Les appels à réduire les prescriptions d’anxiolytiques et hypnotiques dans les troubles anxieux et du sommeil ont eu un effet paradoxal : l’augmentation des prescriptions hors AMM de quétiapine à faibles doses dans ces indications. Pourtant, son profil de sécurité est loin d’être meilleur… 

Une forte croissance des prescriptions hors AMM

La mise sur le marché des antipsychotiques de seconde génération (AP2G) a entraîné une très nette augmentation du nombre de personnes exposées à ces molécules en population générale, en grande partie liée à une forte croissance des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM).1

L’évolution récente des prescriptions de quétiapine est paradigmatique de l’usage hors AMM des antipsychotiques. Les indications de cet AP2G sont limitées aux pathologies psychiatriques sévères, schizophrénie et trouble bipolaire, avec des posologies recommandées allant de 300 à 800 mg selon les indications. Or, dans la plupart des pays, on observe depuis quelques années une augmentation des prescriptions de quétiapine à faible posologie (25 - 50 mg) à visée anxiolytique ou hypnotique, en particulier chez les personnes âgées.2 Cette augmentation est particulièrement marquée en médecine générale.

Un rapport bénéfice/risque défavorable

Ces pratiques de prescription se sont répandues alors que, contrairement aux représentations des prescripteurs, la balance bénéfice/risque de la quétiapine à faibles doses est défavorable. Concernant les bénéfices, un effet indésirable est ici utilisé à visée thérapeutique. En effet, la quétiapine fait partie des AP2G les plus sédatifs. Cet effet indésirable est souvent source de plainte quand cette molécule est prescrite dans ses indications conformes à l’AMM, comme la dépression bipolaire.

Une revue ombrelle synthétisant 25 revues systématiques et méta-analyses a exploré l’efficacité des antipsychotiques dans les troubles anxieux.3 La plupart des essais thérapeutiques sont financés par l’industrie et sont de qualité médiocre.4 Concernant la quétiapine, le trouble anxieux généralisé (TAG) est la seule indication avec un niveau de preuve satisfaisant. Il n’y aucune preuve d’efficacité de la quétiapine dans les autres troubles anxieux.

Quant aux troubles du sommeil, une méta-analyse5 suggère que la qualité du sommeil est supérieure avec la quétiapine (≤ 300 mg) comparée au placebo dans le TAG, la dépression ou chez les personnes sans trouble psychiatrique, mais la plupart des essais ont des biais importants, et trois sur quatre sont financés par l’industrie ; l’amélioration de la qualité du sommeil n’est significative qu’à partir de 50 mg.

En revanche, les risques de la quétiapine sont bien documentés, y compris lorsqu’elle est prescrite à faibles doses dans des indications hors AMM. Des revues systématiques et méta-analyses ont montré un risque augmenté de prise de poids, hypertriglycéridémie, hyperglycémie et hyperprolactinémie sous quétiapine par rapport au placebo.3,5 Une étude incluant toute la population danoise retrouve chez des personnes initiant de faibles doses de quétiapine (25 - 50 mg) un risque augmenté d’hypertriglycéridémie et d’HbA1c (chez les personnes dont le taux était normal au départ).6 Pourtant, un bilan métabolique est prescrit chez moins de 10 % des usagers. Ce faible taux de surveillance métabolique a été confirmé par un audit de 270 médecins généralistes néo-zélandais, révélant que seulement 2 % des usagers de quétiapine bénéficient d’un bilan complet, et 30 % d’aucun bilan.7

Des raisons multiples à l’usage hors AMM

Comme souvent, les raisons de ces pratiques de prescriptions hors AMM sont multiples. La banalisation de l’usage de quétiapine dans les troubles anxieux et du sommeil est favorisée par son profil d’effets indésirables. Sa très bonne tolérance extrapyramidale et la sous-estimation des risques métaboliques peut générer un sentiment d’inocuité.1,6,7,8 La quétiapine à faibles doses peut ainsi être considérée comme moins risquée que les molécules anxiolytiques et hypnotiques avec AMM, notamment concernant le risque de dépendance.8

Cet usage hors AMM est aussi très clairement favorisé par des stratégies marketing des laboratoires pharmaceutiques via les méthodes usuelles : réalisation d’études exploratoires sur des indications hors AMM, rédaction d’articles sur ces indications avec des scientifiques prête-noms, formations sponsorisées, etc.4 Certaines recommandations s’appuyant sur ces études exploratoires de très faible qualité méthodologique peuvent contribuer à la diffusion de ces pratiques, avec souvent des liens d’intérêts discutables concernant les auteurs des recommandations.3,4

Les prescriptions hors AMM des AP2G concernent le plus souvent des indications pour lesquelles plusieurs molécules ont déjà obtenu une AMM. Pour des raisons essentiellement commerciales, celle-ci n’a pas été demandée que ce soit au niveau international ou dans un pays donné. Le cas de la quétiapine à faibles doses dans l’anxiété et les troubles du sommeil est particulier puisque cette indication n’existe pour aucun autre AP2G et est hors AMM quel que soit le pays considéré. Le scénario le plus proche concerne l’usage d’antipsychotiques de 1re génération ayant l’AMM dans ces indications comme la cyamémazine, la lévomépromazine ou, de manière très spécifiquement française, le sulpiride. Pour mémoire, le rapport bénéfice/risque de ces prescriptions d’AP1G est également défavorable en l’absence de trouble psychiatrique sévère.

Quelles implications pour la pratique clinique ?

Les prescripteurs, en particulier en médecine générale, sont de plus en plus soumis à des injonctions contradictoires, avec d’une part une augmentation de la prévalence des troubles psychiques dans leur patientèle, et d’autre part une pression croissante à réduire les prescriptions d’anxiolytiques et hypnotiques avec AMM. L’accès aux thérapies non médicamenteuses étant le plus souvent très restreint et complexe, la recherche d’alternatives médicamenteuses est donc tout à fait légitime. Cependant, le mieux est souvent l’ennemi du bien, et la diabolisation des benzodiazépines peut entraîner une minimisation des risques des autres psychotropes. Les signaux concernant l’augmentation des prescriptions de quétiapine à faibles doses sont réellement préoccupants du fait du profil d’effets indésirables métaboliques de cette molécule. Sa prescription devrait être réservée aux personnes souffrant de pathologies psychiatriques sévères ou résistantes aux traitements conventionnels.

Références
1. Verdoux H, Tournier M, Bégaud B. Antipsychotic prescribing trends: a review of pharmaco-epidemiological studies.  Acta Psychiatr Scand 2010;121;4-10.
2. Højlund M, Rasmussen L, Olesen M, et al. Who prescribes quetiapine in Denmark?  Br J Clin Pharmacol 2022;88(9):4224-9.
3. Garakani A, Buono FD, Salehi M, et al. Antipsychotic agents in anxiety disorders: An umbrella review.  Acta Psychiatr Scand 2024;149, 295-312.
4. Grabitz P, Saksone L, Schorr SG, et al. Research encouraging off-label use of quetiapine: A systematic meta-epidemiological analysis.  Clin Trials 2024;21(4):17407745231225470.
5. Lin CY, Chiang CH, Tseng MM, et al. Effects of quetiapine on sleep: A systematic review and meta-analysis of clinical trials.  Eur Neuropsychopharmacol 2023;67;22-36.
6. Højlund M, Støvring H, Andersen K, et al. Impact of low-dose quetiapine-use on glycosylated hemoglobin, triglyceride and cholesterol levels.  Acta Psychiatr Scand 2023;147(1);105-16.
7. Huthwaite M, Tucker M, McBain L, et al. Off label or on trend: a review of the use of quetiapine in New Zealand.  N Z Med J 2018;131(1474);45-50.
8. Kelly M, Dornan T, Pringsheim T. The lesser of two evils: a qualitative study of quetiapine prescribing by family physicians.  CMAJ Open 2018;6(2):e191-6.

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