Le syndrome de l’intestin irritable (SII) est une pathologie qui affecte 4,1 % de la population mondiale. Le diagnostic repose sur les critères de Rome IV, qui associent une douleur abdominale récurrente à des troubles du transit. La physiopathologie est multifactorielle et reste incomplètement élucidée. Un des facteurs déclenchants des symptômes fréquemment rapportés par les patients est l’alimentation : la majorité des patients décrit l’exacerbation ou le déclenchement de leurs symptômes par l’alimentation. De nombreuses études ont souligné ce lien étroit entre alimentation et SII. Les symptômes gastro-intestinaux associés à l’alimentation sont plus sévères, et les patients qui en souffrent ont une qualité de vie plus altérée. Ces données ont été confirmées par une étude réalisée avec l’Association des patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable (APSSII). Cette étude rapporte également que 89 % des patients ont déjà essayé un régime afin de tenter d’améliorer leurs symptômes.1 Ce constat n’est pas étonnant puisque les régimes apparaissent comme le traitement remportant le plus d’adhésion de la part des patients, devançant les traitements médicamenteux et la prise en charge psychologique.2 

Dans cet article sont évoqués les deux principaux régimes à conseiller aux patients ayant un SII ainsi que leurs modalités de prescription et de surveillance afin d’éviter tout risque associé.

Constat : les patients ont parfois un comportement alimentaire dangereux

Les patients souffrant de SII évincent fréquemment des aliments afin d’améliorer leurs symptômes gastro-intestinaux. Malgré ces adaptations alimentaires, la plupart ont des apports nutritionnels similaires à la population générale et adaptés aux recommandations nutritionnelles nationales.3 Cependant, un sous-groupe de patients, avec des symptômes plus sévères, adopte des comportements d’évitement et de restriction alimentaires qui entraînent une diminution des ingesta, avec notamment un moindre apport en protéines, en carbohydrates et en micronutriments.4 

Quel est l’objectif d’un régime dans le syndrome de l’intestin irritable ?

La prise en charge diététique est l’une des stratégies thérapeutiques les plus efficaces, notamment sur les douleurs abdominales et les ballonnements. Néanmoins, l’objectif n’est pas d’éliminer tous les aliments pour faire disparaître les symptômes : l’objectif principal est de donner au patient les clés lui permettant de réduire ses symptômes tout en gardant un régime équilibré, des interactions sociales et une bonne qualité de vie. Il est indispensable d’associer les attentes du patient à la prise en charge thérapeutique. Il faut à tout prix éviter de prescrire un régime à un patient qui n’est pas dans de bonnes dispositions pour le suivre, au risque d’aboutir à un résultat non optimal et à une insatisfaction du patient. En effet, il est fondamental que ce dernier adhère au projet thérapeutique, facteur directement corrélé à l’amélioration symptomatique.5 

Deux types de régime possibles 

Il existe actuellement deux prises en charge diététiques possibles du SII :

  • la prise en charge diététique de première ligne, qui correspond aux conseils diététiques traditionnels incluant une alimentation et un mode de vie sains (prendre le temps de manger et de bien mâcher, limiter l’alcool, la caféine, les épices et les aliments gras, avoir une prise hydrique suffisante, etc.) ;
  • l’alimentation thérapeutique pauvre en FODMAP, plus restrictive et difficile à mettre en place, qui consiste à réduire de manière stricte l’ensemble des hydrates de carbone, peu absorbés dans l’intestin grêle (galacto-oligosaccharides, fructanes, lactose, fructose, sorbitol et mannitol). Ces prises en charge sont proposées après une évaluation alimentaire éliminant une erreur diététique majeure et après avoir écarté le diagnostic de malabsorption avec intolérance au lactose (qui peut mimer un SII).
 

Le régime sans gluten n’est pas conseillé dans le SII. 

Conseils diététiques traditionnels

Les conseils diététiques traditionnels reposent sur une bonne hygiène de vie (tableau 1 ). Ils proposent de diminuer la consommation d’alcool, de café, d’épices, d’aliments gras et d’avoir une prise hydrique suffisante. Ils recommandent également une alimentation régulière, d’éviter de sauter des repas et de laisser de longues périodes entre les repas, de prendre le temps de bien manger, ainsi que d’avoir une activité physique suffisante. 

Il peut également être recommandé de limiter la consommation de céréales complètes et de fruits frais (trois par jour) et de ne pas porter de vêtements serrés lors des repas.

En cas de diarrhée, les patients devraient éliminer les polyols de type sorbitol, xylitol, etc. 

En cas de ballonnements et de flatulences, les patients peuvent trouver utile de manger de l’avoine et des graines de lin. 

Ces recommandations sont fondées sur les effets symptomatiques connus de certains types d’aliment. 

Alimentation thérapeutique pauvre en FODMAP

L’alimentation thérapeutique pauvre en FODMAP (oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides et polyols fermentescibles par la flore intestinale) consiste à éliminer l’ensemble des carbohydrates qui ne sont pas bien absorbés par l’intestin et qui sont à risque de générer des symptômes. Il s’agit des galacto-oligosaccharides (fructanes et galactanes), des disaccharides (lactose), des monosaccharides (fructose) et des polyols (sorbitol, xylitol, mannitol et maltitol) [tableaux 2 et 3].

Ce régime comprend trois phases (figure 1) :

une première phase d’exclusion des FODMAP sur une période de quatre semaines. En l’absence d’amélioration, l’alimentation contrôlée doit être arrêtée ;

en cas d’amélioration symptomatique, une phase de réintroduction des aliments concernés par catégorie de FODMAP (tableau 3) est effectuée. La tolérance et la dose tolérée de chaque catégorie de FODMAP sont évaluées en réintroduisant une catégorie d’aliment à la fois. Par exemple, le patient réintroduit une catégorie tous les jours pendant cinq jours, puis fait un retour à l’alimentation stricte durant deux jours avant d’envisager la catégorie suivante. Cette phase est la plus importante du régime mais également la plus fastidieuse à suivre. Certains aliments contiennent plusieurs FODMAP, il faut donc sélectionner les aliments n’en contenant qu’un ; enfin, le patient entre dans la phase de régime personnalisé où il adapte son alimentation à ses symptômes au regard des résultats de la phase de ré-introduction. Cela permet de maintenir l’amélioration clinique dans le temps sans s’exposer au risque de carences nutritionnelles à long terme.

Risques des régimes restrictifs

Les régimes prescrits dans le SII peuvent exposer à des risques psychologiques et nutritionnels : isolement social, altération de la qualité de vie et fausse impression de contrôle, qui peuvent aboutir au développement de troubles du comportement alimentaire. Ces régimes sont donc strictement déconseillés aux patients ayant de tels troubles ou de tels antécédents.6 

Lorsque les régimes restrictifs sont suivis sur le long terme, ils exposent à des risques de carences en micronutriments. Il est important de savoir que l’alimentation thérapeutique pauvre en FODMAP modifie également le microbiote de manière significative. Elle a tendance à réduire les bifidobactéries, connues pour leurs rôles bénéfiques multiples sur l’hôte. Ces effets à long terme ne sont pas encore bien étudiés, mais cela renforce l’intérêt de la vigilance sur les régimes restrictifs poursuivis au long cours.

Bonnes pratiques en matière de prescription de régime

Du fait des risques liés à ces régimes, il est important de bien encadrer la prescription et de suivre le patient.

Tout d’abord, il s’agit de réaliser une évaluation nutritionnelle systématique en consultation afin d’étudier le fonctionnement du patient. Si nécessaire, elle peut être complétée par une évaluation diététique plus approfondie. L’objectif est de discerner une restriction alimentaire normale d’une restriction pathologique.7 

Il faut ensuite rechercher un antécédent de troubles du comportement alimentaire mais également savoir les détecter :6 la courbe de poids est analysée et le patient interrogé pour étudier si l’alimentation est perçue comme un problème.7 Le questionnaire SCOFF peut être utilisé afin de dépister un potentiel trouble du comportement alimentaire (tableau 4) : il s’agit de poser cinq questions ; deux « oui » ou plus signent un potentiel trouble du comportement alimentaire ; un nutritionniste est alors sollicité pour poser le diagnostic. Ces troubles du comportement alimentaire impliquent classiquement des préoccupations concernant la silhouette ou le poids. 

Il ne faut pas non plus méconnaître un avoidant restrictive food intake disorder (ARFID), nouvelle entité décrivant des patients qui restreignent ou éliminent des aliments de manière quantitative ou qualitative mais pas dans le but de perdre du poids. Ce comportement alimentaire s’associe à une perte de poids, à un déficit nutritionnel, à une dépendance à l’alimentation artificielle et/ou à une altération du fonctionnement social. Ces patients sont souvent qualifiés de « mangeurs difficiles », de « petits appétits » ou ont un sentiment de peur en lien avec l’alimentation (déclenchement de leurs symptômes, par exemple). Le développement d’un ARFID peut être secondaire à un régime restrictif suivi pour améliorer les symptômes mais également à des facteurs psychologiques, fréquents chez les patients avec SII. 

Il est donc fondamental d’expliquer au patient le risque des régimes restrictifs sur le long terme,6 aussi bien de carences nutritionnelles que de potentiels effets sur le microbiote. Concernant l’alimentation thérapeutique pauvre en FODMAP, il faut en expliquer l’importante phase de réintroduction et que le but n’est pas de suivre le régime de manière stricte sur le long terme. Ces informations sont importantes, d’autant plus que les patients avec trouble du comportement alimentaire sont ceux qui ont tendance à poursuivre le régime et à s’exposer à ces risques.

Il est indispensable de suivre le patient après instauration d’un régime. En cas d’absence de bénéfice, il faut l’arrêter. En cas d’efficacité, il s’agit de l’adapter, en l’absence de complications. Il est conseillé de se faire aider d’un diététicien formé. Si le recours à un diététicien formé est impossible, il est plus prudent de proposer au patient de suivre les conseils diététiques standard, qui n’exposent pas aux mêmes risques et qui sont les règles également conseillées pour les patients souffrant d’ARFID.

Quel régime prescrire pour quel patient ?

Les deux régimes détaillés peuvent théoriquement être prescrits chez tous les patients avec SII, quel qu’en soit le sous-type – diarrhéique, constipé, ou alternant – et quel que soit l’âge du patient.

Troubles du comportement alimentaire 

En cas de risque ou de présence d’un trouble du comportement alimentaire (incluant les ARFID), il est déconseillé de prescrire une alimentation thérapeutique pauvre en FODMAP. 

Chez ces patients, les conseils diététiques standard peuvent être donnés, plutôt sur le versant de l’augmentation des apports et de la diversification et souvent en association à une prise en charge psychologique. Beaucoup plus faciles à suivre, ils devraient être systématiquement proposés en première ligne. De plus, leur facilité et leur moindre coût sont des atouts majeurs.

Le régime pauvre en FODMAP requiert un suivi rigoureux

Trop souvent, l’alimentation thérapeutique pauvre en FODMAP est mise en avant, et les patients trouvent très facilement des informations grand public à ce sujet (internet, presse, livres, etc.). Or ce régime restrictif ne devrait être prescrit que par des professionnels formés. 

En l’absence d’expertise ou d’accès à un diététicien formé, l’alimentation thérapeutique pauvre en FODMAP ne devrait pas être initiée.8 Chez des patients sélectionnés, ayant bien compris les risques et les enjeux, elle peut néanmoins être prescrite mais plutôt en deuxième ligne, après échec des conseils diététiques standard, et systématiquement encadrée par un diététicien avec un suivi dans le temps.

Allergies alimentaires et SII

Les allergies alimentaires sont rares chez les patients souffrant de SII, elles sont systématiquement associées à d’autres manifestations allergiques (urticaire, troubles respiratoires, etc.). La prescription des régimes dans le SII ne doit jamais reposer sur la prescription de dosages immunologiques (IgG ou IgE). Il n’est pas utile de se fonder sur les résultats des tests respiratoires (glucose, fructose, lactose) pour la prescription des conseils diététiques traditionnels et du régime pauvre en FODMAP. L’idéal est de disposer de l’aide d’un diététicien afin d’identifier les aliments pouvant déclencher les symptômes.

Diététicien : une place indispensable 

La prise en charge diététique permet une vraie amélioration de la prise en charge globale. Option préférée des patients pour l’encadrement des régimes, elle est aussi la plus efficace.9 Le diététicien peut d’abord intervenir sur l’enquête alimentaire initiale du patient, permettant de connaître ses habitudes et ses pratiques afin de mieux dépister d’éventuelles conduites alimentaires déviantes (ARFID). Il dépiste également les patients à risque de carences alimentaires.

La prise en charge diététique est indispensable dans l’alimentation thérapeutique pauvre en FODMAP. Elle permet notamment de mieux accompagner le patient dans la gestion de ce régime au quotidien, avec une adaptation selon ses habitudes alimentaires. L’observance et la compréhension sont alors meilleures, donc l’efficacité du régime également. Il n’est pas rare que des patients aient déjà tenté un régime pauvre en FODMAP mais que ce dernier n’ait pas été bien compris ou suivi de manière adéquate. Le rôle du diététicien est tout aussi important au moment de la réintroduction des FODMAP, qui est la phase cruciale et qui permet au patient d’identifier les aliments qu’il tolère et ceux qu’il ne tolère pas. Cette phase est souvent non ou mal réalisée lorsque le patient débute un régime de son propre gré, ou si une fiche de régime lui est remise sans explications ni suivi.

Encadre

Que dire à vos patients ? 

  • Les régimes peuvent être efficaces pour améliorer les symptômes gastro-intestinaux, mais il est important de prendre conseil auprès d’un médecin pour savoir lequel est le plus adapté.
  • Le plus sain est d’avoir une alimentation diversifiée et équilibrée.
  • Les conseils diététiques traditionnels consistent à prendre le temps de manger et de bien mâcher, boire suffisamment d’eau, limiter la consommation d’alcool, de café, de graisses et d’épices.
  • Le régime pauvre en FODMAP (galacto-oligosaccharides, fructanes, lactose, fructose, sorbitol et mannitol) doit être suivi de manière stricte pour une durée limitée (quelques semaines) afin d’évaluer son efficacité. Si le régime n’a pas été efficace, il faut reprendre une alimentation normale. S’il fonctionne, il faut absolument procéder à la période de réintroduction avec l’aide d’un diététicien, afin d’identifier les catégories d’aliments responsables des symptômes. Il faut réintroduire les aliments ne causant pas de symptômes. Il ne faut surtout pas suivre ce régime de manière stricte au long cours.
  • Plus d’informations sont disponibles sur le site de l’Association de patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable (APSSII) : https ://apssii.org/syndrome-intestin-irritable/lalimentation/ 
Références
1. Melchior C, Fremaux S, Jouet P, et al. Perceived Gastrointestinal Symptoms and Association With Meals in a French Cohort of Patients With Irritable Bowel Syndrome. J Neurogastroenterol Motil 2021;27(4):574-80.
2. Sturkenboom R, Keszthelyi D, Masclee AAM, et al. Discrete Choice Experiment Reveals Strong Preference for Dietary Treatment Among Patients With Irritable Bowel Syndrome. Clin Gastroenterol Hepatol 2022;20(11):2628-37.
3. Bohn L, Storsrud S, Simren M. Nutrient intake in patients with irritable bowel syndrome compared with the general population. Neurogastroenterol Motil 2013;25(1):23-30 e1.
4. Melchior C, Algera J, Colomier E, et al. Food Avoidance and Restriction in Irritable Bowel Syndrome: Relevance for Symptoms, Quality of Life and Nutrient Intake. Clin Gastroenterol Hepatol 2022;20(6):1290-8 e4.
5. Clevers E, Tran M, Van Oudenhove L, et al. Adherence to diet low in fermentable carbohydrates and traditional diet for irritable bowel syndrome. Nutrition 2020;73:110719.
6. Simons M, Taft TH, Doerfler B, et al. Narrative review: Risk of eating disorders and nutritional deficiencies with dietary therapies for irritable bowel syndrome. Neurogastroenterol Motil 2022;34(1):e14188.
7. Staller K, Abber SR, Burton Murray H. The intersection between eating disorders and gastrointestinal disorders: a narrative review and practical guide. Lancet Gastroenterol Hepatol 2023;8(6):565-78.
8. Rej A, Sanders DS, Shaw CC, et al. Efficacy and Acceptability of Dietary Therapies in Non-Constipated Irritable Bowel Syndrome: A Randomized Trial of Traditional Dietary Advice, the Low FODMAP Diet, and the Gluten-Free Diet. Clin Gastroenterol Hepatol 2022;20(12):2876-87 e15.
9. Dimidi E, McArthur AJ, White R, et al. Optimizing educational methods for the low FODMAP diet in disorders of gut-brain interaction: A feasibility randomized controlled trial. Neurogastroenterol Motil 2023:e14640.
10. Whelan K, Martin LD, Staudacher HM, et al. The low FODMAP diet in the management of irritable bowel syndrome: an evidence-based review of FODMAP restriction, reintroduction and personalisation in clinical practice. J Hum Nutr Diet 2018;31(2):239-55.

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essentiel

Le lien entre alimentation et symptômes gastro-intestinaux existe chez la majorité des patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable.

Les régimes alimentaires sont les traitements préférés des patients.

Les conseils diététiques traditionnels sont à proposer en première intention du fait de leur bonne tolérance et de leur simplicité.

Les régimes restrictifs prolongés exposent à un risque de carences nutritionnelles et de survenue de troubles du comportement alimentaire.