Le tramadol n’est très probablement pas une alternative sûre à la codéine.
Soulager la douleur aiguë des enfants est une part importante des soins au quotidien. Plusieurs options existent pour y parvenir parmi lesquelles l’usage d’un opioïde. En 2013, à la suite des alertes de la Food and Drug Administration (FDA), du Pharmaco-vigilance Risk Assessment Committee (PRAC), et de la survenue de 10 décès d’enfants entre 1969 et 2012, l’Ansm a recommandé de n’utiliser la codéine chez les plus de 12 ans qu’après échec du paracétamol et/ou des AINS. Elle l’a proscrit chez les moins de 12 ans ; après amygdalectomie ou adénoïdectomie (du fait du facteur aggravant qu’est le syndrome d’apnées obstructives du sommeil) ; ou encore chez la femme qui allaite.
Quelle alternative pour les plus jeunes ? La HAS conseille depuis janvier 2016 d’utiliser le tramadol chez le petit de plus de 3 ans dans certaines situations comme une douleur intense d’emblée ou en cas d’échec du paracétamol et de l’ibuprofène (tableau).1 Or cette molécule, comme tout médicament, a des effets indésirables et expose à d’autres risques qu’il faut connaître.

Effets indésirables et métabolisme

Le tramadol agit comme agoniste des récepteurs morphiniques ; il est aussi inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline. Les effets indésirables les plus fréquents sont les nausées et vomissements, la sensation vertigineuse, une pseudo-ébriété et une somnolence. Ceux de type morphinique sont corrigés par la naloxone. Tachycardie, HTA, diarrhée, agitation, insomnie, hallucinations, sueurs, hyperthermie, myoclonies sont liés à l’action sérotoninergique.2 Principales contre-indications de ce médicament : insuffisances rénale et hépatique sévères, hypersensibilité à la molécule et épilepsie non contrôlée.
Cependant, c’est une prodrogue, métabolisée par les enzymes CYP2D6 et CYP3A4 du cytochrome P450 en métabolite au pouvoir opioïde plus puissant, en particulier le M1 (via une O-déméthylation, catalysée par le CYP2D6). C’est en partie la même voie que celle de la codéine (même cytochrome) qui aboutit à des quantités variables de morphine selon que le patient est faible, intermédiaire, rapide ou ultrarapide métaboliseur. Des événements indésirables graves peuvent donc survenir (dépression respiratoire, convulsions, collapsus).3
En 2015, un garçon de 5 ans et demi, sous tramadol après une adéno-amygdalectomie ambulatoire pour apnées du sommeil, a fait une dépression respiratoire avec Glasgow à 8, myosis, bradypnée/apnée, SaO2 à 48 % à J1 post- opératoire. Les gaz du sang ont montré un pH à 7,06. Explication : cet enfant est un métaboliseur ultrarapide.4
En raison du polymorphisme génétique fonctionnel du CYP2D6 et de 9 cas de dépression respiratoire grave (incluant celui décrit plus haut) dont 3 décès entre janvier 1969 et mars 2016, la FDA a restreint en avril 2017 l’usage du tramadol aux enfants de plus de 12 ans et conseille aux mères qui allaitent de ne pas en prendre (dépression respiratoire potentiellement mortelle chez l’enfant allaité).5

Surdosage accidentel

La posologie est de 1 à 2 mg/kg/prise, 3 à 4 fois/j sans dépasser 8 mg/kg/j. La concentration de la solution buvable est de 100 mg/mL. Le flacon en contient 10 mL, soit 1 g de tramadol. Des erreurs médicamenteuses graves chez l’enfant, pouvant être fatales, ont été signalées à l’Ansm. Ces accidents ayant conduit à un surdosage étaient principalement liés à un manque d’information ou à une incompréhension de la dose prescrite. En juin 2016, l’agence a mis l’accent sur ce risque et rappelé aux professionnels de santé l’importance d’une posologie claire et aux parents l’absolue nécessité du respect strict de la prescription médicale (tableau).
Un autre effet indésirable grave du tramadol est décrit par l’équipe de Perdreau.6 Un enfant de 7 ans sans aucun antécédent est pris en charge en urgence pour une convulsion généralisée durant 10 minutes, suivie d’une détresse respiratoire. L’exploration cardiorespiratoire met en évidence un choc cardiogénique avec une fraction d’éjection du VG égale à 30 % et une HTAP. Au domicile, un emballage vide de 1 comprimé de tramadol LP 150 est retrouvé. Sa concentration plasmatique était de 1 000 ng/mL et celle du métabolite actif, le O-desméthyltramadol, de 1 500 ng/mL. L’enfant hospitalisé en réanimation a retrouvé une fonction cardiaque normale à J2. Son IRM était normale à J3 et l’échographie cardiaque de contrôle à 6 mois aussi. Les auteurs concluent à un possible effet inotrope négatif de la molécule.

Surdosage volontaire : phénomène mondial

L’OMS dans un rapport de 2014, décrit des intoxications à des doses supra- thérapeutiques – rarement à la posologie usuelle – à type de dépression du système nerveux central, coma, tachycardie, collapsus cardiovasculaire, convulsions, dépression et arrêt respiratoire. Elles ont rarement une issue fatale (surdosage élevé  autre substance).7 Des abus de tramadol sont également rapportés dans certains pays (Afrique, Asie occidentale, égypte, Gaza, Jordanie, Liban, Libye, Maurice, Arabie saoudite), les effets recherchés étant ceux des autres opiacés : bien-être, plaisir, euphorie ou stimulation. Le tramadol est disponible via Internet…
En France, selon l’Ansm (février 2017),« en raison de l’augmentation des signalements des cas d’abus, de dépendance et de mésusage au réseau des Centres d’évaluation et d’information sur la pharmaco- dépendance (CEIP), un suivi national d’addictovigilance des spécialités renfermant du tramadol a été ouvert en 2010. Depuis 2013, il a été observé une augmentation de l’usage détourné du tramadol, bien que ce dernier soit majoritairement obtenu sur prescription médicale. Dans l’enquête Décès toxiques par antalgiques (DTA) 2014, le tramadol est impliqué dans 48 % des décès (32 décès dont 6 où le tramadol est la seule substance en cause). Le tramadol est la première substance active retrouvée dans les décès, devant la morphine ». Ces données concernent majoritairement les adultes mais les abus proviennent aussi des adolescents. Selon une étude iranienne, parmi les 114 patients admis d’avril à mai 2007 pour intoxication à cette molécule, 38 % étaient âgés de 12 à 20 ans.8 Aux états-Unis, le système de surveillance de la toxicomanie (RADARS) a permis d’identifier entre 2007 et 2009 16 209 expositions intentionnelles chez des jeunes, dont 68 % aux opioïdes et 32 % aux stimulants.9 Les 5 drogues les plus retrouvées étaient l’hydrocodone (32 %), les amphétamines (18 %), l’oxycodone (15 %), le méthylphénidate (14 %) et le tramadol (11 %). En 2016 une autre équipe américaine a étudié les dossiers médicaux de patients de 1 à 19 ans hospitalisés entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 2012 : 13 052 l’ont été pour surdosage opiacé.10 Les hospitalisations ont nettement augmenté dans tous les groupes d’âge entre 1997 et 2012. Les jeunes enfants et les adolescents étaient les plus vulnérables vis-à-vis de ce risque. l
RÉFÉRENCES
1. HAS. Prise en charge médicamenteuse de la douleur chez l’enfant : alternatives à la codéine. Rapport d’élaboration. Janvier 2016.

2. Abadie D, Rousseau V, Logerot S, et al. Serotonin Syndrome: Analysis of Cases Registered in the French Pharmacovigilance Database. J Clin Psychopharmacol 2015;35:382-8.

3. Miotto K, Cho AK, Khalil MA, et al. Trends in Tramadol: Pharmacology, Metabolism, and Misuse. Anesth Analg 2017;124:44-51.

4. Orliaguet G, Hamza J, Couloigner V, et al. A case of respiratory depression in a child with ultrarapid CYP2D6 metabolism after tramadol. Pediatrics 2015;135:e753-5.

5. FDA Drug Safety Communication. FDA restricts use of prescription codeine pain and cough medicines and tramadol pain medicines in children; recommends against use in breastfeeding women [4-20-2017].

6. Perdreau E, Iriart X, Mouton JB, et al. Cardio-genic shock due to acute tramadol intoxication. Cardiovasc Toxicol 2015;15:100-3.

7. OMS. Tramadol. Update Review Report Agenda item 6.1. Expert Committee on Drug Dependence 36th Meeting. Geneva; 2014.

8. Shadnia S, Soltaninejad K, Heydari K, et al. Tramadol intoxication: a review of 114 cases. Hum Exp Toxicol 2008;27:201-5.

9. Zosel A, Bartelson BB, Bailey E, et al. Characterization of adolescent prescription drug abuse and misuse using the Researched Abuse Diversion and Addiction-related Surveillance (RADARS) System. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2013;52:196-204.

10. Gaither JR, Leventhal JM, Ryan SA, et al. National Trends in Hospitalizations for Opioid Poisonings Among Children and Adolescents, 1997 to 2012. JAMA Pediatr 2016;170:1195-1201.

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essentiel

Le tramadol a des effets indésirables non négligeables qui varient en raison du polymorphisme génétique du CYP2D6.

Le nourrisson peut être intoxiqué par ingestion accidentelle, les adolescents le sont à cause d’un usage récréatif ou pour autolyse.

Pour limiter le risque de surdosage chez les plus jeunes, il faut améliorer son « stockage » (hors de portée des enfants, à domicile) et éventuellement le conditionnement de la solution buvable.

Une communication auprès des médecins, dentistes, pharmaciens est nécessaire : trouver un équilibre entre risques et bénéfices doit rester un souci permanent.