Les toxi-infections alimentaires persistent voire sont en hausse en France. Les bactéries ou leurs toxines sont le plus souvent en cause, mais des virus et parasites peuvent aussi être impliqués. Les types de symptômes et leur délai d’apparition orientent le praticien. En cas de suspicion de toxi-infection collective ou familiale, il faut alerter les autorités sanitaires.

La persistance voire la hausse de toxi-infections alimentaires tient en grande partie au non-respect des règles d’hygiène alimentaire, concernant la conservation et la préparation des aliments. La tendance à consommer des produits crus et « artisanaux » y contribue également.

La survenue d’une toxi-infection alimentaire est conditionnée par le nombre de germes ou la quantité de toxines ingérés et par l’état de réceptivité de l’hôte. Les sujets ayant des facteurs de risque généraux (âges extrêmes de la vie, immunodépression) ou locaux sont sensibles à des doses infectantes moindres. Le pouvoir pathogène du germe peut s’exprimer par deux mécanismes physiopathologiques : l’infection digestive et l’intoxication par toxine.

Une toxi-infection alimentaire collective (TIAC) est définie par l’apparition d’au moins deux cas d’une symptomatologie, en général gastro-intestinale, dont on peut rapporter la cause à une même origine alimentaire. Les TIAC sont des maladies à déclaration obligatoire.

Quelles causes en France ?

En France, en 2022, l’agent pathogène mis en évidence le plus souvent était Salmonella  : 42 % des TIAC à agent confirmé. Les agents pathogènes les plus souvent suspectés étaient Bacillus cereus,  Staphylococcus aureus et Clostridium perfringens , correspondant à 73 % de l’ensemble des TIAC. Pour 15 % des TIAC déclarées, aucun agent n’a pu être mis en évidence ni suspecté. Pour 39 % des TIAC confirmées à Salmonella, la consommation d’œufs ou de produits à base d’œufs a été suspectée comme source d’infection. Les TIAC à Clostridium perfringens, Bacillus cereus ou à Staphylococcus aureus étaient majoritairement associées à la consommation de plats composés ou cuisinés (39 %, 42 % et 46 % respectivement).

Entre 2021 et 2022, la part des TIAC faisant suite à des repas familiaux a diminué, passant de 33 à 25 %, et celle des TIAC déclarées à lasuite de repas dans des restaurants commerciaux a augmenté, passant de 35 à 45 % (Santé publique France).

Les TIAC peuvent être schématiquement classées selon le type de tableau clinique : à prédominance digestive (le plus fréquent) ou à prédominance non digestive (générale, nerveuse ou vasomotrice).

Les principales causes de toxi-infections alimentaires sont résumées dans le tableau 1.

Toxi-infections alimentaires d’expression digestive

Syndrome de type invasif

Le tableau associe le plus souvent une température > 38,5 °C à un tableau digestif : vomissements, diarrhée, douleurs abdominales, souvent dysenterie. Une antibiothérapie est justifiée devant un tableau sévère et pour raccourcir la durée des symptômes. La coproculture identifie la bactérie responsable.

Les Salmonella non typhiques dites « majeures » (S. typhimurium et S. enteritidis) sont les bactéries les plus fréquemment mises en évidence dans les TIAC. L’émergence de S. enteritidis est liée à la consommation d’œufs et de produits à base d’œufs non ou peu cuits (mayonnaise, mousse au chocolat). Au terme d’une incubation de 12 à 72 h surviennent diarrhée, douleurs abdominales avec vomissements inconstants et signes généraux marqués. L’évolution est spontanément résolutive en un à cinq jours.

Les Shigella sp. provoquent des épidémies familiales et des foyers alimentaires ou hydriques. Le réservoir est humain et la transmission orofécale. Elles provoquent un syndrome dysentérique (coliques, selles sanglantes et purulentes) accompagné de fièvre et de vomissements, débutant après une incubation de 24 à 72 heures. Les formes graves sont dues aux espèces Shigella dysenteriae et Shigella flexneri, s’accompagnant, dans 4 % des cas, d’une bactériémie, voire de complications neurologiques, métaboliques ou hématologiques. On les retrouve dans les aliments peu ou pas cuits.

Le rôle des colibacilles ne doit être évoqué qu’en l’absence d’autre cause. Ce sont des bactéries commensales du tube digestif chez l’homme : Escherichia coli entéro-invasif, E. coli entéro-hémorragique (O157 :H7), E. coli entéro-pathogène et E. coli entérotoxinogène. Elles sont retrouvées dans les aliments peu ou pas cuits : viande hachée (bœuf), jus de pommes et cidres non pasteurisés, lait cru.

Les Yersinia sp. peuvent se multiplier à 4 °C. Seule Y. enterocolitica semble être à l’origine de TIAC. On la retrouve dans les aliments peu ou mal cuits (porc, mouton) ou les produits laitiers. Les yersinioses prédominent chez l’enfant, avec une recrudescence hivernale, et se traduisent par une gastroentérite fébrile à début brutal, avec diarrhée abondante et prolongée, parfois sanglante.

Campylobacter jejuni  et Vibrio parahaemolyticus sont plus rarement en cause.

Syndrome de type toxinique

Le tableau peu ou pas fébrile (température < 38,5 °C) est dominé par des vomissements et une diarrhée liquide cholériforme profuse. L’évolution est rapidement favorable, en moins de 24 h. La gravité tient au risque de déshydratation, voire de collapsus. L’antibiothérapie est inutile. Le diagnostic est clinique (pas d’intérêt de la coproculture).

Le Staphylococcus aureus , en cause le plus souvent, est facile à reconnaître par sa rapidité d’installation (2 à 4 h) et l’intensité de sa symptomatologie. La contamination des aliments (fromage, lait, crème glacée, salade composée, viande séchée) se fait lors de leur manipulation par un porteur sain ou ayant une plaie infectée par S. aureus (furoncle, panaris). L’entérotoxine thermostable est produite au sein de l’alimentation.

Le Clostridium perfringens , en 2e position, est souvent en cause en restauration collective lorsque les règles de conservation des aliments après la cuisson n’ont pas été respectées (surtout viandes en sauce). La durée d’incubation est de 8 à 24 h. Les spores sont thermorésistantes : après germination, les bactéries se multiplient lorsqu’il existe des conditions favorables prolongées de température et d’anaérobiose.

Le Bacillus cereus est la 3e cause de TIAC de type toxinique. La durée d’incubation est de 1 à 6 h quand les vomissements prédominent (vomitoxine thermostable), de 6 à 12 h quand il s’agit de diarrhée (entérotoxine thermolabile). La bactérie est ubiquitaire et les aliments contaminés sont souvent le riz, la purée ou des légumes germés (soja).

D’autres bactéries sont plus rarement incriminées comme E. coli entérohémorragique ou Aeromonas hydrophila.

Enfin, les dinoflagellés (protozoaires) et phytoplanctons (algues unicellulaires) peuvent se concentrent dans les coquillages qui s’en nourrissent. La contamination est provoquée par l’ingestion de fruits de mer. La durée d’incubation est de 30 min à quelques heures.

Toxi-infections alimentaires d’expression extradigestive

Listeria monocytogenes est une bactérie saprophyte (sol, eau, végétaux) capable de se multiplier à basse température (réfrigérateur). Les aliments contaminés sont les suivants : salade de chou, lait pasteurisé, fromage à pâte molle, gelée de langue de bœuf. Le tableau clinique se caractérise par un syndrome pseudogrippal, un avortement ou accouchement prématuré chez la femme enceinte ou des atteintes neuroméningées chez les sujets immunodéficients.

Clostridium botulinum est rare en France.

L’intoxication histaminique survient après la consommation de poisson mal conservé (thon) et se manifeste par des troubles vasomoteurs : érythème de la face et du cou, céphalées et signes digestifs. La régression est rapide, accélérée par la prise d’antihistaminiques et de corticoïdes.

Traitement

Le traitement d’une toxi-infection alimentaire repose principalement sur la réhydratation (risque de déshydratation +++), le repos et un traitement symptomatique. L’antibiothérapie est réservée aux cas de diarrhées invasives avec des signes de diffusion systémique et aux sujets fragiles (âges extrêmes de la vie, immunodéprimés et femmes enceintes).

L’hospitalisation est indiquée en cas de syndrome infectieux sévère ou de déshydratation majeure.

CAT devant une toxi-infection collective ou familiale

Les TIAC sont des maladies à déclaration obligatoire. Cette déclaration ne concerne que les cas groupés (au moins deux), sauf pour le botulisme dont on doit déclarer les cas isolés.

En 2022, 1 924 TIAC ont été déclarées en France, affectant 16 763 personnes, dont 643 (4 %) ont été hospitalisés et 17 (0,1 %) sont décédées. La déclaration est effectuée à l’aide d’un questionnaire spécifique auprès de l’ARS et/ou de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) [téléchargeable sur : https ://www.formulaires.service-public.fr/gf/cerfa_12211_02.do]. Cette déclaration doit être réalisée par le médecin qui a effectué le diagnostic ET par les responsables d’établissement de restauration collective ou à caractère social ; elle peut également être faite par des consommateurs.

Comment s’orienter ?

Devant toute gastroentérite, il faut rechercher la notion de cas groupés dans l’entourage familial ou professionnel du malade et mettre en évidence un ou plusieurs repas communs à ces cas. Attention, cependant : les épidémies de gastroentérites virales sont reconnaissables par leurs caractères de diffusion progressive temporospatiale et de transmission interhumaine par contagion familiale ou scolaire. Le déclenchement de certaines épidémies est parfois lié à une contamination hydrique ou à l’ingestion de fruits de mer.

Les signes cliniques et le regroupement des cas orientent vers la date du repas suspect.

Lorsque plusieurs repas sont communs aux malades, il est possible de localiser la date du repas suspect à partir d’éléments simples (tableau 2) :

  • une prédominance de vomissements (S. aureus) et l’absence de fièvre (S. aureus, C. perfringens) sont en faveur d’un processus toxinique et donc d’une durée d’incubation courte (< 12 h) ;
  • l’absence de vomissements et la présence de fièvre sont plutôt en faveur d’une action invasive (Salmonella, Shigella, Campylobacter, Yersinia) et donc d’une durée d’incubation plus longue (> 12 h) ;
  • des cas très groupés dans le temps (de deux à six heures) orientent vers une durée d’incubation courte ; à l’opposé, des cas très dispersés après un repas commun sont plutôt en faveur d’une durée d’incubation longue.
 

Une enquête épidémiologique et alimentaire est menée pour identifier les aliments responsables (figure). Des prélèvements sont réalisés pour faire des études microbiologiques et toxicologiques. Il s’agit d’une étape primordiale de l’enquête car elle autorise la mise en place de mesures préventives et éventuellement juridiques (indemnisation des victimes, sanctions, etc.).

Prévenir

Les consignes de prudence et de prévention contre les toxi-infections alimentaires (lavage des mains, hygiène en cuisine, respect de la chaîne du froid, cuisson des aliments, etc.) sont bien connues.

Certains aliments sont déconseillés chez les enfants de moins de 5 ans (encadré) et les femmes enceintes.

Qu’en retenir ?

  • Les symptômes précoces sont souvent dus à des toxines présentes dans l’aliment au moment de la consommation.
  • Les symptômes plus tardifs reflètent en général le délai d’incubation d’une infection microbienne.
  • Les autorités sanitaires doivent être alertées dès la suspicion d’une intoxication collective.
Pour en savoir plus
Nobile C. Toxi-infections alimentaires : en forte augmentation. Rev Prat (en ligne) 5 mars 2024.
Santé publique France. Près de 2 000 toxi-infections alimentaires collectives déclarées en France en 2022.  21 février 2024.
Le Hello S. Salmonelloses : en cause dans 50 % des intoxications collectives.  Rev Prat Med Gen 2019;33(1019);298-9.
Lepelletier D, Bourigault C. Item 179. Risques sanitaires liés à l’eau et à l’alimentation. Toxi-infections alimentaires.  Rev Prat 2024;74(10);1145-51.

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