Parlez-nous de la genèse de Banlieues Santé…
L’association Banlieues Santé1 est née de mon propre vécu, de mon constat en tant que professionnel de santé et de ma volonté de répondre aux inégalités d’accès aux soins inhérentes à certains territoires.
À l’âge de 7 ans, j’ai été gravement brûlé, ce qui m’a conduit à fréquenter régulièrement les hôpitaux. Mes parents, d’origine marocaine et analphabètes, ont eu beaucoup de difficulté à comprendre et à communiquer avec le personnel soignant. Cette expérience m’a profondément marqué et m’a fait prendre conscience des obstacles que rencontrent les populations vulnérables pour ne serait-ce qu’accéder aux soins.
C’est ce parcours qui m’a poussé à m’engager dans le domaine de la santé : j’ai d’abord travaillé comme agent de service hospitalier, puis en tant qu’auxiliaire de vie pendant sept ans ; enfin, je suis devenu infirmier en 2007 (diplômé en 2010), ce qui m’a permis d’exercer de nombreuses années dans différents services hospitaliers. J’ai également intégré l’Institut national du service public* depuis le 22 janvier 2025.
En 2018, j’ai officiellement fondé Banlieues Santé, même si l’association existait déjà de manière très informelle depuis 2006.
Le terme « banlieue » recouvre davantage que le « quartier populaire », il désigne aussi les territoires qui ont été marginalisés, relégués en périphérie de la ville.
La volonté de l’association est ainsi de se concentrer sur les populations souvent oubliées ou isolées – toute personne éloignée du droit à la santé et du droit commun –, des quartiers défavorisés aux territoires ruraux.
Elle œuvre pour proposer des solutions adaptées afin d’offrir un accès à la santé équitable pour tous.
Quels sont les défis de terrain ?
Il y a d’abord une réalité de terrain : les déserts médicaux ne cessent d’avancer alors que les besoins en santé des patients s’accroissent, du fait du vieillissement de la population, des habitudes de vie (aliments ultratransformés, sédentarité …), de la chronicisation et de la complexification des pathologies. Et, en zone rurale comme dans les quartiers populaires, le manque de structures de soins et d’information médicale est criant.
Nous constatons que nombre de personnes ont un recours de plus en plus tardif aux services de santé – rendant le pronostic d’autant plus défavorable –, voire renoncent à ce recours aux soins. Cela s’explique par de nombreux facteurs :
- les différences linguistiques et culturelles compliquent l’accès aux soins ; il est difficile de comprendre le diagnostic, les traitements et les changements d’habitudes de vie à mettre en place, de même que les démarches administratives à entreprendre ;
- pour les personnes en situation de grande précarité, la santé est loin d’être une priorité – la Sécurité sociale et la carte Vitale ne suffisent pas –, ce qui concourt à un isolement social ;
- la sensibilisation aux enjeux de santé publique et l’éducation à des comportements préventifs sont deux points cruciaux ; or, de tels programmes n’existent pas, ou peu, dans ces territoires.
Tous ces défis nécessitent une approche holistique et surtout inclusive, en prenant en compte tous les déterminants sociaux de la santé afin d’améliorer durablement les conditions de vie de ces populations… car la santé, ce n’est pas seulement l’absence de maladie mais un état de bien-être physique, mental et social, comme la définit l’OMS !2
Comment Banlieues Santé relève-t-elle ces défis ? Quelles sont les actions concrètes mises en place ?
Banlieues Santé met en œuvre des actions d’hyperproximité et duplicables, pour accroître leur retentissement et répondre efficacement à ces inégalités.
Ainsi, notre stratégie repose sur les actions que nous appelons « sucres rapides », qui permettent de répondre aux besoins urgents des « décrocheurs en santé » : distribution de kits d’hygiène et possibilité de participer à des ateliers beauté (bus-salon itinérant socio-esthétique permettant aux bénéficiaires de reprendre confiance en eux grâce à un partenariat privé), accès à des consultations ophtalmologiques gratuites (programme Plus belle la vue).
L’association mise également sur des programmes pour améliorer l’accès aux soins et promouvoir la prévention, notamment par des actions de médiation en santé [v. encadré] ; en effet, en matière de santé individuelle et collective, avoir une approche préventive et proactive est souvent bien plus efficace qu’adopter une attitude réactive !
Toutes ces actions seraient impossibles sans le concours d’un réseau d’acteurs locaux (associations locales, Caisse centrale d’activités sociales [CCAS], professionnels de santé) qui permet d’agir et de toucher les publics qui se trouvent dans les « angles morts » du système de santé.
Par ailleurs, Banlieues Santé implique les habitants eux-mêmes dans la mise en œuvre de ses actions, favorisant ainsi une dynamique communautaire. Par exemple, les bénévoles qui distribuent des kits d’hygiène sont souvent issus des mêmes quartiers, ce qui renforce la confiance et l’engagement local.
Enfin, les initiatives que nous menons sont conçues pour être facilement reproduites dans d’autres territoires, que ce soient les lieux de vie, les centres de santé, etc. [v. encadré]. Ainsi, en s’appuyant sur un réseau d’acteurs locaux, mais aussi grâce au soutien de partenaires privés et de l’État, Banlieues Santé peut dupliquer ses actions dans différents contextes, assurant une réponse adaptée aux besoins spécifiques de chaque communauté, partout en France. Les dispositifs et programmes de l’association ayant fait écho à l’international, nous sommes en train de les développer au Maroc et nous sommes, par ailleurs, sollicités par les États-Unis, l’Angleterre et la Belgique.
Comment s’effectue la collaboration avec les médecins généralistes ?
En premier lieu, les ambassadrices santé [v. encadré], en contact étroit sur le terrain avec les personnes éloignées du système de santé, sont justement formées pour les orienter vers les médecins généralistes, les centres de santé ou les centres de santé sexuelle du territoire : il s’agit là d’une étape clé permettant la réintégration dans un parcours de soin.
En outre, nous organisons des journées dédiées aux consultations de médecine générale, qui peuvent se dérouler dans les espaces de l’association (Cafés des femmes, par exemple) ou dans des cliniques et hôpitaux avec lesquels nous collaborons. Ces partenariats nous ont permis de développer un solide réseau de médecins, pour l’heure tous bénévoles, qui soutiennent nos actions et proposent gracieusement d’identifier, de soigner et d’accompagner certains patients. À l’inverse, il arrive que les médecins eux-mêmes nous adressent des patients vus en consultation pour des soins mais dont un des problèmes est la rupture de tout droit social.
De surcroît, les lieux dédiés à la santé, qui se veulent participatifs, développés par Banlieues Santé, ont valeur de points d’ancrage pour ces patients.
Ils y reviennent régulièrement car ils identifient ces espaces comme un lieu de référence, y retrouvant, à chaque fois, les coordinatrices et ambassadrices locales, avec lesquelles s’installe une confiance ; cela permet de pérenniser leur suivi.
Enfin, nos actions de terrain nous amènent à travailler de concert avec toutes les entités de santé, sociales et éducatives du territoire. Cette approche favorise une réintégration locale et de proximité du parcours de soin et permet donc d’instaurer un véritable suivi de ces patients, sans être obligé de les éloigner de leur lieu de vie, limitant ainsi les problèmes complexes de mobilité.
Banlieues Santé and Co.
Dans sa ligne directrice de prise en charge holistique et en considérant tous les déterminants sociaux de santé, Banlieues Santé a su développer des outils spécifiques à différents besoins.
Ainsi, le programme Biens Aînés propose l’accompagnement vers une meilleure santé pour les personnes âgées isolées et/ou en situation de précarité : il vise à améliorer leur qualité de vie en les aidant à accéder aux soins nécessaires et en les soutenant dans leur parcours de santé.
Les femmes ont une place d’honneur au sein de l’association, et c’est pour cette raison qu’ont été développés les Cafés des femmes : ces espaces sont dédiés à l’accueil des femmes pour les amener vers une meilleure santé, notamment grâce à la prévention ou à l’insertion professionnelle. Au sein de ces structures, il est possible de participer à des activités sportives, des ateliers de nutrition, etc. Les femmes y trouvent également un soutien pour des projets personnels et professionnels.
Un programme appelé Ambassadrices Santé a été également déployé, soutenu par plusieurs agences régionales de santé, qui permet aux femmes de ces territoires d’être formées aux questions de santé pendant huit mois, pour ensuite pouvoir délivrer à leur tour largement les messages de prévention en santé dans leurs quartiers et favoriser l’accès au soin à ceux qui en sont éloignés. Il s’agit ainsi de renforcer les capacités des femmes à devenir actrices de changement dans leur propre communauté.
En outre, pour connaître les besoins réels des habitants, des entretiens inclusifs de prévention santé sont proposés : menés par des professionnels de santé, ils sont effectués dans des foyers de travailleurs retraités, notamment dans les villes de Saint-Denis et de Marseille, afin de discuter des besoins de santé des participants, de les orienter vers des parcours de soins adaptés, mais aussi de les sensibiliser à la prévention.
Enfin, étant donné que tout commence par l’éducation, Banlieues School, créée en 2020, et Banlieues Climat, créée en 2022, sont deux initiatives qui se concentrent sur l’accompagnement des jeunes âgés de 13 à 20 ans pour renforcer leur parcours éducatif, dans une optique d’égalité des chances grâce à divers programmes de mentorat et de formation (https ://banlieues-school.org/) et de les sensibiliser aux questions environnementales et écologiques (https ://banlieues-climat.org/) ; il n’est, en effet, jamais trop tôt pour s’en préoccuper !