Considérée comme une théorie complotiste au début de la pandémie, l’hypothèse d’un accident de laboratoire est revenue sur le devant de la scène pour expliquer l’origine du SARS-CoV-2, à la lumière de plusieurs investigations scientifiques. Que savons-nous aujourd’hui ?

Résumé de la séance « De l’origine du SARS-CoV2 à la virologie/biologie dangereuse » tenue à l’Académie nationale de médecine, rédigé par Christine Rouzioux et Patrick Berche.

Trois ans après le début de la pandémie de Covid-19, qui a déjà fait plus de 20 millions de morts, le cœur de la question est d’essayer de comprendre ce qui s’est passé tant au niveau virologique (génétique virale, origine animale) que de la diffusion et de l’épidémiologie, afin de tenter de prévenir d’autres épidémies.

Plusieurs hypothèses circulent encore sur l’origine de la pandémie.

L’hypothèse de l’origine naturelle du virus est relancée par la découverte de matériel génétique de chiens viverrins au marché de Wuhan. Mais les données sur les chiens viverrins ne montrent pas qu’ils ont été contaminés, et les résultats sont partiellement analysés statistiquement. Aucun foyer n’a été rapporté dans la partie hébergeant les animaux en cage au marché de Wuhan. De plus, c’est au niveau du « seafood market » que le foyer d’infections a émergé.

À l’inverse, les travaux du groupe de Marc Eloit sont particulièrement informatifs concernant les virus de chauves-souris et ceux proches du SARS-CoV-2 : aucun ne possède la séquence du virus pandémique facilitant la transmission chez l’homme (le site furine au niveau de la séquence S1-S2). En effet, de nombreuses études virologiques se questionnent sur la possibilité de voir un tel site furine apparaître de façon naturelle au sein de souches de chauves-souris : cela implique soit de trouver des chauves-souris infectées par de tels virus soit de trouver des animaux, réservoirs intermédiaires, réellement infectés !

La communauté scientifique reste donc partagée sur la question de l’origine du virus et sur l’analyse des faits. Chacun a son opinion et il est difficile d’y déroger, même face à de nouveaux arguments. Ce sont toujours les mêmes groupes qui sont à charge de l’une ou l’autre des hypothèses, avec des enjeux politiques plus ou moins pris en compte. Il faut suivre la littérature de chaque groupe, voir qui publie quoi, pour bien identifier les groupes de pression et leur rôle.

Aussi, le rapport du Sénat américain doit être analysé avec un certain recul. La question d’un « complot » a été soulevée par Donald Trump, ce qui a rendu peu crédible son attaque directe impliquant la responsabilité des Chinois – ce qui permettait au passage d’ôter toute responsabilité américaine, au moins en partie, et en même temps d’accuser les démocrates d’avoir laissé passer des manips de GOF conduisant à des virus dangereux (un GOF ou « gain de fonction » désigne toute expérience ayant pour effet prévisible d’augmenter la dangerosité d’un pathogène pandémique potentiel). Toutefois, ce rapport est intéressant car c’est une véritable enquête, différente de la seule analyse de la littérature scientifique, apportant de nombreux faits réels, bien documentés. Il ne peut pas être ignoré.

Il reste à trouver les pièces manquantes au puzzle, qui certes sont encore nombreuses. Les vraies données chinoises ne sont pas et ne seront jamais accessibles, notamment la date de l’identification du virus et de leurs premières expériences en matière de vaccins (sans doute avant novembre 2019 ; à partir de quelle souche virale, modifiée ou non ?). La question des responsabilités chinoises et américaines est donc difficile. Mais, en définitive, le rôle de la Chine mérite d’être analysé.

La très mauvaise gestion de la pandémie par la Chine peut montrer que :

  • soit le risque de pandémie a été largement sous-estimé : laisser partir plus de 5 millions de personnes de Wuhan en janvier 2020 dans toutes les provinces au moment du nouvel an chinois paraît rétrospectivement très déraisonnable, alors que le nombre de cas et la rapidité à construire des hôpitaux était saluée de tous – il se passait donc bien quelque chose de grave dès cette époque qui a été signalé tardivement au niveau international ;
  • soit la nécessité de cacher les réalités afin de s’exonérer de toute responsabilité. Choisir le marché d’animaux comme source de virus et comme origine naturelle reste trop peu documenté. La rétention d’informations par les autorités chinoises pose de nombreuses questions.

On ne peut envisager quelque chose d’intentionnel, mais plutôt voir les faits d’un pays qui s’est laissé complètement déborder et n’a pas du tout su ni gérer ni anticiper l’importance du problème. Une partie des responsabilités de la Chine paraît difficile à éliminer. À quel niveau se situe-t-elle ?

  • Un virus qui a diffusé naturellement et qui n’a pas été contrôlé par une politique adéquate.
  • Un virus dangereux construit en laboratoire qui s’est disséminé « naturellement » ou bien par accident, et qui n’a pas été contrôlé par une politique adéquate.

Réfléchir à l’origine de cette épidémie permet d’aborder la question des responsabilités des pays et des organisations internationales, y compris celle de l’OMS, et devrait permettre d’envisager un moratoire et une réflexion au niveau national et international sur l’intérêt et les conditions de manipulations de pathogènes dangereux.

Enfin, du point de vue virologique, il reste aussi beaucoup à apprendre et de nombreuses recherches sont plus que jamais nécessaires :

  • Quelle est l’origine du site furine dans le SARS-CoV-2 ? Est-il possible qu’il soit apparu progressivement chez des animaux ayant servi de réservoirs intermédiaires ? Pourquoi ne les avons-nous toujours pas trouvés ?
  • Avec les techniques de modélisation et d’estimation de l’évolution des virus, quel serait le temps minimum nécessaire pour voir évoluer le site furine ? L’analyse de l’évolution des souches virales au cours de l’épidémie laisse peu de place à une formation naturelle, car le virus est très récent et reste assez homogène dans le temps. Ce point est très intrigant.
  • Quels sont les différents sites furine dans le groupe des β-coronavirus et dans ceux plus éloignés d’autres coronavirus (aucun site furine chez les ~ 100 sarbécovirus séquencés, excepté le SARS-CoV-2) ? Chez quels animaux peut-on les trouver ? Quels foyers de coronavirus ont été identifiés en Asie, à quels endroits ? Dans quelles espèces animales ?
  • Les banques de coronavirus de chauves-souris des laboratoires de Wuhan (inaccessibles depuis septembre 2019) permettraient-elles de mieux connaître la diversité de virus connus en Chine ?

Enfin, il faut analyser l’impact des techniques et des expériences de gains de fonction (GOF) et réfléchir sur le niveau de risque qui existe en France : combien de laboratoires et de biologistes moléculaires sont concernés ? Quelles sont les procédures de sécurité validées ? Quelle réglementation est nécessaire ?

Pour en savoir plus
Temmam S, Vongphayloth K, Eduard Baquero E, et al. Bat coronaviruses related to SARS-CoV-2 and infectious for human cells.  Nature 2022;604(7905): 330-6.
Li W, Wicht O, van Kuppeveld FJM, et al. A Single Point Mutation Creating a Furin Cleavage Site in the Spike Protein Renders Porcine Epidemic Diarrhea Coronavirus Trypsin Independent for cell entry and fusion. J Virol 2015; 89(15):80778081.
Rozo M, Gronvall GK. The Reemergent 1977 H1N1 Strain and the Gain-of-Function Debate.  mBio 2015;6(4):e01013-15.
Senate Committee on Health Education, Labor and Pensions. An Analysis of the origins of Covid-19 Pandemic. Octobre 2022.
Coutard B, Valle C, de Lamballerie X, et al. The spike glycoprotein of the new coronavirus 2019-nCoV contains a furin-like cleavage site absent in CoV of the same clade.  Antiviral Res 2020;176:104742.

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