C’est près d’une vingtaine de patients au total pris en charge à Paris, en seulement quelques semaines ; 8 d’entre eux ont été pris en charge à l’hôpital Trousseau, dont 6 en service de réanimation. Le Dr Sandrine Jean, praticien hospitalier en réanimation à l’hôpital Trousseau, a bien voulu répondre à nos questions.
La Revue du Praticien : Quels tableaux cliniques avaient ces enfants ?
Dr Sandrine Jean : Au total 8 enfants ont été pris en charge à Trousseau, dont 6 dans notre réanimation. Ces enfants avaient entre 6 mois et 15 ans ; le très jeune âge de certains, ou l’âge plus tardif d’autres (plus de 5 ans), n’est déjà en soi pas typique dans cette pathologie. Le tableau clinique était marqué chez tous par une forte fièvre et un syndrome inflammatoire majeur ; 5 des 6 patients avaient une atteinte cardiaque. Elle était quasi systématique, chez les enfants les plus grands, ce qui est inhabituel dans le Kawasaki. Ces tableaux de myocardites étaient atypiques, avec la particularité de très bien réagir aux immunoglobulines et de récupérer vite, les techniques de réanimation conventionnelle étant suffisantes.
D’autres enfants ont été pris en charge en pédiatrie générale pour des tableaux digestifs, 2 d’entre eux avaient même des tableaux pseudo-chirurgicaux conduisant à une laparotomie.
Qu’elle que soit le tableau inaugural, le dénominateur commun de tous ces enfants restait la fièvre élevée et le syndrome inflammatoire marqué, comme on le voit dans les maladies dysimmunitaires très inflammatoires. Les enfants infectés par le SARS-CoV-2 sont parfois juste sub-fébriles, ce qui n’était pas le cas de ces patients.
Rev Prat : Sur quels arguments peut-on faire un lien avec le Covid-19 ?
S. J. : Nos premiers questionnements remontent environ il y a 3 semaines ou 4 ; le temps de confronter notre ressenti avec nos collègues des autres hôpitaux pédiatriques parisiens (Robert-Debré, Necker et le Kremlin-Bicêtre). On ne s’est pas alertés lors des premiers cas, surtout qu’il y a une recrudescence saisonnière dans le Kawasaki. Mais lorsque nous avons vu arriver autant de patients dans nos lits (environ 1 à 2 par semaine), on pouvait sérieusement se poser la question d’un lien avec l’épidémie de Covid-19 en cours.
Ces patients étant tous très fébriles, ils ont donc tous eu une PCR. Un seul des enfants passés en réanimation à Trousseau avait une PCR +, les autres étaient négatifs. Certains des enfants avaient une atteinte pulmonaire typique mais sans symptomatologie clinique. Certains de ces enfants avaient été en contact avec des sujets infectés identifiés, dans leur entourage proche, mais pas toujours.
Des cas de Kawasakiavaient déjà précédemment été rapportés avec d’autres coronavirus. La maladie de Kawasaki est une pathologie complexe et multifactorielle (terrain génétique, facteurs environnementaux). Parmi les agents infectieux incriminés, les coronavirus.
Rev Prat : Comment expliquer une recrudescence des cas 2 à 3 mois après le début de l’épidémie ?
S. J. : Cela va bien dans le sens d’une hypothèse post-infectieuse. La grande majorité des enfants testés ont une PCR négative, ce qui colle bien avec l’idée que l’on arrive après l’infection. Il faut bien sûr attendre les résultats des sérologies pour confirmer l’infection. Ce qui est sûr, c’est que ces enfants n’avaient pas de comorbidités évidentes, ni de terrain dysimmunitaire ; un complément d’explorations sera bien entendu nécessaire, mais en tout cas, nous n’avons retrouvé aucun antécédent particulier chez nos patients.
Rev Prat : Un registre a été mis en place auprès de l’ARS. Qu’en attendez-vous ?
S. J. : Ce registre va permettre de répertorier tous les cas d’enfants avec un tableau de Kawasaki atypique et de mieux comprendre ensuite le lien avec l’épidémie actuelle.
L’urgence initiale était d’alerter et sensibiliser les médecins qui peuvent être en première ligne pour prendre en charge ces patients, et en particulier les équipes des unités de réanimation. En effet, la prise en charge de ces enfants n’est pas tout à fait la même que pour d’autres pathologies. Ces patients sont très inflammatoires et vasoplégiques et ont donc besoin, au départ, d’un remplissage vasculaire. Mais il faut être très prudent chez certains d’entre eux en raison de l’atteinte cardiaque. Le message que nous voulons donc faire passer est que : tout enfant ayant un tableau clinique évocateur doit bénéficier d’une évaluation de la fonction cardiaque. L’évaluation hémodynamique clinique est bien sur primordiale, complétée par un dosage du NT-Pro-BNP et de D-dimères aux urgences.
Une publication très attendue de ces cas est à venir dans les prochains jours.
Alexandra Karsenty, La Revue du Praticien
Sandrine Jean déclare n'avoir aucun lien d'intérêts.