De nombreuses études ont montré qu’avoir une mauvaise qualité du sommeil durant la grossesse peut contribuer à la survenue d’une dépression du post-partum. Des chercheurs canadiens ont donc voulu savoir si traiter l’insomnie chez les femmes enceintes pourrait les protéger contre l’apparition de symptômes dépressifs par la suite.
Pour ce faire, ils ont conduit des analyses secondaires de l’essai randomisé « Sleeping for two » qui évaluait d’abord l’efficacité de la thérapie cognitive et comportementale (TCC) sur l’insomnie chez les femmes enceintes. Ayant trouvé dans l’analyse primaire que la TCC permettait de diminuer les symptômes d’insomnie, ils ont ensuite évalué ses effets indirects sur la survenue de symptômes dépressifs durant la grossesse et dans le post-partum. Les résultats viennent d’être publiés dans la revue Journal of Affective Disorders .
Entre juillet 2019 et octobre 2020, 62 femmes enceintes (entre 12 et 28 SA ; âge moyen 33 ans) avec un diagnostic confirmé d’insomnie ont été recrutées dans les maternités de la province d’Alberta, au Canada. Les critères d’exclusion comprenaient : la présence de troubles du sommeil autres que l’insomnie (par exemple syndrome des jambes sans repos), des antécédents personnels de troubles bipolaire ou psychotiques, la prise d’un traitement médicamenteux contre l’insomnie ou d’un traitement pouvant induire des troubles du sommeil. Les participantes ont été aléatoirement assignées à parts égales pour bénéficier de la TCC ou pas. Par rapport à celles du groupe contrôle, celles du groupe TCC étaient plus souvent en couple (97 % versus 87 %), d’ascendance européenne (71 % versus 58 %) et multipares (52 % versus 39 %).
La TCC consistait en 5 séances personnalisées (60 minutes chacune, une fois par semaine). Elles comprenaient : des révisions de l’agenda du sommeil qui devait être tenu par les patientes ; de la psychoéducation sur le sommeil ; de l’apprentissage du contrôle des stimuli et de stratégies cognitives pour réévaluer ses attitudes et croyances vis-à-vis du sommeil, ainsi que des stratégies pour gérer les conséquences de l’insomnie. En raison de la pandémie de Covid, la majorité des participantes assignées à ce groupe ont suivi ses séances en téléconsultation.
Les mesures des scores d’insomnie et de symptômes dépressifs avaient lieu à trois moments : à l’inclusion (T1), 1 semaine après la fin de la TCC (T2) et 6 mois après l’accouchement (T3). À l’inclusion, les scores moyens de l’état dépressif selon le questionnaire EPDS étaient de 8 ± 4 (groupe contrôle) et 9 ± 5 (groupe TCC), sachant qu’un score > 12 (parfois abaissé à 10) est indicatif d’une dépression du péri- ou post-partum.
Les auteurs ont trouvé que la probabilité de voir leurs symptômes dépressifs diminuer était plus importante pour les femmes ayant bénéficié de la TCC pour leur insomnie, tant immédiatement après le traitement que 6 mois après l’accouchement (avec une taille d’effet modérée pour le post-partum). Leurs calculs ont montré que l’effet bénéfique sur les symptômes dépressifs du post-partum s’expliquait par une réduction soutenue de l’insomnie entre T2 et T3 (et non par l’amélioration ponctuelle de l’insomnie uniquement à T2, par exemple).
Les résultats suggèrent donc que traiter l’insomnie par TCC pendant la grossesse peut avoir des bénéfices indirects sur la dépression du post-partum. Mais le mécanisme reste à élucider : s’agit-il d’un bénéfice indirect de l’amélioration de la qualité du sommeil ou la régulation des anomalies du sommeil paradoxal (REM) qui sont fréquentes dans la dépression ? ou bien les techniques employées dans la TCC (relaxation, autres éléments influençant le comportement) ont-elles un effet direct sur la dépression indépendamment de l’insomnie ?
En outre, ces résultats doivent encore être vérifiés sur des patientes ayant un diagnostic formel de dépression, ce qui n’était pas le cas dans cette cohorte (présence de symptômes, mais en-deçà du seuil diagnostique). L’association entre le traitement de l’insomnie par TCC et la réduction de la dépression n’a pas encore été montrée en population générale : d’autres études sont donc nécessaires.
Les auteurs en concluent que, dans tous les cas, ces données sont en faveur de l’inclusion d’une évaluation de l’insomnie lors des consultations prénatales.
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Bottemanne H, Joly L. Dépression du post-partum. Du dépistage aux traitements innovants . Rev Prat Med Gen 2021;35(1062):489-95.
Mallordy F, Nobile C. Dépression du post-partum : premier traitement spécifique per os . Rev Prat (en ligne), 6 novembre 2023.
Léger D, Taïeb J. Premières consultations pour insomnie et démarche en médecine générale . Rev Prat 2024;74(3);266-7.