La lombalgie est un motif de consultation très fréquent, touchant environ 85 % de la population à un moment de la vie.1 Face à la diversité des causes possibles, l’enquête étiologique peut s’avérer complexe. Parmi les causes souvent méconnues figure le syndrome de Maigne (ou syndrome de la jonction thoracolombaire), une pathologie fonctionnelle d’origine vertébrale, encore sous-diagnostiquée. Ce terme générique désigne la « facette de Maigne », le « syndrome de la jonction thoracolombaire », la « compression du nerf clunéal », le « point gâchette de la crête iliaque postérieure » et la « pseudosciatique ».2
Le syndrome de la jonction thoracolombaire est dû à une irritation d’un nerf rachidien, souvent liée à des douleurs référées provenant des structures périarticulaires, notamment les facettes articulaires dégénératives en T12 -L1.
Un diagnostic précoce, associé à une prise en charge adaptée, permet souvent une amélioration notable, voire une résolution complète des symptômes liés au syndrome de Maigne. Il faut savoir l’évoquer devant une lombalgie.
Un syndrome identifié récemment
Le syndrome de Maigne, également connu sous le nom de douleur thoracolombaire postérieure, a été initialement décrit par le Dr Robert Maigne en 1972. Il l’avait identifié comme une douleur causée par l’irritation des branches postérieures des nerfs rachidiens au niveau des articulations costovertébrales. Ses recherches ont permis de mieux comprendre les origines et les caractéristiques de cette pathologie.
Elles ont posé les bases de son diagnostic et de sa prise en charge.
Anatomie et physiopathologie
Le syndrome de la jonction thoracolombaire affecte la région de jonction entre la poitrine et le bas du dos. Elle est causée par l’irritation du nerf rachidien en raison de la dégénérescence ligamentaire, de la capsule et/ou des facettes articulaires. La jonction thoracolombaire subit des forces de rotation et de flexion/extension uniques en raison de l’orientation des facettes et de la morphologie des vertèbres thoraciques et lombaires.2 Les nerfs rachidiens T12 et L1 ainsi que leurs branches antérieures et postérieures sont impliqués dans le syndrome de Maigne. Les branches antérieures fournissent une innervation à la partie inférieure de l’abdomen, à l’aine et au pubis tandis qu’une branche cutanée latérale fournit une innervation à la région trochantérienne. Les branches postérieures, quant à elles, innervent les tissus sous-cutanés des régions fessières supérieures et lombaires inférieures. Les branches latérales de la branche dorsale innervent les muscles longissimus et costolombaires, ainsi que la peau du dos latéralement aux articulations facettaires. Les branches médiales de la branche dorsale innervent les facettes articulaires, les muscles paraspinaux et la peau du dos médialement aux facettes articulaires (fig. 1).
Cette répartition de l’innervation explique la nature diffuse des symptômes associés au syndrome de Maigne, tels que les douleurs lombaires, la pseudosciatique, les douleurs de hanche et les douleurs pseudoviscérales.
Les mécanismes physiopathologiques du syndrome de Maigne ne sont pas complètement élucidés, mais plusieurs pistes sont étudiées. La compression ou l’irritation des terminaisons nerveuses pourrait ainsi être à l’origine des douleurs caractéristiques. Cette compression peut être due à des contraintes mécaniques, à une inflammation locale ou à des microtraumatismes répétés. De plus, des facteurs génétiques et des malpositions vertébrales peuvent également être impliqués dans le développement de ce syndrome douloureux.
Une maladie rare
Le syndrome de Maigne est une pathologie relativement rare, avec une prévalence estimée à moins de 1 % de la population générale. Robert Maigne avait néanmoins rapporté une incidence de 40 % parmi une cohorte de 350 patients souffrant de lombalgies.2
Bien que la maladie puisse toucher des individus de tout âge, elle est plus fréquente chez les adultes d’âge moyen, en particulier entre 30 et 60 ans.
Les études épidémiologiques ont montré une légère prédominance de la maladie chez les femmes par rapport aux hommes, avec un ratio d’environ 3 pour 2.
De plus, certaines professions impliquant des mouvements répétitifs ou des positions contraignantes pourraient augmenter le risque de développer ce syndrome. D’autres facteurs de risque tels que l’obésité, le tabagisme et les antécédents de traumatisme lombaire ont également été identifiés.
Démarche diagnostique
Le symptôme le plus fréquent est une douleur référée aux structures innervées par les branches dorsales des nerfs spinaux T11, T12 et L1. Les patients peuvent rapporter des douleurs au niveau du bas du dos, des fessiers, de la symphyse pubienne, du pli de l’aine et de la cuisse (fig. 2).3 La douleur est exacerbée par la palpation de la jonction dorsolombaire et par certains mouvements du tronc, tels que la flexion latérale ou la rotation.
La clinique en premier lieu
Le diagnostic clinique du syndrome de Maigne repose avant tout sur un examen physique minutieux. Les signes évocateurs incluent :
- des douleurs unilatérales, parfois mal localisées, résistantes aux traitements habituels ;
- une douleur réveillée par la palpation profonde de la gouttière paravertébrale (autour de T12 -L1) ;
- des zones d’hyperesthésie cutanée ou de douleur au pincer-rouler.
Les zones concernées sont les régions lombaire postéro-inférieure, fessière supérieure, cuisse supéro-interne ainsi que les régions du grand trochanter et quadrants abdominaux inférieurs bilatéraux.4
Diagnostics différentiels
Ce syndrome est souvent confondu avec des pathologies gynécologiques, urologiques, digestives ou orthopédiques (encadré), retardant ainsi le diagnostic.
Examens paracliniques
Pour confirmer le diagnostic de syndrome de Maigne, des examens complémentaires peuvent être utiles. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) peut mettre en évidence d’éventuelles lésions vertébrales ou discales responsables de la douleur. Les radiographies standards peuvent aider à rechercher des anomalies structurales.
L’électromyographie (EMG) peut aider à évaluer l’intégrité des nerfs et des muscles innervés par le point de Maigne.
Les blocs nerveux ciblés constituent une méthode diagnostique prometteuse permettant d’identifier et de localiser l’origine des douleurs. Ils consistent en l’injection d’un anesthésique local sous guidage échographique ou fluoro-scopique. La localisation précise de la pathologie douloureuse est confirmée uniquement si le patient rapporte une disparition complète de la douleur après l’injection.
Trois volets de prise en charge
La prise en charge associe des mesures médicamenteuses et de rééducation. Des thérapeutiques complémentaires peuvent être proposées.
Approches médicamenteuses
La prise en charge médicamenteuse du syndrome de Maigne vise principalement à soulager la douleur et l’inflammation.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens tels que l’ibuprofène ou le diclofénac peuvent être prescrits pour réduire l’inflammation au niveau du point de Maigne et soulager la douleur associée.
Les relaxants musculaires peuvent également être utilisés pour détendre les muscles environnants et réduire la pression exercée sur le point de compression.
Dans certains cas de douleur neuropathique, des médicaments tels que la gabapentine ou la prégabaline peuvent être prescrits. Il est important que la prise de ces médicaments soit surveillée par un médecin afin d’ajuster les posologies et minimiser les effets indésirables.
Thérapies physiques et rééducation
La rééducation et les thérapies physiques jouent un rôle important dans le traitement du syndrome de Maigne. Les exercices de renforcement musculaire, en particulier des muscles abdominaux et lombaires, peuvent aider à stabiliser la colonne vertébrale et à réduire la pression exercée sur le point de Maigne. Les étirements spécifiques visant les muscles impliqués dans ce syndrome, tels que le muscle carré des lombes, peuvent également contribuer à soulager la douleur.5,6
Par ailleurs, la physiothérapie peut inclure des techniques de relaxation et de biofeedback* (ou rétroaction biologique) qui peuvent aider les patients à gérer leur douleur.
Les thérapies physiques et la rééducation doivent être adaptées à chaque patient en fonction de ses symptômes et de sa condition physique.7,8
Autres traitements
Les options thérapeutiques incluent également les injections de corticoïdes intra-articulaires (facettes), la rhizotomie percutanée, l’électrocoagulation, l’acupuncture, la dénervation chirurgicale de la facette concernée, ainsi que les blocs nerveux
réalisés sous guidage échographique.9 - 12 Des études suggèrent qu’une approche combinée, telle que l’association d’un programme d’exercices physiques à l’injection de stéroïdes, présente des bénéfices supérieurs à ceux des traitements pris isolément.13
Évolution et complications éventuelles
Les complications du syndrome de Maigne peuvent inclure des douleurs chroniques persistantes, des restrictions fonctionnelles et une diminution de la qualité de vie. La persistance des symptômes malgré un traitement approprié est également redoutée.
En ce qui concerne le pronostic, il est important de noter que le syndrome de Maigne peut être invalidant pour certains patients, mais un diagnostic précoce et une prise en charge adéquate peuvent grandement améliorer les résultats à long terme. Les patients doivent être informés des complications potentielles et être encouragés à suivre les recommandations médicales pour minimiser les risques et améliorer leur pronostic.
Diagnostics différentiels du syndrome de Maigne
Pathologies rachidiennes
- Lombalgies communes (discopathies dégénératives, protrusion discale)
- Canal lombaire étroit
- Spondylolisthésis
- Fracture vertébrale (traumatique ou ostéoporotique)
- Scoliose ou troubles statiques
Pathologies sacro-iliaques
- Dysfonction articulaire sacro-iliaque (blocage, inflammation)
- Spondylarthrite ankylosante
Pathologies musculosquelettiques
- Tendinopathies de la hanche (moyen fessier, psoas)
- Bursite trochantérienne
Pathologies abdominales ou pelviennes
- Douleurs viscérales projetées (colopathies fonctionnelles, endométriose, adénomyose)
- Hernie inguinale ou crurale
- Pathologies urologiques (lithiase urétérale, pyélonéphrite)
- Affections gynécologiques (kyste ovarien, salpingite)
Douleurs neuropathiques
- Névralgie ilio-inguinale, iliohypogastrique ou génitofémorale
- Douleurs post-chirurgicales (exemple : cicatrice de césarienne)
Que dire à vos patients ?
La prise en charge du syndrome de Maigne associe des mesures médicamenteuses et de rééducation. Des thérapeutiques complémentaires et des infiltrations ciblées peuvent être proposées.
Les complications existent et peuvent inclure des douleurs chroniques persistantes et des restrictions fonctionnelles, avec un possible retentissement sur la qualité de vie.
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