui pensent que risque et incertitude sont indissociables de l’exercice médical. Les mêmes soutiennent que le principe de précaution est une exigence de risque zéro, notamment pour la recherche, alors que toute activité scientifique suppose une dose de transgression. En réalité, l’expérience et le recul n’ont pas confirmé les craintes des opposants en raison de trois notions essentielles :
- l’invocation du principe de précaution contre des personnes privées est exclue, car le principe de précaution ne concerne que les autorités publiques ;
- le principe de précaution n’impose pas un résultat. Il protège celui qui en respecte les formes ;
- le principe de précaution n’entrave pas la recherche. Il tend d’ailleurs à la favoriser par le souci de repousser l’incertitude et d’accéder à des données chiffrées des risques.
- la médecine de soins individuelle n’est pas du ressort du principe de précaution, qui concerne exclusivement les autorités publiques. Cependant, les caractéristiques du principe de précaution dans son acception de norme comportementale générale de précaution figurent toutes dans le code de déontologie médicale. Le principe de précaution peut prêter à des dévoiements ponctuels, comme l’effet « parapluie » pour la prescription abusive d’examens d’investigation ou de traitements préventifs ;
- la recherche biomédicale n’est pas non plus concernée par le principe de précaution, même en cas de transgression manifeste. En revanche, elle est exposée à un « précautionnisme » souvent d’origine administrative qu’il faut dénoncer et combattre.
- en revanche, la santé publique est le domaine électif de mise en œuvre du principe de précaution, la protection des populations étant du ressort de l’État.
Apprendre à maîtriser le principe de précaution
La santé publique est un domaine d’application du principe de précaution, dans la mesure où l’État a pour mission régalienne de protéger les populations. En revanche, les praticiens de médecine individuelle et les chercheurs en sciences biomédicales ne sont pas concernés, à ce jour, par le principe de précaution, celui-ci étant, par essence, impliqué naturellement dans le préalable à toute action médicale : « primum non nocere »…
* Ont participé à ce groupe de travail : Renaud Denoix de Saint Marc, Alain C. Masquelet, Jean-François Mattei, Gérard Reach, Sylvain Rigal, Jacques de Saint-Julien.
Référence
1. Masquelet AC, de Saint-Julien J, Denoix de Saint-Marc R, Mattei JF, Reach G, Rigal S. Le principe de précaution en médecine : vingt ans après. Bull Ac Nat Med 2024;208(6):772-80. https://vu.fr/ZKnUl