Le Pr Jean-Marc Vital, chirurgien du rachis, dit fréquemment, lorsqu’il s’adresse aux patients souffrant de lésions arthrosiques lombaires : « Il me semble qu’il ne faut pas vous opérer de la colonne vertébrale. » Il s’agit en effet d’une pathologie souvent fonctionnelle qui nécessite une analyse précise de la topographie douloureuse et des résultats de l’imagerie.La chirurgie rachidienne a deux buts essentiels : décomprimer les structures nerveuses pour diminuer la douleur et le déficit neurologique et stabiliser les segments intervertébraux altérés.Autour de l’indication opératoire, il y a trois acteurs : le patient, le bilan lésionnel et le chirurgien.La plainte du patient doit être analysée ainsi que sa personnalité et sa capacité à se projeter positivement. Le patient doit être inclus dans un modèle bio-psycho-social avec analyse de la topographie de la douleur, de la cause lésionnelle par l’imagerie, et des problèmes psychosociaux éventuels. De plus, beaucoup de patients arrivent en consultation porteurs d’informations de qualité variable recueillies sur les réseaux sociaux.Le bilan lésionnel dominé par des examens très performants comme l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et l’imagerie à rayons X biplanaire (EOS) peut ne montrer que de images de vieillissement physiologique mais qui, accompagnées de comptes-rendus trop descriptifs, inquiètent le patient au lieu de le rassurer.Le chirurgien avancé dans sa carrière, qu’il soit orthopédiste ou neurochirurgien, voit ses indications opératoires diminuer dans le temps pour plusieurs raisons.Robert Merle d’Aubigné, célèbre chirurgien orthopédiste, disait : « Il faut cinq ans pour apprendre à opérer, encore cinq ans pour savoir bien opérer, et toute une vie pour apprendre quand il ne faut pas opérer. » Le jeune chirurgien a hâte de prouver qu’il opère aussi bien que les anciens et craint, en réfutant une indication, de réduire sa future patientèle. À l’inverse, le chirurgien senior, qui a déjà rencontré des complications neurologiques ou vasculaires, pondère progressivement son enthousiasme.De plus, comme tous ses collègues, le jeune chirurgien du rachis est amené à interagir avec les sociétés de matériel chirurgical, qui participent à sa formation continue mais imposent un tempo inflationniste de poses d’implants, mêlant les intérêts médicaux et financiers. Beaucoup de jeunes chirurgiens ainsi formés pensent qu’il est impossible de faire une arthrodèse lombaire sans poser des cages discales, alors qu’un vissage simple est le plus souvent suffisant. On pourrait espérer que la publication de grandes séries de la littérature rattrape ce biais d’indications ; il n’en est rien, car peu de séries sont neutres et sans conflit d’intérêts. Cela dit, la chirurgie rachidienne est très efficace et pratiquement la seule possibilité thérapeutique en cas de compression du contenu radiculo-médullaire ou d’instabilité du contenant disco-vertébral.
Jean-Marc Vital, Bertrand Debono, Vincent Challier, unité rachis, CHU Bordeaux, Bordeaux et Centre francilien du dos, Versailles et clinique Francheville, Périgueux, France
25 octobre 2022