Une vaste étude sur l’ensemble de la population coréenne vient de montrer, pour la première fois, qu’il faut attendre beaucoup plus longtemps qu’on ne le pensait pour voir le risque cardiovasculaire de certains ex-fumeurs rejoindre celui des personnes n’ayant jamais fumé…

C’est connu : l’exposition cumulée au tabac (quantité de cigarettes fumées et années de tabagisme) est un facteur qui influence le risque cardiovasculaire (CV) des anciens fumeurs, en raison des dommages cumulatifs induits par les substances nocives du tabac sur les cellules, même lorsque la quantité quotidienne fumée est faible.

Toutefois, la relation entre la réduction du risque CV après le sevrage et cette exposition cumulée auparavant n’est pas claire. Des données divergentes n’ont pas permis de déterminer si le sur-risque CV des ex-fumeurs diminue 5, 10 ou 20 ans après l’arrêt du tabac (ou éventuellement des décennies plus tard) et dans quelle mesure cela dépend aussi du profil tabagique (exposition cumulée).

Selon les guidelines européennes et américaines actuelles – et les scores de calcul de risque CV qui en sont issus (comme le SCORE2) –, le risque CV des anciens fumeurs rejoint celui des personnes n’ayant jamais fumé entre 10 et 15 ans après le sevrage pour la plupart d’entre eux. Or certains travaux suggèrent des durées plus longues (jusqu’à 30 ans), mais ces résultats devaient être confirmés par des études sur des cohortes plus vastes. 

C’est chose faite grâce à une étude de cohorte nationale rétrospective sur plus de 5 millions de personnes, qui est la plus vaste publiée à ce jour sur ce sujet. Elle permet de mieux apprécier la relation entre le risque cardiovasculaire des anciens fumeurs, leur exposition cumulée au tabac et le temps écoulé depuis le sevrage. 

Au-delà de 8 paquets-années, il faut plus de 20 ans pour voir disparaître le sur-risque CV

Sur plus de 8 millions de personnes initialement sélectionnées dans la base de données nationale de santé, 5 391 231 ont été retenues (40 % d’hommes ; âge moyen : 45,8 ans) après exclusion de celles ayant un antécédent de maladie CV ou ayant rapporté des changements dans leur statut tabagique durant la période de suivi. 

Ainsi, dans cette cohorte, 15,8 % des participants étaient des fumeurs et 1,9 % des ex-fumeurs ; le reste des personnes n’avaient jamais fumé (non-fumeurs). Dans les deux premiers groupes, 4 sous-groupes ont été constitués selon le niveau d’exposition cumulée au tabac (exprimé en paquets-années [PA] : nombre de paquets fumés par jour multiplié par le nombre d’années de tabagisme) : 0 à 10 PA, 10 à 20 PA, 20 à 30 PA et plus de 30 PA. La distribution était similaire : environ la moitié des fumeurs comme des ex-fumeurs avaient une exposition comprise entre 0 et 10 PA. Enfin, pour les ex-fumeurs, le nombre d’années écoulées depuis le sevrage a été consigné. 

L’incidence de maladie CV était le critère principal de jugement (un événement composite incluant le décès pour causes CV, l’infarctus du myocarde, l’AVC et l’insuffisance cardiaque). Pendant la période de suivi, 278 315 événements sont survenus. Leur incidence était comparée entre statuts tabagiques et en fonction de l’exposition cumulée au tabac et du temps écoulé depuis le sevrage, afin de disposer de hazard ratios pour tous ces sous-groupes en comparaison aux non-fumeurs.

Les résultats de l’analyse statistique ont été ajustés pour tenir compte de l’âge, du sexe, du niveau socioéconomique, de l’activité physique, des comorbidités (BPCO, cancers, diabète, néphropathies…) et des facteurs de risque CV (IMC, HTA, dyslipidémies).

Ils ont révélé que même si pour tous les ex-fumeurs l’arrêt du tabac entraînait une réduction significative du risque CV, l’amplitude et la rapidité de cette réduction après le sevrage variaient en fonction de l’exposition au tabagisme cumulée auparavant. Les années écoulées depuis l’arrêt du tabac étaient aussi une variable déterminante pour le risque CV dans les années suivantes.

Ainsi, pour les « gros » ex-fumeurs (≥ 8 PA), il fallait attendre au moins 25 ans après le sevrage pour que leur risque CV s’aligne sur celui des personnes n’ayant jamais fumé (voir figure 2b téléchargeable ici). En revanche, pour les « petits » ex-fumeurs (< 8 PA), la réduction du risque de CV apparaissait très vite après le sevrage : dans les 5 ans suivant l’arrêt, leur risque CV devenait significativement inférieur à celui des fumeurs actuels et similaire à celui des personnes n’ayant jamais fumé (voir figure 2c téléchargeable ici).

Ces résultats confirment ceux d’autres études plus anciennes où le risque d’infarctus du myocarde persistait jusqu’à 20 ans après le sevrage tabagique. Ils apportent des données complémentaires à celles d’études plus récentes qui montrent un bénéfice rapide du sevrage sur la réduction de la surmortalité toutes causes mais ne précisent pas ces délais pour le risque CV seulement, ni en fonction de l’exposition cumulée au tabac.

Qu’en retenir ?

Cette étude souligne l’importance de la précocité du sevrage, puisque le bénéfice de l’arrêt du tabac est plus évident lorsque l’exposition cumulée est inférieure à 8 PA.

Elle suggère que les scores de risque CV devraient considérer le risque des ex-fumeurs ayant eu un tabagisme ≥ 8 PA comme équivalent à celui des fumeurs actuels puisqu’il faut plus de 20 ans d’arrêt du tabac à ces patient pour voir une diminution de leur risque CV à des niveaux comparables à celui des non-tabagiques (contrairement aux estimations actuelles qui estiment cette durée à une dizaine d’années).

D’autres études sont nécessaires pour savoir si ces résultats sont généralisables à la population féminine, puisque dans cette cohorte moins de 5 % des fumeurs ou ex-fumeurs étaient des femmes.

Pour en savoir plus
Hwan Cho J, Yong Shin S, Kim H, et al. Smoking Cessation and Incident Cardiovascular Disease.  JAMA Netw Open 2024;7(11):e2442639.

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