Depuis quelques décennies, l’engouement des particuliers croît pour des animaux autres que le chien et le chat, qu’il s’agisse d’animaux possédés au domicile ou de certaines espèces animales présentes dans des lieux publics destinés aux enfants, comme le démontre l’évolution de la diversité des espèces animales consultées en pratique vétérinaire depuis le XIXe siècle (fig. 1).
Animaux de compagnie non traditionnels
Pour ces animaux, le terme « animal de compagnie non traditionnel » (ACNT), utilisé depuis 2022 dans plusieurs pays européens, est préférable à celui de nouveaux animaux de compagnie (NAC) car beaucoup d’espèces ne sont ni nouvelles ni exotiques. Elles peuvent même correspondre à un changement de statut de certains animaux domestiques initialement élevés pour leurs productions (lapin, chèvre, porc, volaille…), rencontrés aussi bien dans des lieux publics que chez des particuliers. La détention de certains d’entre eux est soumise à déclaration ou à la possession d’un certificat de capacité, voire interdite.1,2 Le nombre d’espèces détenues avec l’obligation d’un certificat de capacité est certainement sous-estimé du fait de la négligence de certains propriétaires pouvant se les procurer facilement à l’occasion de voyages (même en Europe), via les réseaux sociaux ou le trafic illégal et très lucratif des espèces animales exotiques.
Des contacts en augmentation
Il est difficile d’estimer le nombre d’ACNT en France car peu d’espèces sont identifiées par des puces électroniques, comme c’est le cas de la majorité des chiens et les chats domestiques. En moins de cinq décennies, le nombre d’animaux de compagnie (dont les chats et les chiens) est passé de 30 millions en 1976 à 75 millions en 2024 (fig. 2). Si l’on excepte les poissons, la poule est même devenue le troisième animal de compagnie.
Cet engouement pour ces nouvelles espèces animales de compagnie s’est aussi accompagné d’une augmentation des contacts entre les enfants et ces animaux, aussi bien dans le milieu familial que dans des espaces publics (zoos, fermes pédagogiques, hôpitaux, écoles, parcs de loisirs, foires, centre de soins, sites de vente des ACNT…). D’autres contacts peuvent exister à l’occasion de rencontres fortuites avec la faune liminaire, des animaux rencontrés lors de voyages... Ces contacts peuvent induire une augmentation des risques traumatiques (morsure, griffure, envenimation…) ou infectieux ; l’animal peut être malade ou porteur asymptomatique d’un agent pathogène, souvent méconnu ou non suspecté par le milieu médical ignorant l’existence d’une présence animale particulière lors du recueil d’une anamnèse face à un enfant malade. Bien que certains risques soient connus, on peut être surpris par l’absence de recommandations aux futurs propriétaires d’un ACNT.
Des risques sous-estimés
Les risques liés au contact avec ces ACNT sont sous-estimés du fait de l’apparente bonne santé de l’animal réservoir de l’agent pathogène, d’autant plus qu’il s’agit souvent d’un risque sporadique, différent d’un problème de contamination collective justifiant une prévention classique et obligatoire bien connue pour les aliments. Ce risque est accru chez le jeune enfant âgé de moins de 5 ans, pour trois raisons :
- son système immunitaire immature le rend plus sensible aux infections ;
- à cet âge, porter les mains à la bouche faisant partie de son comportement, la recommandation de se laver les mains est inadéquate ;
- l’enfant est inconscient du risque traumatique ou infectieux encouru avec certains animaux.
C’est pourquoi un groupe de travail de l’Académie nationale de médecine, composé principalement de vétérinaires, de pédiatres et d’infectiologues, a rendu un avis très complet le 12 mars 2024 sur les risques traumatiques et/ou infectieux pour l’enfant en contact avec ces ACNT.3
Quels ACNT au domicile ?
Hormis les chiens ou les chats, peuvent être détenus, au domicile, des ACNT domestiques (lapin, chèvre, porc…) ou non domestiques (rongeurs [rats, souris…], hérissons, reptiles, amphibiens, oiseaux…).
Le traumatisme (morsure, griffure, constriction…) pouvant survenir est en général sporadique et non déclaré par le propriétaire. La morsure est le moyen le plus fréquent d’inoculation d’un agent pathogène présent naturellement dans la salive de l’animal (Capnocytophaga chez les carnivores, Streptobacillus chez les rongeurs…) pouvant provoquer une septicémie mortelle. L’animal étant le plus souvent asymptomatique, les contacts étroits avec celui-ci présentent aussi un risque de transmission d’un agent infectieux, notamment lorsqu’il dort avec l’enfant dans la chambre, voire dans son lit.4
Le risque de maladie zoonotique est important et varie selon l’ACNT détenu :
- salmonellose avec les rats ou souris sauvages, oiseaux (notamment par la consommation d’œufs contaminés provenant de poules de compagnie) [fig. 3],5,6 lézards, grenouilles (épidémie aux États-Unis après le film La Princesse et la Grenouille les encourageant à embrasser ces animaux), petites tortues aquatiques7 (la Food and Drug Administration américaine a promulgué en 1975 une interdiction de vente et de distribution de tortues dont la carapace mesurait moins de 10,2 cm), autres reptiles (en particulier chez les jeunes enfants) [fig. 4] ;
- salmonellose résistante aux fluoroquinolones liée à l’utilisation de ces antibiotiques chez les reptiles ;8
- chorioméningite lymphocytaire (souris sauvage,9 hamster) ;
- psittacose (oiseaux) ;
- colibacillose entérohémorragique (ruminants) ;
- poxviroses (rats de Gambie ayant transmis la variole du singe10 ou rats réservoirs du virus de la « variole de la vache ») ;11
- leptospirose (rats, souris…) ;12
- fièvre hémorragique avec syndrome rénal due à l’hantavirus de Séoul (rat).13
Aux États-Unis, ces risques ont été recensés durant la période allant de 1996 à 2017 et concernaient surtout les enfants âgés de moins de 5 ans.14 Ils peuvent conduire au décès, et la maladie la plus fréquemment transmise par les ACNT est la salmonellose (81 % des cas essentiellement liés aux volailles [fig. 3] et secondairement aux reptiles). Les autres risques ont concerné principalement la chorioméningite lymphocytaire (hamsters de compagnie et souris), la fièvre de la morsure de rat et l’hantavirose de Séoul.
En Europe, la sous-estimation de ces risques est liée à trois facteurs :
- le non-signalement des cas isolés ;
- l’absence d’un système d’alerte permettant, comme aux États-Unis, de collecter les cas sporadiques ;
- la méconnaissance de certaines zoonoses, qu’elles soient émergentes ou liées à certaines espèces d’ACNT.
Quels ACNT dans les lieux publics ?
Il s’agit de distinguer les zoos et parcs aquatiques des fermes pédagogiques et des écoles, hôpitaux et autres lieux publics.
Zoos et parcs aquatiques
Si le cadre réglementaire y impose des mesures de « biosécurité »15 permettant de limiter les risques, la frontière est parfois floue entre le public et les animaux, et certains contextes favorisent les risques :
- les bassins tactiles permettant aux enfants de caresser des poissons ou autres espèces aquatiques sans gants exposent à une contamination par Mycobacterium marinum ou le bacille du rouget ;
- les visites des coulisses permettant à des enfants de s’improviser « apprentis soigneurs » ou « soigneurs d’un jour » de certains animaux ;
- les « petting zoos » (ou mini-fermes) qui, en l’absence de mesures de « biosécurité », favorisent les contacts étroits avec les animaux ;
- la proximité des enclos où se trouvent et se meuvent les animaux avec un lieu de restauration, les enfants étant invités à nourrir les animaux avec un aliment pouvant être vendu avec le ticket d’entrée.
Le risque de transmission féco-orale de différents agents pathogènes (Escherichia coli entérohémorragique [ECEH], Salmonella spp, Campylobacter spp, Cryptosporidium spp…) excrétés par des ACNT apparemment en bonne santé a été souligné de nombreuses fois.16
Fermes pédagogiques
Depuis le début des années 2000, la forte augmentation des visites de fermes pédagogiques a conduit à observer de nombreux cas de syndrome hémorragique et urémique (SHU) chez de jeunes enfants exposés à un contact avec des ruminants asymptomatiques réservoirs d’ECEH (fig. 5).17 - 19
En 2008, l’Académie vétérinaire de France avait émis une alerte sur ce risque.20 L’exposition était liée au contact avec le fumier animal et au comportement naturel mains/bouche des enfants âgés de moins de 5 ans.
En France, l’étude de 1 215 cas de SHU a révélé que 20 % (soit 243 enfants) étaient liés au contact avec un animal de ferme ou le sol de son enclos en cas de chute.21 Une étude allemande publiée en 2022 concernant 300 chèvres apparemment en bonne santé réparties dans 14 « petting zoos » confirmait la sous-estimation de ce risque avec la détection de ces ECEH chez 20 % des animaux (22,7 % étant aussi excrétrices de Campylobacter).22
Écoles, hôpitaux et autres lieux publics
Dans les écoles, la présence d’ACNT expose à des risques de maladies variées : salmonellose (volailles, hérisson, mue de serpent…), teigne (hérisson, rongeurs…), rage (chauve-souris).
À l’hôpital, en particulier pour les enfants sous traitement immunodépresseur, la chorioméningite lymphocytaire peut résulter du contact avec des rongeurs (souris, hamster).9,23,24
Une affection zoonotique (rouget, brucellose, mycobactériose, leptospirose…) peut résulter du contact avec un mammifère marin mort d’une de ces maladies et échoué sur une plage.
Principaux ACNT pouvant être en contact avec des enfants en France
Le tableau présente les principaux ACNT pouvant présenter un risque lors d’un contact avec de jeunes enfants en France.
À la différence de certaines zoonoses considérées comme très fréquentes comme la teigne, observable concomitamment chez l’animal et son propriétaire et dont le pronostic est très favorable (seule la teigne transmise par le hérisson peut être très douloureuse du fait d’une inoculation par les piquants de l’animal), l’ignorance de certains risques plus importants est liée à un portage asymptomatique chez l’animal infecté.
Recommandations de l’Académie nationale de médecine
L’avis présenté le 12 mars 2024 à l’Académie nationale de médecine3 a été complété par deux communiqués.
Concernant les lieux publics
Considérant que les risques liés à un contact étroit des enfants avec des ACNT dans l’espace public sont sous-estimés, dans un communiqué paru le 26 avril 2024, l’ANM :25
- rappelle que, si les liens entre animaux et enfants sont des facteurs de bien-être, de bonne santé mentale et d’enrichissement des connaissances, ils doivent donner lieu à des précautions sanitaires s’agissant du contact entre ces animaux et les enfants les plus jeunes ou immunodéprimés ;
- invite, selon une approche « une seule santé », à une surveillance épidémiologique des zoonoses infantiles, en vue de la prévention et du traitement précoce de ces maladies ;
- recommande que le grand public soit informé des risques liés à un contact étroit entre de jeunes enfants et les ACNT, le lavage des mains devant être la règle après avoir touché un tel animal ;
- recommande qu’un affichage des mesures de « biosécurité » soit instauré dans les établissements accueillant enfants et ACNT, notamment concernant les règles d’hygiène et de sécurité approuvées par les directions départementales de la protection des populations ;
- déconseille fortement, comme le fait Santé publique France, que des enfants de moins de 5 ans touchent des ACNT (ruminants, en particulier) dans les lieux publics ;
- recommande une interdiction de zones de restauration trop proches d’une mini-ferme (ou d’un « petting zoo »), afin d’éviter que de jeunes enfants nourrissent des animaux tout en mangeant leur propre repas.
Concernant le domicile
Considérant les risques sous-estimés liés à un contact étroit des enfants avec des ACNT au domicile, dans un communiqué paru le 2 mai 2024, l’ANM recommande de :26
- informer le public des risques liés à la présence au domicile de certains ACNT dont la détention est autorisée ;
- déconseiller, lorsque des enfants âgés de moins de 5 ans sont présents au domicile, la détention des ACNT pouvant représenter un risque de morsure (furet, rat, iguane) ou de transmission d’agents infectieux (rongeurs, serpents, tortues, amphibiens, oiseaux, petits ruminants…) ;
- rappeler aux parents l’importance, devant toute maladie chez un enfant de moins de 5 ans, de prévenir le médecin si un ACNT est présent au domicile ;
- renforcer les contrôles sanitaires dans les animaleries hébergeant des ACNT commercialisés, en fonction des risques zoonotiques propres à chaque espèce ;
- créer une plateforme de surveillance épidémiologique des zoonoses observées chez l’enfant exposé à la présence d’un ACNT, mobilisant tous les acteurs concernés (laboratoires médicaux et vétérinaires…), et permettant un partage des données pour la détection, le traitement précoce et la prévention de ces maladies.
Cet avis peut être extrapolé aux risques en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) dans le contexte actuel visant à permettre aux résidents d’être accompagnées de leur animal de compagnie.
2. Arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d’animaux d’espèces non domestiques. https://urls.fr/-UUpvK
3. Angot JL, Bachy V, Bassot G, et al. Avis. Risques zoonotiques et traumatiques liés aux contacts des enfants avec les animaux de compagnie non traditionnels (ACNT). Bull Acad Natl Med 2024;208(5):548‑70.
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9. Knust B, Ströher U, Edison L, et al. Lymphocytic choriomeningitis virus in employees and mice at multipremises feeder-rodent operation, United States, 2012. Emerg Infect Dis 2014;20(2):240‑7.
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15. Arrêté du 25 mars 2004 fixant les règles générales de fonctionnement et les caractéristiques générales des installations des établissements zoologiques à caractère fixe et permanent, présentant au public des spécimens vivants de la faune locale ou étrangère. https://urls.fr/R19RI
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22. Göttling J, Heckel J, Hotzel H, et al. Zoonotic bacteria in clinically healthy goats in petting zoo settings of zoological gardens in Germany. Zoonoses Public Health 2022;69(4):333‑43.
23. Rousseau MC, Saron MF, Brouqui P, et al. Lymphocytic choriomeningitis virus in southern France: Four case reports and a review of the literature. Eur J Epidemiol 1997;13(7):817‑23.
24. Fischer SA, Graham MB, Kuehnert MJ, et al. Transmission of lymphocytic choriomeningitis virus by organ transplantation. N Engl J Med 2006;354(21):2235‑49.
25. Communiqué de l’Académie nationale de médecine du 26 avril 2024. Risques pour les enfants en contact étroit avec des animaux de compagnie non traditionnels (ACNT), dans les lieux publics. https://urls.fr/jr8sql
26. Communiqué de l’Académie nationale de médecine du 2 mai 2024. Attention au contact étroit des enfants, au domicile, avec des animaux de compagnie non traditionnels (ACNT). https://urls.fr/4SoDzU