La Guyane française est une zone d’enzootie rabique. La transmission du virus se fait par morsure, griffure ou léchage sur peau ou muqueuse lésée par les mammifères terrestres (exceptés les petits rongeurs) et volants (chauves-souris).1,2
En Guyane, le chien est le « mordeur » principal, suivi par les chauves-souris.3,4 Ces dernières constituent le principal réservoir du virus de la rage en Guyane. Sur les 108 espèces présentes sur l’ensemble du territoire, y compris le littoral (fig. 1), deux sont hématophages (vampires), mais seul Desmodus rotundus (vampire commun) est responsable de morsures humaines. Cette chauve-souris s’attaque également à d’autres mammifères (chiens, chats, singes, etc.), qui deviennent à leur tour vecteurs du virus.
Les morsures nocturnes de chauves-souris vampires surviennent fréquemment dans les carbets (abris ouverts). L’usage de moustiquaires reste la principale mesure préventive, même si elles ne garantissent pas une protection absolue, surtout lorsqu’elles sont en contact direct avec la peau : des morsures peuvent survenir à travers la moustiquaire, notamment quand celle-ci est étroite.
En carbet, toute lésion cutanée inexpliquée constatée au réveil, avec présence de sang frais sans cause apparente (le saignement abondant étant lié à l’injection par l’animal de substances anticoagulantes), doit être systématiquement considérée comme suspecte1,5,6 et évaluée par le centre antirabique (fig. 2).
La prévention pré- et post-exposition repose sur un réseau antirabique structuré, coordonné par le centre antirabique de Guyane, situé au centre hospitalier de Cayenne.
La rage humaine en Guyane n’est pas un événement historique isolé : trois nouveaux cas ont été confirmés en 2024 chez des orpailleurs mordus par des chauves-souris vampires, illustrant la persistance du risque.8,9
La rage est toujours mortelle une fois les symptômes apparus, mais toujours évitable si la prise en charge est rapide et adaptée.2,10
Conduite à tenir en cas d’exposition
En cas de morsure, griffure ou léchage d’une muqueuse ou d’une peau lésée par un animal sauvage ou domestique, différents types de mesures sont à mettre en place.
Mesures non spécifiques
Dès la constatation d’une morsure par un mammifère domestique ou sauvage, « surveillable » ou non, il s’agit de procéder ainsi :
- lavage de la plaie à l’eau et au savon pendant quinze minutes et désinfection ;
- prescription d’antibiotiques si nécessaire ; l’association amoxicilline-acide clavulanique est recommandée, la doxycycline étant à réserver aux cas d’allergie ou de contre-indications. Les morsures de chauves-souris s’infectent exceptionnellement et ne justifient donc pas d’antibioprophylaxie systématique ;
- vérification de la vaccination antitétanique, avec injection de rappel si besoin.
Mesures spécifiques
Au centre antirabique, la conduite à tenir (administration d’immunoglobulines et vaccination, vaccination seule ou simple surveillance) est déterminée au cas par cas par l’infectiologue responsable, en fonction du contexte.
Informations à recueillir
Quatre éléments permettent de décider du protocole de prise en charge :
- le type de lésion, son siège et son grade (classification selon l’Organisation mondiale de la santé [OMS]) ;
– grade I : contact, alimentation ou léchage sur peau intacte ;
– grade II : morsures/griffures superficielles sans saignement initial ;
– grade III : morsures/griffures avec saignement initial, léchage sur muqueuse ou peau lésée, ou exposition à une chauve-souris ;
- l’espèce de l’animal mordeur et sa provenance ;
- les circonstances de l’incident et le comportement de l’animal (changement récent ? agressivité inhabituelle et constante ?) ;
- les possibilités de surveillance de l’animal :
– animal domestique (chien/chat) connu ou localisé ;
– animal sauvage, semi-domestiqué ou capturable (à noter que certains animaux peuvent être errants mais rattachés à un territoire fixe et régulièrement vus par les habitants du quartier : cette information est importante car ces animaux sont donc considérés comme « surveillables ») ;
– animal mort ou abattu : la tête du cadavre doit être récupérée via la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt et la Direction des services vétérinaires (DAAF-DSV) pour analyse dans le centre national de référence de l’encéphale de l’Institut Pasteur.
Protocoles vaccinaux
Selon l’OMS, les morsures de chauves-souris sont d’emblée considérées comme des expositions de grade III non « surveillables » et justifient systématiquement une sérovaccination (immunoglobulines et vaccination antirabique)[tableau]. 2,10,11
Des protocoles vaccinaux plus courts que ceux historiquement décrits sont désormais appliqués.
La vaccination postexposition par voie intradermique consiste en une injection sur deux sites aux jours 0, 3 et 7. Cette voie n’est pas recommandée pour les patients sous chloroquine, corticoïdes, immunosuppresseurs ou immunomodulateurs en raison du risque d’interactions médicamenteuses et est difficilement réalisable chez les enfants.
Pour la voie intramusculaire, il existe deux protocoles possibles :
- le protocole Essen réduit, avec une injection aux jours 0, 3, 7 et 14 (la dernière injection pouvant être réalisée entre le jour 14 et le jour 28) ;
- le protocole traditionnel Zagreb, qui prévoit deux injections le jour 0, puis une injection aux jours 7 et 21.
Les patients immunodéprimés reçoivent le protocole Essen complet, avec une injection aux jours 0, 3, 7, 14 et 28.
Si le patient a déjà reçu au moins deux doses de vaccin avant l’exposition, que ce soit dans le cadre d’une prophylaxie préexposition ou postexposition antérieure, il n’est pas nécessaire d’administrer des immunoglobulines, même en cas d’exposition de grade III. Dans ce cas, seul un rappel vaccinal est indiqué selon le protocole intradermique, avec une sérologie réalisée quinze jours après la dernière dose.10,11
2. Organisation mondiale de la santé. Principaux repères de l’OMS sur la rage. Juin 2024.
3. Roman-Laverdure B, Cebe M, Djossou F. Rapport d’activité du centre antirabique du centre hospitalier de Cayenne (CHC) de l’année 2024. Décembre 2024.
4. Rosieres X, Foures F, Troyano-Groux A, et al. Brève. Cas de rage chez un chien en Guyane. Agence nationale de sécurité sanitaire. Juin 2016.
5. Charles-Dominique P, Brosset A, Jouard S. Les chauves-souris en Guyane. Revue d’écologie (La Terre et La Vie) 2002;57(3-4);359.
6. Epelboin L, Abboud P, Abdelmoumen K, et al. Overview of infectious and non-infectious diseases in French Guiana in 2022. Med Trop Sante Int 2023;17;3(1):mtsi.v3i1.2023.308.
7. Centre national de référence de la rage, Institut Pasteur, Paris. Bulletin n° 43. Année 2024. Bulletin sur l’épidémiologie et la prophylaxie de la rage humaine en France. 2024.
8. Premières journées interrégionales de veille sanitaire des Antilles Guyane. 12 et 13 déc. 2008. Survenue d’un cas autochtone de rage humaine en Guyane : recherche et prise en charge des contacts à risque. Mai-juin 2008.
9. Deschamps N, Montagnac C, Nasri A, et al. Investigation et démarche diagnostique de cas de rage en Guyane. Revue neurologique 2025;181(S):S174.
10. Haute Autorité de santé. Vaccination contre la rage en prophylaxie post-exposition. Septembre 2018.
11. Haut Conseil de la santé publique. Avis relatif au traitement post-exposition de la rage. Juillet et septembre 2020.