Jusqu’à récemment, on considérait comme fortuite la survenue de cancers cutanés chez des personnes tatouées (sauf pour le kérato-acanthome), mais aucune étude de cohorte basée sur la population n’existait, hormis une, publiée en 2020, qui suggérait un sur-risque non significatif de carcinome basocellulaire sur les localisations des tatouages. D’autres types de cancers n’avaient pas été étudiés en ce sens, jusqu’à ce qu’une vaste étude sur toute la population suédoise, parue en 2024, trouve que les personnes tatouées avaient un sur-risque de 20 % d’avoir des lymphomes malins par rapport aux non tatouées.
Une étude danoise qui vient d’être publiée dans le BMC Public Health est la première à explorer les liens entre le fait d’avoir un tatouage et le risque de survenue de lymphomes et de cancers cutanés en exploitant les données de jumeaux selon deux méthodes différentes pour réduire les biais.
Les cancers choisis étaient ceux de la peau et les lymphomes, car un mécanisme oncogène est le plus plausible : étant donné que l’encre de tatouage passe de la peau au sang et s’accumule dans les ganglions lymphatiques, elle peut induire une inflammation chronique et augmenter le risque de prolifération cellulaire anormale. De plus, alors que ce mécanisme est indépendant du caractère cancérigène ou non des encres utilisées, le risque pourrait être aggravé si les encres ont elles-mêmes des composés cancérigènes.
Le risque de cancers cutanés et de lymphomes multiplié par plus de 2
Les données issues de la Danish Twin Tattoo Cohort (DTTC), constituée en 2021, ont été utilisées. Cette cohorte croisait la base de données nationale des jumeaux (Danish Twin Register, DTR) et le registre national des cancers, et proposait aux participants de répondre à des questionnaires sur leur éventuels tatouages (âge de réalisation du premier, taille, couleur), sur des aspects sociodémographiques et sur leur style de vie (tabagisme, consommation d’alcool, activité physique…).
Les chercheurs ont réalisé, d’une part, une étude cas-témoin avec toutes les paires de jumeaux nés au Danemark entre 1960 et 1996 et dont l’un des membres a reçu un ou plusieurs diagnostics de cancer après l’âge de 20 ans (pour un total de 361 jumeaux). Les cancers pris en compte étaient : lymphomes hodgkinien et non-hodgkinien (N = 32), cancers cutanés de type mélanome ou non, excluant les carcinomes basocellulaires (N = 119), cancers des voies urinaires ou de la vessie (N = 10).
D’autre part, les chercheurs ont réalisé une étude de cohorte sur 2 367 jumeaux sélectionnés au hasard dans la DTR, nés entre 1960 et 1996, et dont au moins un pouvait être contacté pour répondre aux enquêtes. Dans cette cohorte, les diagnostics de lymphomes (N = 6), cancers cutanés (N = 16) et carcinomes basocellulaires (N = 29) étaient les critères évalués, avec le reste de la cohorte constituant les groupes contrôle.
Dans la première étude (cas-témoin) :
- le risque de survenue de cancer de la peau – tous types confondus sauf carcinome basocellulaire – augmentait de 62 % chez les tatoués par rapport aux non-tatoués (HR = 1,62 ; IC95 % : 1,08 - 2,41). L’analyse de 14 paires de jumeaux « discordantes » – c’est-à-dire dont un seul avait un tatouage et un cancer de la peau – a montré un risque 33 % plus important (IC95 % : 0,46 - 3,84) ;
- lorsque la surface tatouée était importante (c’est-à-dire occupant, pour la totalité des tatouages, une surface plus grande que la paume d’une main), le risque de cancers de la peau et de lymphomes était multiplié par plus de 2 par rapport aux personnes non tatouées (respectivement : HR = 2,37 avec IC95 % : 1,11 - 5,06 ; HR = 2,73 avec IC95 % : 1,33 - 5,60). Pour les lymphomes, le sur-risque n’était pas retrouvé lorsque la taille des tatouages n’était pas prise en compte. Enfin, l’effet des tatouages sur la survenue de cancers urinaires n’a pas pu être estimé.
Dans l’étude de cohorte, la présence d’un tatouage multipliait par près de 4 le risque de survenue d’un cancer de la peau hors carcinome basocellulaire (HR = 3,91 ; IC95 % : 1,42 - 10,8) et par près de 3 celui d’un carcinome basocellulaire (HR = 2,83 ; IC95 % : 1,30 - 6,16). En revanche, cette partie de l’étude n’a pas permis d’estimer les effets des tatouages sur la survenue des lymphomes.
Ces résultats suggèrent que le fait d’être tatoué augmente le risque de survenue de certains cancers, mais d’autres études sont encore nécessaires pour établir un lien de causalité. Par ailleurs, le risque au niveau individuel resterait rare, notamment pour les cancers peu fréquents comme les lymphomes. « Les personnes ayant déjà un tatouage ou envisageant de se faire tatouer ne devraient pas s’inquiéter outre-mesure pour le moment », a déclaré Signe Bedsted Clemmensen, première auteure de l’étude.
Fox-Skelly J. Tattoos are being linked to some cancers. Are they really a risk? New Scientist 20 mars 2025.