Les tendinopathies du pied et de la cheville sont des pathologies d’hypersollicitation.
La tendinopathie calcanéenne est la tendinopathie du pied et de la cheville la plus fréquente. Son incidence est de 1,85 pour 1 000 dans la population générale et de 2,35 pour 1 000 chez les adultes âgés de 21 à 60 ans.1
Elle est l’apanage du sujet sportif et représente 30 à 50 % de l’ensemble des lésions liées au sport.2 Plus rarement, elle peut être liée à une pathologie inflammatoire ou métabolique.
Son diagnostic est essentiellement clinique, mais l’imagerie, notamment l’échographie, est souvent utile afin d’exclure d’autres troubles musculo-squelettiques et pour orienter les cliniciens dans leur choix thérapeutique.3
L’ensemble des mécanismes physiopathologiques de ces lésions n’a pas encore été parfaitement élucidé. Certains auteurs plaident en faveur d’une vascularisation particulière du tendon calcanéen.4
Le signe fonctionnel le plus fréquent est la talalgie postérieure. La douleur peut siéger dans la partie corporéale ou au niveau de l’enthèse – c’est-à-dire à l’insertion du tendon calcanéen sur l’os. Elle siège plus rarement à la jonction myotendineuse.
L’examen peut mettre en évidence la présence d’une tuméfaction ou d’un épaississement douloureux lors de la palpation. Les tests tendineux sont également positifs.
Tendinopathie calcanéenne : de quoi parle-t-on ?
Le terme de tendinopathie calcanéenne est utilisé car il permet de regrouper l’atteinte des différents éléments anatomiques suivants :5
- le corps du tendon, siège de tendinose localisée ou diffuse ;
- les gaines péri- ou juxtatendineuses avec inflammation, réalisant de véritables péritendinites et ténosynovites ;
- les bourses séreuses à l’origine de bursites rétro- ou préachilléennes ;
- la jonction ténopériostée sur le calcanéum (l’enthèse), qui peut être siège d’inflammation (enthésite) ou de calcification ;
- la jonction myotendineuse.
Le terme de « tendinite » est réservé aux formes impliquant une atteinte inflammatoire.6
Rappels anatomiques
Triceps sural
Le triceps sural est un muscle long et volumineux qui résulte de la fusion des muscles gastrocnémien et soléaire. Il contribue à sculpter le mollet et relie le fémur, le tibia et la fibula au calcanéum par le biais du tendon calcanéen. Triarticulaire, il intervient au niveau des articulations subtalienne, talocrurale et du genou.7 Le muscle triceps sural est innervé par le nerf tibial (S1 -S2), qui est une branche du nerf sciatique.7 Il est vascularisé par les artères tibiale postérieure et fibulaire, branches de l’artère poplitée.7
Le muscle gastrocnémien est triarticulaire (genou, talocrurale et subtalienne), tandis que le muscle soléaire est biarticulaire (talocrurale et subtalienne).
Lorsque le pied est en flexion, le muscle gastrocnémien permet la flexion de l’articulation du genou, contribuant ainsi à la force propulsive de la locomotion.
Le muscle soléaire agit comme extenseur du pied, stabilisant la jambe sur le pied en position debout.
Dans son ensemble, le triceps sural agit en tant qu’extenseur du pied (ou fléchisseur plantaire de la cheville), jouant ainsi un rôle crucial dans la marche et le saut en ramenant l’arrière du pied vers le haut, abaissant les orteils ou relevant le talon lorsque le pied est au sol.
Tendon calcanéen
Le tendon calcanéen correspond au tendon terminal du muscle triceps sural. Il est superficiel et naît de la réunion des lames fibreuses des différents faisceaux des deux chefs du muscle gastrocnémien, du muscle soléaire et du muscle plantaire au niveau du tiers inférieur de la jambe. Il s’agit du tendon le plus long et le plus volumineux du corps humain (12 à 15 cm de longueur et 5 à 6 cm d’épaisseur). Il se termine sur la tubérosité calcanéenne, dont il est séparé par une bourse séreuse, et forme ainsi l’enthèse calcanéenne.7
Causes de la tendinopathie calcanéenne
Le plus souvent d’origine mécanique, la tendinopathie calcanéenne peut également être de cause inflammatoire, métabolique ou iatrogène.
Origine mécanique
La tendinopathie calcanéenne d’origine mécanique touche plus fréquemment les athlètes, surtout les coureurs et les sportifs de haut niveau. En effet, l’hypersollicitation, le surmenage et les microtraumatismes peuvent en être la cause.8,9
D’autres facteurs tels que le surpoids, les troubles statiques du pied, un tendon calcanéen court ou un mauvais chaussage peuvent également induire une tendinopathie calcanéenne.
Causes inflammatoires
Au cours des spondyloarthrites, des tendinites calcanéennes d’insertion (enthésites) peuvent être mises en évidence. Elles donnent alors des talalgies postérieures qui surviennent dès le lever, lors de la mise en charge, puis s’estompent lentement à la marche, constituant un véritable dérouillage matinal. Une bursite rétrocalcanéenne peut être associée, entraînant une tuméfaction locale.10 La douleur talonnière est révélatrice de la spondyloarthrite dans presque un quart des cas.11
La fréquence de la tendinopathie calcanéenne dans le groupe des spondylo-arthrites a été évaluée par plusieurs auteurs. Elle est de 25 à 58 % au cours de la spondylarthrite ankylosante12 et de 20 % au cours du rhumatisme psoriasique.13
Puisque le tendon calcanéen est dépourvu de synoviale, son atteinte au cours de la polyarthrite rhumatoïde est rare.14
Causes métaboliques
Les tendinopathies calcanéennes d’origine métabolique sont rares. Le diagnostic est facile à poser lorsque la maladie métabolique est déjà connue, souvent ancienne et mal équilibrée. Il doit être évoqué quand l’atteinte tendineuse intéresse plusieurs sites et lorsqu’elle est associée à une arthropathie (goutte, rhumatisme à apatite ou chondrocalcinose). La tendinopathie calcanéenne est rarement révélatrice de l’affection métabolique et elle est parfois favorisée par le surmenage mécanique.15,16
Causes iatrogènes
La détection d’une cause iatrogène se fait à l’interrogatoire. Les médicaments les plus souvent incriminés sont les glucocorticoïdes, les fluoroquinolones, les statines et les médicaments inducteurs d’hyperuricémie (diurétiques, ciclosporine). Un facteur mécanique est parfois associé. Les délais d’apparition des symptômes tendineux sont variables, de zéro à quinze ans, avec une moyenne de huit mois. Les facteurs favorisants sont un âge supérieur à 60 ans, les activités physiques excessives, les antécédents de tendinopathie et la prise concomitante de médicaments ayant une potentielle toxicité tendineuse.
Examen clinique
L’interrogatoire est la première étape : il permet de localiser la douleur, son intensité et les facteurs déclenchants, d’évaluer l’impact fonctionnel sur les activités quotidiennes et de recueillir des informations sur les antécédents médicaux, les habitudes de chaussage et les éventuelles activités sportives pratiquées.
Examen en position debout
Le testing tendineux (ou évaluation segmentaire) est réalisé genoux fléchis afin d’éliminer l’action des muscles gastrocnémiens : montée sur la pointe des pieds (cotation 3 : contraction contre la pesanteur), montée sur la pointe des pieds en appliquant une pression sur les épaules (cotation 4 : contraction contre résistance) et se tenir sur un seul membre en appliquant une pression sur les épaules (cotation 5 : normal).
Examen en décubitus ventral
La palpation du tendon sur toute sa longueur met en évidence un nodule douloureux en cas de ténosynovite nodulaire et une crépitation neigeuse en cas de péritendinite.
Les signes témoignant d’une éventuelle rupture tendineuse doivent être recherchés, notamment la visualisation d’un équin spontané (signe de Brunet positif), la palpation d’une solution de continuité et un signe de Thompson positif. Cette dernière manœuvre consiste à presser latéralement les masses du triceps sural. Dans la situation normale, une légère flexion plantaire du pied se produit (test négatif), et en cas de rupture, aucun mouvement ne se produit (test positif).
Examen en décubitus dorsal
La recherche d’une hypoextensibilité du triceps sural se fait en utilisant le test de Silfverskiöld, utile pour différencier une contracture du gastrocnémien et du soléaire. Ce test évalue la dorsiflexion du pied au niveau de l’articulation de la cheville, en variant la position du genou entre l’extension complète et une flexion à 90°. Un résultat positif est concluant lorsque la dorsiflexion à l’articulation de la cheville est plus prononcée avec le genou fléchi qu’en extension.
Examen à la marche
La marche sur la pointe des pieds est difficile ou impossible à réaliser en cas de rupture du tendon calcanéen
Examen sur le podoscope
Temps capital de tout examen du pied et de la cheville, il a pour but de rechercher un trouble statique du pied associé, et surtout de visualiser l’orientation du tendon calcanéen (varus ou valgus).
Examen de la chaussure
Dernier temps capital de tout examen podologique, il permet d’examiner les semelles à la recherche d’usure et de signes indirects de varus ou de valgus de l’arrière-pied.
Intérêts de l’échographie dans la tendinopathie calcanéenne
Le diagnostic de tendinopathie calcanéenne peut être purement clinique. Cependant, l’échographie peut avoir plusieurs intérêts.
Pour un diagnostic précoce
L’échographie est un examen d’imagerie de choix de l’étude des tendons en général, et du tendon calcanéen en particulier. C’est un outil simple, peu coûteux et plus sensible que l’examen clinique17,18 ou que la radiographie standard.18
Kamel et son équipe ont comparé l’apport de l’échographie par rapport à l’IRM dans une étude sur l’enthésopathie. Il en résulte que l’échographie est aussi sensible que l’IRM. De plus, l’échographie est plus économique et plus accessible et elle offre l’avantage de pouvoir étudier plusieurs enthèses au cours du même examen.19 Une récente étude menée par Agache et ses collaborateurs a montré que l’échographie des enthèses pratiquée chez des patients atteints de rhumatisme psoriasique pouvait détecter des enthésites infracliniques à un stade précoce.20
Poser certains diagnostics différentiels
L’échographie permet de différencier une enthésopathie d’origine mécanique d’une enthésopathie d’origine inflammatoire grâce au Doppler puissance. En effet, au cours de l’enthésopathie inflammatoire, l’hyperhémie est visualisée au contact de la corticale, contrairement à l’enthésopathie mécanique où l’hyperhémie est absente ou visualisée à distance de la corticale.20
Permettre un suivi optimal
Une récente étude menée par l’équipe de Collada, incluant 25 patients atteints de spondyloarthrite, a démontré que les lésions enthésitiques échographiques s’étaient nettement améliorées après traitement biologique.21
Analyse des aspects échographiques
L’échographie est donc la méthode d’imagerie de choix pour l’étude du tendon calcanéen.22
Aspect échographique normal
En utilisant le mode « brillance » (ou mode B) de l’échographe, le tendon calcanéen d’aspect normal a une structure fibrillaire, il est non épaissi, bien délimité et légèrement plus échogène que le tissu adipeux (fig. 1). Le mode « Doppler » ne met en évidence aucune anomalie.
Aspect échographique pathologique
En mode B
En cas de tendinopathie calcanéenne, le tendon calcanéen perd son aspect fibrillaire. Il est épaissi de manière localisée ou diffuse. Il peut être mal délimité et prend un aspect hypoéchogène (fig. 2).
L’échographie peut révéler des signes associés tels qu’un enthésophyte (néoformation osseuse qui prend son origine sur la moitié distale de la corticale osseuse et se traduit par une image linéaire hyperéchogène), une calcification intratendineuse (image hyperéchogène avec un cône d’ombre postérieur) [fig. 2], une érosion (interruption focalisée de la corticale osseuse, visible sur deux plans de coupe perpendiculaires) ou une bursopathie pré- ou rétroachilléenne (plage prétendineuse dont l’échogénicité est variable en fonction de la quantité de liquide présente dans la bourse et de l’épaisseur de sa paroi).23,24
L’échographie permet également de visualiser l’existence ou non de ruptures tendineuses, soit partielles (image anéchogène visible sur deux plans orthogonaux), soit complètes (perte de continuité du tendon avec rétraction).23
En mode Doppler
En cas de tendinopathie calcanéenne, le Doppler puissance objective la prolifération vasculaire sous forme d’hyper-signal Doppler intratendineux ou péri-enthésique, c’est-à-dire à moins de deux mm de son insertion sur la corticale osseuse (fig. 3). Le Doppler puissance a un intérêt dans le suivi des lésions, du processus de réparation et de néovascularisation, puis de cicatrisation et de guérison.25
Limites de l’échographie dans l’étude du tendon calcanéen
Les résultats et le compte-rendu des échographies des tendons en général, et du tendon calcanéen en particulier, dépendent de la qualité de l’échographe et des compétences de l’opérateur. Plusieurs artéfacts peuvent également rendre l’interprétation des images difficile ; ils n’ont pas de réalité anatomique ou pathologique et peuvent être liés à des réverbérations, des effets d’ombre acoustique, de renforcement postérieur ou de distorsions angulaires.26
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