À l’heure où le système de santé fait face à des défis sans précédent – déshumanisation des soins, épuisement des professionnels, perte de confiance des patients –, André Simonnet, cofondateur de DanaeCare, propose une approche inédite. Grâce à des tiers-lieux en santé, cette association pionnière brise les silos entre soignants, institutions et usagers pour coconstruire des solutions innovantes. La démarche est ancrée dans le dialogue et l’action, et chaque acteur devient partie prenante de la santé de demain.

Pouvez-vous présenter l’association DanaeCare ?

DanaeCare est une association créée en 2012, cofondée par Julia Gudefin et moi-même, dédiée à l’étude des mutations des relations humaines dans le domaine de la santé. Nous analysons comment les relations se nouent entre soignants et patients, ainsi qu’entre soignants eux-mêmes. Nos travaux ont été menés dans une douzaine de pays, dont la France, l’Inde (à Bhopal, lieu de la pire catastrophe chimique industrielle des années 1980), l’Afghanistan, le Paraguay, le Chili, le Brésil ou encore le Liban. Dans chaque pays, pendant trois à quatre mois, nous avons vécu aux côtés des soignants, dans des contextes variés : libéral, hospitalier, universitaire ou institutionnel.

L’objectif était de comprendre les causes et les conséquences de la déshumanisation dans les systèmes de santé et ses impacts sur les professionnels (burn out, perte de sens, suicides, arrêts maladie...) et sur les patients (observance des traitements, recours aux thérapies alternatives, surconsultations, perte de confiance...). Ces enjeux touchent aussi la santé publique et l’économie de la santé.

Comment l’association a-t-elle évolué depuis sa création ?

De 2012 à 2018, nous avons surtout travaillé sur des sujets immatériels : documentation, collecte de données en sciences humaines et sociales, et identification de bonnes (ou mauvaises) pratiques. En 2019, nous nous sommes installés à Saint-Étienne, un territoire riche en coopération associative, qui, historiquement, a été le berceau de la création des mutuelles en France et qui accueille toujours la Mutualité française et l’École nationale supérieure de la Sécurité sociale.

Notre méthode repose sur la réunion d’acteurs fonctionnant habituellement en silos : universitaires (santé publique, économie de la santé, philosophie, etc.), institutions publiques, associations, professionnels de santé (libéraux, hospitaliers) et usagers. L’idée est de « désiloter » pour coconstruire des solutions concrètes.

Qu’est-ce qu’un « tiers-lieu en santé » et en quoi diffère-t-il des autres tiers-lieux ?

Un tiers-lieu est un espace hybride, ni domestique, ni professionnel, dans lequel des acteurs variés se rencontrent pour créer ensemble. Historiquement, les tiers-lieux sont nés dans les milieux culturel, artisanal et numérique. Nous avons adapté ce concept à la santé en y intégrant une dimension organisationnelle et préventive.

Contrairement à la majorité des tiers-lieux en santé, souvent portés par des soignants et axés sur l’accès aux soins (CPTS, MSP), DanaeCare adopte une approche pluridisciplinaire (sciences humaines, ingénierie, travail social). Les deux tiers-lieux que nous avons ouverts, l’un à Saint-Étienne (Loire) et l’autre à Givors (Rhône), visent à renforcer la prévention, le pouvoir d’agir des usagers et l’innovation organisationnelle. Il est important de noter qu’un tiers-lieu est un laboratoire : certaines idées échoueront, et c’est normal. L’enjeu est d’apprendre ensemble. Nos premiers ateliers ont parfois été désorganisés, mais les retours des participants nous ont permis de les améliorer.

Pourquoi voit-on émerger de plus en plus de tiers-lieux en santé aujourd’hui ?

La démocratie sanitaire est désormais une attente forte, mais elle est complexe à organiser. Les institutions et associations peinent à sortir de leurs silos pour toucher un public large et transversal. Prenons l’exemple de la santé des futures mamans : il existe une diversité d’acteurs, et il n’est pas évident pour ceux-ci de dépasser le cadre de la parentalité. Il faut donc rassembler des acteurs variés (CHU, associations, libéraux, usagers) et leur donner la parole de manière horizontale. Notre rôle est de faciliter ces connexions. Par exemple, nous créons des espaces où les futures mères peuvent échanger sur des sujets qui dépassent le suivi médical classique (prévention, baby blues, etc.), en impliquant tous les acteurs concernés, comme les PMI. C’est ce qu’on appelle l’empowerment : développer la capacité d’agir des usagers, au bon moment.

Quels sont les principaux obstacles que vous rencontrez ?

Les défis sont nombreux, et le premier est la fragmentation des acteurs. Chaque univers – universitaire, institutionnel, associatif, soignant ou usager – a son propre langage, ses priorités et ses résistances au changement. Par exemple, faire dialoguer un économiste de la santé, un sociologue, un médecin hospitalier et un patient autour d’un même projet relève parfois du parcours du combattant. Les silos sont profonds, et les habitudes de travail en vase clos persistent.

Un deuxième écueil est la méfiance initiale : bien qu’il existe une réelle volonté de se rapprocher du bénéficiaire, certains professionnels ou institutions craignent de perdre leur légitimité en partageant le pouvoir décisionnel avec des usagers ou des acteurs moins « experts ». Les représentations que chacun a des autres constituent bien trop souvent des barrières à la rencontre, puis à la coconstruction. Enfin, le financement et la pérennité posent question : les tiers-lieux en santé n’entrent pas toujours dans les cases des appels à projets traditionnels, car ils mélangent prévention, organisation des soins et empowerment – des dimensions rarement financées ensemble.

Quels conseils donneriez-vous à un médecin généraliste ou à une collectivité souhaitant se lancer dans un projet similaire ?

Je leur dirais d’abord de s’appuyer sur les ressources locales existantes – universités, mutuelles, collectivités – qui peuvent servir de leviers. Il faut savoir accepter l’expérimentation : un tiers-lieu est un espace d’innovation où l’échec fait partie de l’apprentissage, à condition d’écouter les retours des participants pour ajuster la méthode. Enfin, il convient de trouver des relais institutionnels (mairie, département, région) pour pérenniser le projet, et surtout cultiver la dimension humaine en organisant des temps informels (repas, cafés santé...) qui renforcent la confiance et font émerger des idées nouvelles (encadré). L’objectif n’est pas de tout révolutionner du jour au lendemain, mais de construire, pas à pas, un écosystème où chacun se sent acteur du changement. 

Encadre

DanaeCare, l’innovation par l’action collective

Fondée en 2012 par André Simonnet et Julia Gudefin, DanaeCare ne se contente pas de théoriser les mutations du système de santé : l’association passe à l’action à travers des projets concrets et inclusifs. Parmi ses initiatives emblématiques, trois sont particulièrement notables :

  • l’Escale des aidants, guichet unique pour les aidants de la Loire, qui accueille, accompagne et oriente les aidants du département grâce à douze antennes réparties sur le territoire ;
  • des recherches-actions menées en partenariat avec l’université Jean-Monnet (Loire) et l’université Lyon- 2, visant à accompagner la création et le déploiement d’un statut d’étudiant aidant plus efficace, à travers un post-doctorat en droit et une thèse en psychologie sociale. Le public concerné représente 15,9 % des étudiants en situation d’aidance ;
  • « les cafés santé » qui consistent en des rencontres informelles dans des lieux du quotidien (cafés, médiathèques...) pour discuter de sujets souvent négligés, comme la santé mentale des aidants ou l’isolement des personnes âgées.

Par ces actions, DanaeCare prouve que la santé peut aussi se penser en associant créativité, participation citoyenne et rigueur scientifique. Une approche qui redonne du sens – et de l’optimisme – à des enjeux souvent perçus comme lourds ou anxiogènes.

Pour en savoir plus 
Ministère de l’Enseignement supérieur et de la ­Recherche. Accompagnement des étudiants aidants par les établissements d’enseignement supérieur. 24 avril 2025. https://bit.ly/48ZTcN4 
Conférence nationale de santé. Parachever la démocratie sanitaire et rendre effectifs les droits des usagers du système de santé. Juin 2009. https://bit.ly/47qwyw6 
ARS Île-de-France. Démocratie sanitaire : définition et enjeux. 4 mai 2022. https://bit.ly/4oy2kxs 
Site de l’Association nationale des tiers-lieux : https://tiers-lieux.fr/?PagePrincipale