Quand le RGO est-il pathologique ? Telle est la question
Le reflux, extériorisé (régurgitations) ou non, est un phénomène physiologique. Le nourrisson ingère quotidiennement 130 mL de lait/kg et une quantité variable d’air, ce qui correspondrait, chez l’adulte, à une ingestion de 8 L de boisson gazeuse par jour, répartis en quatre à six repas de quelques minutes !
Ainsi, le reflux gastro-œsophagien (RGO) physiologique est particulièrement fréquent la première année de vie : il concerne deux tiers des enfants de 4 à 5 mois. La situation s’améliore le plus souvent lors de la diversification alimentaire, ou au plus tard, à l’âge de la marche.
Le RGO devient pathologique lorsqu’il est responsable de symptômes sévères ou de complications (œsophagite ou sténose par exemple). Les signes d’appel sont : faible prise de poids, signes d’œsophagite (refus des biberons avec dysphagie, hématémèse), syndrome de Sandifer (tics d’extension du cou), complications respiratoires ou ORL (infections récidivantes à répétition).
Quels diagnostics différentiels ?
Le principal diagnostic différentiel est l’allergie aux protéines de lait de vache (APLV). En effet, reflux et APLV se manifestent par des symptômes similaires. Il faut rechercher à l’interrogatoire un terrain familial atopique (de premier degré), une diarrhée chronique avec perte de poids, des lésions cutanées de dermatite atopique.
Par ailleurs, il ne faut pas méconnaître les signes d’alerte : vomissements matinaux et augmentation du périmètre crânien font évoquer une hypertension intracrânienne ; vomissements bilieux et/ou retard de croissance staturo-pondérale, une pathologie digestive organique. Devant ces symptômes, il faut adresser au spécialiste pour des explorations.
Devant un tableau d’œsophagite, la cause la plus fréquente est un RGO pathologique, mais en cas d’inefficacité des IPP il faut penser à des pathologies plus rares comme l’œsophagite mycotique ou à éosinophiles.
Quelle démarche ?
En cas de régurgitation simples (RGO non compliqué du nourrisson), aucune exploration complémentaire n’est recommandée. Seules mesures nécessaires : rassurer les parents, fractionner les biberons, épaissir le lait (les laits antirégurgitations dits « AR » ont fait leurs preuves en diminuant le nombre de régurgitations) ; le positionnement de l’enfant proclive dans le lit est possible, s’il est fait de façon sécurisée (couchage sur le dos, pas de risque de glissement…). Il n’y a de place pour les prokinétiques, les antisécrétoires, les antiacides, les alginates, ni le diméticone. Les probiotiques n’ont pas montré d’efficacité.
En cas de suspicion de RGO pathologique (fig. 1), une fois éliminés les signes d’alerte (v. ci-dessus), on recommande en première intention les mesures hygiénodiététiques (correction des erreurs diététiques, épaississement du lait…). Si elles ne sont pas suffisantes : mettre en place pendant 2 à 4 semaines une éviction des protéines de lait de vache, l’APLV étant le principal diagnostic différentiel : on utilise un hydrolysat de PLV ou une formule d’acides aminés à la place du lait habituel chez les nourrissons sous lait artificiel ; pour ceux allaités de façon exclusive : régime strict d’éviction chez la mère.
En l’absence d’amélioration au bout de 2 à 4 semaines, il faut adresser au gastroentérologue pour envisager des examens complémentaires (PH-métrie, endoscopie œsogastroduodénale [EOGD], encadré 2).
Notons enfin que la mucoviscidose, les suites d’une atrésie de l’œsophage ou d’une hernie diaphragmatique et le polyhandicap sont des situations où le reflux est susceptible d’être plus sévère. Une prise en charge spécialisée est donc nécessaire.
IPP : trop prescrits !
De nombreux nourrissons sont traités par IPP pour des régurgitations fréquentes, mais surtout pour de multiples symptômes corrélés parfois à tort avec un RGO : pleurs, wheezing, rhinopharyngite, toux… Un rapport Épiphare de mai 2025 révèle en effet que l’utilisation des IPP avant l’âge de 1 an a fortement augmenté en France entre 2010 et 2021, chez des nourrissons sans diagnostic de RGO pathologique, de plus en plus jeunes, notamment issus de milieux socio-économiques favorisés (résultats détaillés dans l’encadré 2 ci-dessous).
Or les IPP n’ont pas d’AMM avant l’âge de 1 an. Les recommandations de la HAS les autorisent quel que soit l’âge (y compris hors AMM) seulement en cas de reflux pathologique attesté par pH-métrie ou d’œsophagite érosive authentifiée*.
Une prescription d’IPP inutile, qui peut rassurer les parents, n’est pas anodine car ces traitements ne sont pas dénués d’effets indésirables : céphalées, troubles du transit, nausées (2 à 7 %). L’hypochlorémie provoquée augmente le risque de gastroentérite aiguë et de pneumopathie. L’utilisation prolongée est corrélée à un risque de néphrite interstitielle aiguë.
Une fiche à destination des parents, abordant l’absence de gravité du reflux du nourrisson, les conseils pour limiter ces reflux et les indications d’un traitement pharmacologique est téléchargeable ici.
*En cas de forte suspicion d’œsophagite chez l’enfant de plus de 12 mois, les experts du groupe ESPGHAN autorisent un traitement d’épreuve par IPP , à donner 30 minutes avant le premier repas de la journée, et à réévaluer 1 semaine après ; seulement en cas d’amélioration, on peut le poursuivre pendant 8 semaines au total. Si les symptômes persistent sous IPP ou en cas d’échec de sevrage, une EOGD est indiquée.
Quand prescrire une endoscopie œsogastroduodénale ?
La EOGD confirme ou infirme le RGO, recherche des complications et élimine un autre diagnostic. On la demande en cas de :
– signes d’alerte (hémorragie digestive, dysphagie, vomissement bilieux, retard de croissance staturo-pondérale).
– persistance des régurgitations/vomissements après 16 mois ;
– échec du traitement médical (8 semaines).
Utilisation des IPP chez les enfants âgés de moins d’un an : résultats de l’étude Éphiphare (2025)
Un total de 8 222 100 enfants ont été inclus dans cette étude. Parmi eux, 703 891 (incluant 641 973 enfants sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique et 61 918 avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique) avaient reçu des IPP avant l’âge de 1 an. Pour l’ensemble de la période 2010 - 2021, l’incidence d’utilisation des IPP dans la première année de vie atteignait 7,9 et 54,4 pour 100 personnes-années, respectivement, parmi les enfants sans et avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique. L’incidence d’utilisation des IPP a fortement augmenté entre 2010 et 2021 parmi les enfants sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique (de 5,5 à 9,0 pour 100 personnes-années, soit + 63 %) et dans une moindre mesure parmi les enfants avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique (+ 34 %).
Parmi les enfants sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique, le traitement avait le plus souvent été initié par un pédiatre libéral (dans 48 % des cas) ou un médecin généraliste (26 %). L’IPP le plus utilisé était l’ésoméprazole dans sa formulation pédiatrique. Les facteurs les plus fortement associés à l’utilisation d’IPP étaient la prématurité et la présence de pathologies digestives, respiratoires ou neurologiques. De plus, à caractéristiques médicales et de recours aux soins comparables, l’utilisation d’IPP était d’autant plus fréquente que le niveau socio-économique maternel était élevé.
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