La consommation de poissons peut entraîner de multiples pathologies : il faut pouvoir distinguer les mécanismes initiaux pour une prise en charge adéquate. Les symptômes observés sont-ils allergiques ou non ? La recherche du facteur déclenchant, la chronologie, la nature du poisson ingéré et les signes cliniques peuvent orienter le diagnostic.
Réactions non allergiques
La scombroïdose est une intoxication alimentaire causée par la consommation de poisson mal conservé, qu’il soit frais, fumé ou en conserve (surtout thon, maquereau, bonite, sardines, anchois…). La rupture de la chaîne du froid a pour conséquence la transformation excessive de l’histidine en histamine, sous l’action de bactéries. La décharge d’histamine entraîne un syndrome caractéristique, survenant généralement dans les minutes ou dans l’heure qui suit le repas : sensation de malaise avec picotements ou brûlures de la langue, céphalées, palpitations, anxiété, puis flush urticariforme du visage et du tronc. Des symptômes digestifs tels que crampes abdominales, nausées, vomissements, diarrhées et macroglossie sont fréquemment associés. Bien qu’il s’agisse généralement d’un syndrome bénin disparaissant rapidement (2 à 5 h pour les manifestations cutanées ; 3 à 36 h pour les autres symptômes), quelques cas graves sporadiques avec exacerbation d’asthme ont été décrits. Le traitement repose sur des antihistaminiques, éventuellement associés à une corticothérapie. Il convient de bien expliquer au patient qu’il ne s’agit pas d’une allergie mais bien d’une intoxication, ne contre-indiquant pas la consommation ultérieure de poisson. De plus, il ne faut pas confondre cette intoxication à l’histamine avec l’intolérance à l’histamine liée à un déficit enzymatique en diaminoxydase (DAO).
La ciguatera est une intoxication due à l’ingestion de poissons tropicaux ayant consommé des algues toxiques. Les symptômes surviennent dans les heures qui suivent la consommation du poisson. Le prurit est prédominant ; peuvent s’y associer des manifestations neurologiques et digestives.
Enfin, l’anisakiase est causée par la consommation de poisson cru, mariné ou insuffisamment cuit infesté par le parasite Anisakis simplex, ou « ver de hareng ». Très rare, elle s’observe surtout dans les pays du sud de l’Europe (Espagne, Italie…). Elle se manifeste par une urticaire, des douleurs abdominales, un angiœdème.
Réactions allergiques : quels types ? (figure)
Il faut distinguer les formes IgE-médiées (avec un risque anaphylactique) des formes non IgE-médiées dont le SEIPA (syndrome d’entérocolite induit par les protéines alimentaires) et l’œsophagite à éosinophiles.
En Europe, les poissons sont classés à la troisième place dans les aliments les plus souvent impliqués dans le SEIPA, après le lait et l’œuf. Le cabillaud semble le poisson le plus incriminé dans le SEIPA aux poissons chez l’enfant. Dans sa forme aiguë, cette pathologie s’exprime par des crises de vomissements en jet dans les 1 à 3 heures suivant l’ingestion du poisson (encadré 1). La consommation quotidienne de l’aliment conduit à l’évolution vers la forme chronique, avec des vomissements intermittents et une diarrhée profuse et sanglante, responsables d’une faible prise de poids (régressant sous régime d’éviction).
L’œsophagite à éosinophiles est une pathologie chronique liée à l’inflammation de la muqueuse œsophagienne, diagnostiquée par endoscopie. Les signes d’alerte sont des périodes de vomissements post-prandiaux, un RGO rebelle aux IPP. La prise en charge multidisciplinaire (gastro-entérologue et allergologue) est nécessaire pour établir les régimes d’éviction et les traitements adjuvants.
Focus sur les allergies IgE-médiées
L’allergie IgE-médiée apparaît classiquement dans les quelques minutes à 2 heures après le contact ; elle peut s’exprimer sous une forme modérée (lésions locales à type d’œdème des lèvres, urticaire) ou évoluer vers une anaphylaxie. Le contact avec la vapeur de cuisson peut déclencher une crise d’asthme.
Au niveau mondial, la prévalence est conditionnée par les habitudes alimentaires et la consommation facilitée, sur les zones côtières, par la pêche locale :
- Israël : 0,001 %
- Allemagne : 0,2 %
- États-Unis : 0,3 à 0,9 %
- Islande : 1,3 %
- Philippines : 2,3 %
- Norvège : 3 %
- Finlande : 7 %
Des conditions de déclenchement variées
Différentes voies d’exposition aux allergènes de poissons sont décrites :
- Par ingestion, lors d’un repas comportant du poisson cru ou cuit qui fait partie des 14 allergènes à déclaration obligatoire.
- Lors de contact par inhalation de vapeur de cuisson transportant des allergènes non détruits par la chaleur. Ce phénomène peut se rencontrer chez les particuliers mais aussi dans le cadre professionnel (asthme et rhinite) pour les métiers de bouche (poissonniers) et de l’industrie agro-alimentaire.
- Par contact cutané après préparation du poisson : dermatite de contact aux protéines alimentaires plutôt dans le cadre de pathologies professionnelles (métiers de la restauration et de l’alimentation et activités en rapport avec les animaux). Bien que de mécanisme IgE-médié, l’allergie s’exprime par un eczéma des mains plutôt chronique si le contact est quotidien, avec extension des lésions cutanées vers les poignets et les avant-bras. Cette dermite peut être associée à une urticaire de contact ou à une rhinite si la protéine est diffusée dans l’air. Le diagnostic se fait par prick-tests et non patchs-tests. Les aliments responsables de cette dermite peuvent être consommés sans problème sous forme cuite par les personnes concernées.
Les allergènes en cause
Les parvalbumines sont des allergènes majeurs responsables de la plupart des réactions allergiques IgE-médiées (encadré 2 et tableau 1).
D’autres allergènes « mineurs » existent, dont certains sont thermorésistants (collagène de poisson, responsable de 39 % des allergies aux poissons au Japon et de 21 % en Australie ; tropomyosine) et d’autres thermosensibles (bêta-énolase). Autres allergènes moins connus : aldolase A et glycéraldéhyde- 3 -phosphate deshydrogénase (GAPDH).
Quel bilan allergologique ?
L’interrogatoire doit spécifier au mieux la chronologie des événements, la nature des poissons consommés et leur mode de préparation.
Les tests cutanés en prick se réalisent avec l’aliment natif. Un dosage des IgE spécifiques (pas plus de 5 aliments par prescription) complète le bilan initial. Cependant, à ce jour, les possibilités de dosages sont retreintes :
- IgE anti-parvalbumine Gad c1 (code f426) ;
- IgE anti-parvalbumine Cyp c1 (carpe) ;
- IgE anti-morue (f3), IgE anti-thon (f40), IgE anti-saumon (f41), etc.
Les puces ALEX et ISAC sont réservées au bilan hospitalier. Le test d’activation des basophiles reste pour l’instant utilisé à visée de recherche.
Le test de provocation orale (TPO) est indiqué notamment en cas de discordance entre les tests cutanés, biologiques et la clinique.
Faut-il ensuite recommander l’éviction totale de tous les poissons ou en autoriser certaines espèces, le saumon et le thon étant considérés comme les plus pauvres en bêta-parvalbumine ? Le TPO permet d’infirmer ou confirmer l’autorisation de les consommer malgré une allergie prouvée à d’autres poissons.
Aussi dans les cosmétiques et le vin
Le collagène de poissons peut être intégré dans des produits cosmétiques : crèmes antirides, produits capillaires… La colle de poisson est utilisée aussi pour la clarification des vins blancs et rosés (procédé qui permet d’améliorer l’aspect visuel et la stabilité du vin). Les consommateurs allergiques aux poissons peuvent donc avoir des réactions allergiques à ces colles.
1. Critères diagnostiques d’un SEIPA aigu
Aigu = le critère majeur et au moins 3 critères mineurs
Critère majeur
- Vomissements 1 à 4 heures après l’ingestion de l’aliment suspect et absence de signes cutanés ou respiratoires classiques de l’allergie IgE-médiée
Critères mineurs
- Deuxième épisode de vomissements répétés après avoir consommé le même aliment suspect
- Vomissements répétés 1 à 4 heures après avoir consommé un aliment différent
- Léthargie
- Pâleur
- Recours au service d’urgence
- Recours à une réhydratation intraveineuse
- Diarrhée dans les 24 heures
- Hypotension
- Hypothermie
2. Allergènes présents dans les poissons
Les parvalbumines sont des allergènes majeurs responsables de la plupart des réactions allergiques IgE-médiées. On distingue :
- le parvalbumines alpha prédominant dans les poissons cartilagineux (requins, raies) ;
- les parvalbumines bêta présentes dans tous les poissons osseux (morue, saumon, hareng, poissons plats, etc.). Elles font réagir environ 90 % des allergiques au poisson. Leur concentration dans les muscles est plus marquée chez les poissons à chair blanche comparativement à ceux à chair rouge. Le mode de préparation du poisson (cru, frit ou cuit vapeur) a également une incidence sur le taux de bêta-parvalbumine (voir tableau 2). Ces allergènes sont responsables de réactions croisées entre les différentes espèces de poissons en raison de leur grande homologie structurelle, mais aussi avec la bêta-parvalbumine de la viande de crocodile, de grenouille ou de poulet. Elles sont thermorésistantes, mais la mise en conserve avec cuisson à haute pression pendant 7 h en diminue le potentiel allergénique. La bêta-parvalbumine de la morue (première identifiée) est utilisée comme base dans le cadre du bilan biologique.
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